vendredi 8 mai 2020

L'INVITÉ DE L'AMPHI .....



L'incertitude du poète - Giorgio de Chirico

.......le temps d'une plume
 
 
              2021
11/03    Casimir Prat
11/02    Christian Saint-Paul             
14/01    L'expérience de trois poètes français lauréats
              du prix Nobel:  Sully-Prudhomme, Frédéric Mistral,
              Saint-John Perse
                       
             2020
10/12    Louise Glück
12/11    Francis Pornon
11/06    Monique-Lise Cohen
14/05    Yveline Vallée  
 
 
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CASIMIR PRAT

Vous entreprenez la lecture d’une biographie courte mais intime du poète Casimir Prat. Celle-ci a été rédigée par une main qui a préféré rester dans l’ombre. Une ombre qui entoure aussi la personne du poète.
  D’abord, Casimir Prat est un pseudonyme (de son vrai nom …) ; il est né le 29 mai 1955 à Toulouse, sixième et dernier enfant de parents exilés politiques de la République Espagnole. Son père, cadre du Parti Communiste espagnol, a franchi avec sa jeune épouse, en 1939, la frontière pour ne plus jamais revenir dans leur pays d’origine.

Une rencontre précoce avec la poésie va déterminer la trajectoire de l’enfant qui allait devenir Casimir.
   Très tôt, la poésie apparaît à Casimir Prat comme une « évidence » dès qu’il découvre au collège Baudelaire et Rimbaud. Au Lycée du Mirail, dans la classe de Première, il fera la connaissance de Philippe Bernadou qui lui aussi commence à écrire de la poésie; dès lors naîtra une amitié très forte qui ne s’est pas démentie jusqu’à aujourd’hui. A Toulouse, il se lie également avec Serge Pey quand il est étudiant à la Fac du Mirail, mais surtout avec Michel Baglin.

Un peu plus tard, de nouvelles connaissances aboutissent à de premières publications dans des revues. Il a maintenant 28 ans.
Il rencontre Henri Heurtebise qui le publie dans sa revue Multiples en 1983 : un recueil intitulé L’Horreur ou la merveille, avec une Préface de Francis Ponge – dont il avait fait la connaissance trois ans auparavant à l’occasion d’un prix de poésie à Nice organisé par la revue Vagabondages (qui avait publié des poèmes de Casimir Prat dans son N° 25, La Terre et l’Arbre) ; Francis Ponge le mettra en relation avec Philippe Jaccottet avec qui C.P. entretiendra une correspondance sur quelques années.
   Michel Baglin, dès qu’il crée sa revue Texture, l’invitera à y collaborer et publiera une première mouture d’Elles habitent le soir (1985).
Il poursuit avec, Philippe Bernadou, des études à Khâgne et Hypokhâgne au Lycée Saint-Sernin.

Mais des évènements familiaux obligent à donner une nouvelle orientation à sa vie professionnelle.
Ayant été obligé d’arrêter ses études pour des raisons familiales (mort du père et maladie de sa mère), il doit entrer dans la vie active et accepte différents « petits boulots » (c’est à ce moment là qu’il adopte définitivement son pseudonyme). Puis, grâce à P. Bernadou, qui travaille à la FNAC depuis son ouverture en 1981, il y obtiendra un emploi de vendeur au rayon librairie. Il y restera 35 ans, jusqu’à sa retraite. Il y rencontrera aussi son épouse, Catherine, avec qui il aura une fille, Elise. (Mais son épouse, elle, quittera bientôt la Fnac et, après avoir passé le concours, deviendra bibliothécaire et ensuite responsable R.H. à l’université Toulouse-Capitole.)

