dimanche 5 avril 2020

Le corps et ses confins

Olympia - Edouard Manet

                      
                        
           AUTEURS:

Simone Alie-Daram  9 avril 2020
Franc Bardou  9 avril 2020
Pierre Maubé  9 avril 2020
Didier Metenier  9 avril 2020
Francis Pornon  9 avril 2020
Philippe Sahuc  9 avril 2020
               Svante Svahnström  9 avril 2020
               Chris Taal  9 avril 2020



    SIMONE ALIE-DARAM

    Mon cerveau est troué de mots de poèmes
    Qui passent et s'enfuient
    Sans que je les attrape
    Mon discours s'effiloche
    Tel un jappement de chien perdu
    Mes cheveux s'envolent
    Pour construire le nid des étourneaux
    Je ne finirai pas
    Dans un médaillon baroque
    J'épouserai les flammèches du vent

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FRANC BARDOU


Pè-descauç subre la tèrra

Qu’i trepèron los aujòls,

Pasti la fanga mairala

De las sòlas, lo pas lis.

 

Lo florilègi erbagiu

Abraça cada encambada

Dins las auras sentidosas

Que m’alisan de matin.

 

Lo solelh naissent recalfa

Lo pitre e lo còr amassa

E la luna, per l’esquina

Me passa una man d’amiga.

 

Abraci las nívols candas

Que dessenhan lo camin,

Entre las sèrras ventosas

Que me tenon contra’l si.

 

Mas mans alisan las plantas,

Las ruscas e los aucèls,

Segon l’aflat de la gràcia

Dels encontres imprevistes.

 

Ma cara beu la lutz saura

Que me penchena d’esmai,

Davant l’estranha evidéncia

De l’indicibla beutat.



Pieds nus sur cette vieille terre

Où marchaient déjà les anciens,

Je pétris la boue maternelle

De la plante, le pas léger.

 

Le feu follet des herbes tendres

Accueille, heureux, chaque enjambée

Dans les brises pleines d’odeurs

Qui me caressent de matin.

 

Le soleil revenu réchauffe

La poitrine et le cœur ensemble,

Et la lune, fidèle amie,

Me passe la main dans le dos.

 

J’embrasse les nuées candides

Qui me dessinent le chemin,

Entre les collines venteuses

Me pressant tout contre leur cœur.

 

Mes mains caressent chaque fleur,

Les écorces et les oiseaux,

Selon tous les grés de la grâce

Et des rencontres imprévues.

 

Mon visage boit la lumière

Qui me caresse d’émotions,

Devant cette évidence étrange :

Devant l’indicible beauté.





Ce texte est issu du recueil Lo Dîvan de Ma Sobeirana, 
Le Dîvân de ma Souveraine, paru chez TròbaVox en 2019.

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PIERRE MAUBÉ

Le ciel est un œil qui pense,
les nuages sont ses larmes.

Quand tu regardes le ciel,
ses nuages traversent ton œil.

Quand une larme traverse le ciel,
une pensée naît dans ton œil,
et vient pleurer sur la terre.

…..

Ce sera un automne
de paupières entr’ouvertes,
de souvenirs affectueux,
de lassitude tiède,
un automne de parfums fragiles,
de feuilles finissantes,
d’espérances assoupies,
une saison à rêve fendre,
à cueillir les baisers du vent
pour venir les déposer
aux lisières
de ta bouche dérobée.

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DIDIER METENIER

virus A
symptomatique
assez A
ctif
et hyper con
tagieux
qui nous con
fine...
un conard de virus
ce coronavirus !!!
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FRANCIS PORNON

2

Après-midi
Axe équidistant entre les lourdes nuits
Où s’écartent les hémisphères du jour
Temps sacré de la sieste
Séjour d’ombre quand se déchaîne la rage du soleil
Temps dérobé
Où expirent bavardages et obséquiosité
Temps où les villes cessent leur racolage
Où l’on se trouve nu
Le lac perd son voile métallique
Garonne exhibe l’aine de ses ponts
L’eau dans sa peau frémissante outremer féminine
Expose ses îles et ses rives
Où pataugent des oiseaux impudiques
Promesses de hauts-fonds secrets
Où d’estuaires ultramarins