Cette situation, toutefois, ne constitue en rien un frein à sa progression dans l’univers de la poésie. Aux publications qui se succèdent et aux distinctions, s’ajoutent des présences et des initiatives dans des regroupements de poètes.
   Au fil des années, ses recueils seront acceptés par les éditions Rougerie, puis en 1989 il obtient le prix Antonin Artaud décerné à Rodez lors des Journées Internationales de Poésie pour son recueil Elles habitent le soir publié aux éditions de L’Arbre – recueil consacré « au monde des sœurs » (C.P. a eu quatre sœurs). Mais il collaborera et publiera dans de nombreuses revues, hormis Multiples et Texture : Rétroviseur, Décharge, Friches, etc…
   Josette Ségura et Eric Dazzan qui viennent de fonder les éditions de L’Arrière- Pays à Auch accueillent deux recueils de C.P. dont un préfacé par Gaston Puel dont il a fait la connaissance grâce à eux et dont l’œuvre, avec celle de Jean Malrieu, aura une grande influence sur lui.
   Casimir Prat participera grandement à l’aventure d’Escalasud  (association regroupant la plus grande partie des poètes du sud de la France autour des années 90, écrivant en français comme en Occitan) pour laquelle il organisera une mémorable soirée au Centre Culturel de l’Aérospatiale. Mais cette belle idée se disloquera sur la réalité des luttes d’égos et des dissensions « idéologiques » dont Michel Ferrer a rédigé l’histoire dans Les riches heures d’Escalasud. Dans la foulée de cet échec, C.P. fondera l’association Le Passe-Mots avec tous ceux qui voulaient s’engager dans des projets « concrets » (comme J.P. Metge, M. Baglin, B. Ruiz, Ph. Berthaut, Heurtebise, Bernadou, Yves Heurté, etc) : ainsi, entre autre, paraîtra grâce au Passe-Mots une anthologie conséquente de Jean Malrieu dont l’œuvre était pratiquement devenue introuvable, en co-édition avec l’Arrière-Pays et le CRDP de Midi-Pyrénées (Une ferveur brûlée, 1995).
   C.P fera par ailleurs d’autres rencontres enrichissantes, comme celle de Pierre Autin-Grenier à la suite de la parution de L’Horreur et la Merveille chez Multiples où celui-ci avait publié Certaines choses et autres, Henri Heurtebise l’avait invité à Longages. S’en suivit une longue amitié et de nombreux séjours à La Salamandre, le mas où vivait P.A.G. non loin de Carpentras. L’auteur des Radis bleus ne cessera de soutenir et encourager CP. La mort de P.A.G l’affectera profondément, comme celle de Pierre Gabriel, Yves Heurté, J.P. Metge, du calligraphe Henri Renoux (qui lui fera l’honneur de calligraphier plusieurs de ses poèmes pour une édition trilingue d’Elles habitent le soir) et, plus récemment, celles de Michel Baglin et de Claude Barrère.

Un succès prépare un parcours de doute. Après l’enthousiasme couronnant le recueil « Tout est cendre », C’est une période d’auto-dépréciation qui prend le relai.
   En 1995, C. P. présente un manuscrit inédit au concours de poésie Max-Pol Fouchet, prix décerné tous les ans à Lourdes dans le cadre de la Décade Littéraire organisée par Guy Rouquet avec un jury prestigieux de poètes français et de la francophonie. Il en sera donc le lauréat avec Tout est cendre que Guy Goffette préfacera en résumant excellemment l’ambition poétique de C. P. : « Le miracle de cette poésie profondément élégiaque et intimiste tient à son refus obstiné de la plainte (…) Proches de la prose, sans jamais céder au prosaïsme, ces poèmes aux longs vers discursifs – et l’on pense au Rilke des Elégies, aux chants monologués de Ritsos – déploient, avec toute la souplesse syntaxique de la langue, une méditation sincère et minutieuse du banal, de l’éphémère, qui renouvelle en quelque sorte, sous nos yeux, le visage du monde et rend un sens au moindre de nos gestes. Sa justesse de touche, la force de ses images sans éclats, l’insaisissable tremblement lumineux qui passe entre ses mots, entraînent le lecteur dans son courant, jusqu’à ce qu’il le dépose, comme lavé, sur quelque grève d’ici-bas. » (Tout est cendre, éd. Le Dé Bleu, 1995).
   Tout est cendre sera repris avec un autre ensemble intitulé Sait-on jamais qui prolonge sa recherche d’une poésie presque « sans images » (où les images sont si évidentes qu’elles ne se remarquent pas, seul compte ce qu’elles « éclairent » : elles jouent le rôle de témoins en quelque sorte). Sans trop y croire, C.P. l’envoie à Gérard Bourgadier qui dirige chez Gallimard la collection L’Arpenteur sur le conseil de Pierre Autin-Grenier (qui avait publié déjà plusieurs livres de nouvelles dans cette collection). Bourgadier accepte avec enthousiasme et le publie en 2005 et reprenant la préface de Guy Goffette.
   Après cette « réussite », C.P. va néanmoins traverser une longue période de doutes, d’hésitations, voire de « pessimisme », ayant rédigé d’un seul jet un long texte de 200 pages (dont le point de départ est la figure tragique d’Antigone) il ne se sent pas le courage de le reprendre pour présenter un manuscrit acceptable à un éditeur. Ses longues années de travail à la librairie de la Fnac (travail qui s’est peu à peu vidé de son intérêt) ne sont pas pour rien dans la « crise » qu’il traverse. Passé 50 ans, il n’a plus l’énergie nécessaire pour écrire le soir, voire tard la nuit, il récupère de moins en moins, les problèmes de santé s’accumulent au fil des mois, des années. Il finira par prendre sa retraite deux ans avant l’âge légal pour raison de santé…

Après quinze ans de hibernation, le projet Antigone est remis sur l’établi, une œuvre dédiée au courage de femmes éprouvées.
Ainsi, dès 2019, après avoir vendu sa maison à Toulouse et pris un nouveau logement à Ramonville, plus près de la nature – il finira par retravailler (15 ans après !)  le  vieux manuscrit et l’achever sous le titre : Dernier café chez Antigone. Un livre comme un long monologue tenu par une femme qui se prétend être tantôt l’Antigone légendaire et tantôt une poétesse ressemblant à Emily Dickinson ou Sylvia Plath, ou Virginia Woolf ou quelques autres figures « martyres » de la poésie… (ou Casimir Prat lui-même ?)
   Pour finir, C.P. a créé il y a deux ans une association Temps d’arbres, dont le but est de planter… des arbres, avec son épouse et une dizaine d’amis, sur quelques hectares au fond de la Haute-Garonne (qui appartiennent à des amis exploitants) : à ce jour, ils en ont planté 300, avec le projet d’en planter mille ou plus !



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Le figuier
Dans le jardin je reconnais ta voix de loin :
    première fleur du cerisier.
Et derrière ta voix, l'oubli, le printemps et la lune
   que tu as arrêtée dans ta chute
et l'ombre humiliée d'un oiseau ; je ne sais plus,
le temps me manque. J'ai oublié le vent, l'oiseau,
   le secret, l'importance des choses :
l'abeille dans la rose
comme la ligne d'horizon qu'un enfant a tracée à
   la craie sur le tableau du ciel....

…………………………....

Regarder en arrière
 
Ainsi peu à peu, nous faut-il toujours laisser
quelque chose
et parler avec précaution d'hier ( de ce que nous
  avions abandonné dans notre sommeil) :
parfum d'herbes brûlées derrière les persiennes.
lumière aride des lampes
avec la fumée de cigarettes qui vient les
  envelopper;
la paire de lunettes restée, droite, sur un livre
ouvert, continuant seule la lecture
(cherchant toujours l'explication)

Celui qui s'en va 
Celui qui s'en va
laisse toujours quelque chose :
des lunettes, un stylo,
un peigne noir sur le rebord du lavabo
ou ce vieux poste de radio
qui grésillera encore quelque temps,
posé par terre au coin de la chambre vide,
jusqu'à ce que quelqu'un, montant à l'étage,
s'en aperçoive et,
après l'avoir débranché, le descende avec pré-
-caution dans la maison,
(et mesure à cet instant,
en le transportant jusqu'à la remise,
tout le poids exact-inavouable-
de l'absence).
 
Celui qui s'en va
ne donnera plus, après son départ,de nouvelles;
ce qui est juste et ne doit pas nous étonner
-il est loin, il est là-bas : quelque chose
       d'indéfini
autre chose,
quelqu'un de différent-
comme le vase que l'on déplace au matin
d'une extrémité à l'autre de la table
(et toute la pièce elle-même s'en trouve inversée).

extrait de "Tout est cendre" /l'atelier imaginaire/le dé bleu

…………….