3

À l’heure sourde de la colère solaire
Sous le cobalt du ciel porté à blanc
Paupières et jambes se pétrifient
C’est alors que l’iris se retourne pour descendre au fond du dedans
Attiser dans le labyrinthe du ventre
Le réveil d’un autre monde
Aux lents ébats de nageoires plaintives
Aux torpilles électriques tapies sous la toison des algues
Vibrionnant de haute tension
Mollusques béants d’espérances faméliques
Palpitant de terreur devant les dentitions de grands squales préhistoriques
Attendant leur temps

4

Être au côté du corps
Cohabiter avec le lisse inouï de la chair
Écouter le souffle distiller l’air
L’aspirer
Se nourrir de sa moiteur
Discret bouillonnement de son vertige intérieur
S’abreuver l’œil au-delà de la fatigue
Voir comme boire
Boire le rond d’un sein d’une épaule d’une hanche
Boire le duvet léger frisottant
Boire la courbe d’une échine
Et se nourrir goulu de l’être d’une jambe
Certitude mollet cuisse fesse
Se laisser pénétrer par le miracle
Du désir

Francis PORNON
Extrait de Midi
Ed. Encres vives 2013, avec dessins d’Alexandre Meylan.

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PHILIPPE SAHUC



Corps, Balo, Body, Ruumis, Gorputz, Yaram et confins de langues

Balo
Tu es à droite, « gardabous »,
Vieux tirailleur va !
A gauche proche d’enfanter,
Feras-tu moins de pépins que la calebasse ton ombre ?

Body
Tu es de droite au garde-à-vous,
Oreillettes empilées, va !
A gauche s’initie la fronde,
D’obole et de dinar gavé, te dévoues-tu contre elle ?

Ruumis
Calé contre la muraille droite,
Va, la modestie n’est pas ton faible !
A gauche tu finaudes,
Trolle, rat, serpent, fine oie : blason trop bien garni ?

Gorputz
La chistera s’est faite dextre,
Reste, c’est la balle qui viendra à toi !
A gauche nul ne sait ton absence d’aise,
Ne hisses-tu pas en poing d’honneur une parole jamais vaine ?

Yaram
Piquet de droite,
Fais le malin serpent va !
L’ondulation n’est pas gauche à l’entraîné Baye Fall,
Ne sais-tu pas ainsi redoubler le creuset des corps de couleurs provocantes ?


Philippe Sahuc Saüc et ses amies mandinkan, anglaise, finnoise, basque, wolof

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SVANTE SVAHNSTRÖM


La guerre des mondes est déclarée
Néanmoins le mal n’est pas venu de Mars
Une invasion accélérée
a pris au dépourvu les arsenaux de protection
Chaque jour se multiplie la soldatesque ennemie
Ils grouillent en surpeuplant le millimètre
à cent mille têtes chaque fois
Ils grouillent sur la planète
Comme d’odorantes oranges
que ceignent des clous de girofle
rebondissant en rafales expectorées
ces couronnes voltigent
en venimeuses grenades dégoupillées
Or, c’est plongées dans les profondeurs
que s’élaborent les offensives
Des avant-gardes effacent d’abord
commandes d’odeur et de saveur
paralysent et neutralisent
papilles et narines
Devant les impasses pulmonaires
les conquérants viraux se positionnent en embuscade
En masse des hommes arrêtent de respirer
Menacée l’Espèce se recroqueville

Non, le danger n’est pas venu du ciel
La guerre des mondes est déclarée d’en bas
Les conflagrations s’opèrent
sur des champs d’honneur cachés à l’œil
Par-ci c’est à mains propres
par-là c’est en blouse blanche
que la riposte se mobilise


26 mars 2020

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CHRIS TAAL

"Tout ce que le corps aurait à dire
S’il se mettait à écrire
Tout ce qu’il aurait à dire…
Tout ce qui est contenu
Que j’entends gémir
Qui voudrait tant sortir
Si seulement on laissait transpirer nos sentiments !
Les mots,
A la surface de la peau
Délivrant,
Tel un livre ouvert
Les secrets
A qui saurait les effleurer
Sous la plume
de son stylo
Les mots se mettraient à courir
Le long de mes bras
Escaladant chacun de mes dix doigts
Dévalant la page d’un air narquois
Dévalant chacun de mes doigts
Noircissant la virginité de ma feuille esseulée
Et les doigts et la page reliés…
Tout ce que tu n’avais su dire
Et qui soudain m’était conté"









 

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