Cendre. Tout est
cendre. Les jours qui se ressemblent et les
réflexions (à chaque fois nouvelles) qu'ils
nous inspirent.
Et les jours où l'on soufflait sur ses doigts gelés
en attendant l'autobus.
Cendre, l'attente
(en hiver, la nuit arrive si vite!)

extrait de "Tout est cendre"

………………………

Leurs chaussettes, leurs chemises,
immobiles sur le fil à linge
(depuis un mois, je n'ai pas songé à les
décrocher).
Ce n'est pas l'idée de la mort qui m'empêche
de dormir.
Quelqu'un est déjà mort – tous sont morts,
tu l'avais deviné, non?
Non, ce linge qui pend dehors
? que je n'arrive pas à fixer, que j'évite
toujours de regarder.
Quand une nouvelle hirondelle est venue
se poser sur le fil, avec le soleil couchant,
(et tous ces lointains, maintenant acceptés).

extrait de "Tout est cendre"

……………….

Ainsi, peu à peu, nous faut-il toujours laisser
quelque chose
et parler avec précaution d'hier (de ce que nous
avions abandonné dans notre sommeil) :
parfum d'herbes brûlées derrière les persiennes;
lumière aride des lampes
avec la fumée des cigarettes qui vient les
envelopper;
la paire de lunettes restée, droite, sur un livre
ouvert, continuant seule la lecture
(cherchant toujours l'explication).
(..)
Mais pourquoi donc regarder en arrière,
comme derrière la pitié
et la désolation des soirs
? mais pourquoi faut-il que le soir vienne
encore
(...)

extrait de "Tout est cendre"

……………

A l'entrée de l'hiver,
aux heures plus longues et incertaines,
on se demande pourquoi
telle chose n'est pas arrivée,
qu'est-il advenu de celui-là
? que nous appelions Frère jusqu'à hier.
Sous la pluie les roses trémières baissent la tête
comme si elles voulaient s'excuser;
et puis c'est un frémissement de joie brève
qui viendra se glisser sous la robe des dernières
feuilles
et qu'on laissera dehors, avec tout le reste,
en fermant la porte.

extrait de "Tout est cendre"

………………………………….


Textes tirés de « Dernier café chez Antigone »
(à paraître, 2021)

Mais, maintenant, j’ai sommeil. Oui, sommeil.
O, j’ai sommeil comme jamais !
                                                  Pourrais-je dormir un peu, tu ne m’en voudras pas ?
                      O, m’allonger et m’en aller, ainsi, au fond de mon sommeil
--m’en aller, nue, dans un sommeil sans fin, sans but (enfin) !
Un sommeil qui exaucerait tous mes caprices, m’ensevelissant
dans ses pétales,
           dans ses oiseaux,
                       dans ses syllabes, ses cristaux,
                                   dans ses longs copeaux,
sans rêves, sans raisons,
                                      sans minutes comptées, sans miroirs
ni bougies, sans aucun de mes visages dans le miroir (mon visage
à la bouche trop triste toujours) ;
un sommeil comme au cours de cette longue après-midi au bord de la mer – où tout serait là
et dormirait aussi : les parasols et l’ombre des enfants
sous les parasols,
le sable muet, les vagues immobiles, le temps comme une poussière
    au coin de l’œil de l’horizon,
le soleil, lui-même endormi, nous réchaufferait d’une façon tout à fait      
    équitable –
                                     quelques oiseaux lumineux
suspendus en l’air
                             et leurs cris arrêtés –
                                                               à tout jamais. O, et puis
plus rien :
                plus de traces de mes pas sur le sable, derrière moi.
Plus de destination à mes pas –
                                       plus besoin de prendre des photos de vacances,
plus besoin d’album dans lesquels ensuite les ranger –
plus de traces de mes manuscrits, de mes mots,
plus traces de mes lèvres sur le rebord des verres,
plus de trace de mon haleine sur le verre des mots –

plus besoin de couper les gâteaux d’anniversaire –
plus de livres sur mon lit,
plus de nuits entre les jours –
plus aucun secours –
plus d’ampoule grillée à remplacer –
plus d’alphabet,
plus de ciel entre les lettres –
                                              plus de lettres glissées sous la porte –
plus de vent sifflant sous la porte,
                                                     plus de vent – nulle part – jamais –
plus aucun champ, plus d’asphodèles !
Plus une seule larme de plus dans la mer –
plus aucun reniflement de bateau contre le quai –
    plus aucun bateau pour justifier la mer !

*

Voudrais-tu aller fermer cette fenêtre maintenant ? J’ai froid.
    Il fait toujours si froid, ici.
J’ai beau y prêter toute mon attention, je tremble toujours un peu.
Est-ce l’âge ?
Tu vois, j’ai fait tomber quelques gouttes de café sur la nappe en te servant,
tout à l’heure (je venais de me réveiller) –
c’est que je me sens en permanence épiée, malgré tout – prisonnière, je ne sais de quoi-
de rien en particulier, admettons : de cette tache de café sur la nappe
et de ton empressement à la dissimuler en y posant la tasse dessus, puis à détourner
    la conversation – prisonnière
du bref silence gêné qui a suivi…
je crois que là est l’origine de ma maladie : cette propension à accorder
une importance démesurée à des évènements insignifiants, minuscules,
et à les extraire du paysage auquel ils appartiennent
comme s’ils offraient une clef secrète,
                                               la clef grâce à laquelle,
si on la faisait tourner (dans la serrure invisible en bas du tableau),
le paysage se retournerait sur lui-même
et, avec lui, le temps
                           et ma solitude ?

*

Si je pouvais me passer de cette manie d’écrire. De parler.

Quand j’écris, sais-tu, je ne fais pas qu’écrire : j’entends en même temps
l’écume grincer sur les rochers en bas de la falaise,
dans l’obscurité totale, dans l’équanimité impassible de la mer et du vent.
J’entends le sable qui cherche à tâtons entre les rêves, entre les branches,
    entre les volets de ma chambre.
                                           J’entends les ongles des pieds des vieux
qui crissent sous le drap quand ils se retournent dans leur sommeil (ou leur
    insomnie),
                  et les halètements de ceux qui font l’amour
une nuit – et ne se reverront plus. Leurs cris ne se reverront plus.
Leurs sueurs ne se mêleront plus dans toute éternité.
                                                                    Le feu de leurs yeux
ne contredira plus jamais le mur crasseux de cette chambre d’hôtel
dérisoire. Plus jamais. Et ils auront perdu, eux aussi.
Perdu jusqu’au prénom de Celle-là ou la démarche de Celui-ci…


*

    Tu observes l’horloge, d’un œil inquiet…il semblerait que les heures ne veuillent pas s’écouler aussi vite qu’il le faudrait ? Les aiguilles tournent pourtant toujours à la même cadence avec, bien sûr, quelques infimes variations du lundi au dimanche – du matin au soir –
             la lumière n’est pas toujours identique sur la cadran selon les saisons, les secondes pèsent parfois plus ou moins, mais les heures qui s’additionnent font aimablement toujours le même résultat à la fin de la journée,
                                                                                avant d’emprunter le long couloir de la nuit…

                           Tu reprendras bien un dernier café, avant de partir ?
Il te resteraient deux ou trois cigarettes à m’offrir, avant de partir ? –
pour la nuit –
                     pour que je me sente moins définitivement seule dans la nuit,
dans cette maison : les volutes opaques de leur fumée me tiendront
    compagnie,
leurs boucles volatiles dessineront dans l’espace
comme des points d’interrogations évolutifs,
                                                                      se métamorphosant
en fleurs, d’autres formeront quelque gueule ouverte de dragon
ou bien suscitant des masques inexpressifs – derrière lesquels je devinerai
    un souffle, le tien peut-être ?
Mon chat, assis sur la table, à mes côtés, a coutume de les observer, fasciné, se tordre, s’étirer et se dissoudre dans le long nuage rampant contre le plafond –
                 mes chers idéogrammes de nicotine !...
*
(Toulouse, 2005 / Ramonville St Agne, janvier 2021).



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CHRISTIAN SAINT- PAUL


Christian Saint-Paul, un personnage incontournable sur le pavé poétique toulousain et bien au-delà. Beaucoup parmi vous lecteurs connaissent sa voix que l’on entend les jeudi soir sur dans son émission Les Poètes, sur Radio Occitania. Vous l’avez bien entendu vu et entendu au cours de lectures dans divers endroits, notamment la Maison d’Occitanie de Toulouse.
Très tôt s’est révélée à lui la nécessité de la poésie, qui l’a ensuite accompagné toute une vie. Tellement nécessaire qu’il a lui-même écrit, publié et diffusé de la poésie depuis son adolescence. Ainsi, depuis 1966, avec Les peupliers, sa première collection de poèmes, publiée, Christian Saint-Paul est l’auteur d’une trentaine de livres de et avec de la poésie. Trois périodes fécondes se dessinent dans sa bibliographie : 1966-67, 1983-91, 2001-2020. Dans cette dernière période, un trait récurrent est la puissante évocation de lieux, comme dans  El barranco de la sangre, 2010, Indalo, 2015, et Toiles bretagnes, 2017. Plusieurs fois, le poète revient sur sa ville , Toulouse, qu’il rend emblématique, notamment dans Tolosa melhorament, poème écrit en français avec traduction en occitan, publié 2009 dans le livre Vous occuperez l’été.

Nous trouvons le récit de l'activité de ChristiaN dans deux entretiens entrecroisés, l’un avec Michel Baglin dans la revue en ligne Texture (1), l’autre nommé par lui-même « entretien conférence senior » (2). Il y a aussi les mots de Michel Baglin à la troisième personne sur la vie et l’activité de Christian. (*)

Christian évoque également dans ces entretiens quelques aspects de la poésie et les poètes. Quelques mots de quatrièmes de couverture sur les livres évoqués ici suivront ces propos.

Et puis les poèmes sur la Bretagne, sur l’Espagne et Toulouse. Christian écrit volontiers des poèmes longs. Cela conduit, en raison du
format de ce site, à proposer, pour les trois premiers poèmes, des morceaux choisis, mais assez longs quand même, et de garder en totalité Tolosa melhorament.

Une intimité précoce avec la poésie

Je suis né en Ariège, mais j’étais à l’école maternelle à Toulouse, chez ma tante, qui était directrice à Jules Julien. /…/J’ai vécu ma scolarité ensuite à Narbonne, à Montauban, pour revenir en 1966 à Toulouse. (1)
A l’âge de douze ans, j’ai admis que je ne pouvais appréhender le monde dans sa complexité effrayante, que par la poésie. Les poètes me parlaient, je pouvais m’installer dans un univers où je ne serais pas l’étranger. (2)


Élève du lycée Berthelot, à Toulouse, dans les années soixante, il avait créé sa revue, « Florilège », avec un autre poète, Michel Eckhard. Brel avait accepté de les parrainer, ce qui leur avait valu de le rencontrer plusieurs fois et d’obtenir du chanteur alors en pleine gloire une interview exclusive ! (*)
J’avais été terriblement heureux à Montauban dans les années soixante et ce fut un vrai déchirement de quitter cette ville où la vie était facile et les amis scellés pour toujours. Les premiers temps, je revenais sans cesse à Montauban où ils me logeaient. Je parle de ces trains qui me ramenaient à l’amitié dans les « Murènes monotones ». (1)
Puis, j’eus la chance de trouver quelques amis indéfectibles à Berthelot autour de la poésie. Avec Michel Eckhard-Elial, Jacques Miquel et le parrainage de Jacques Brel, nous avons créé, en 1966, le Pop club poésie. Au Cratère, j’ai rencontré Claude Saguet que je n’ai plus quitté, alors qu’Eckhard-Elial, Miquel et les autres sont partis accomplir leur destin ailleurs. Après mai 1968, les amis, à l’exception de Saguet, avaient quitté Toulouse, la ville changeait et m’échappait, la poésie se faisait dans les universités et j’ai été confronté à une certaine solitude que je liais à Toulouse. J’ai eu alors ma révélation de ma passion pour l’Espagne et mes séjours, là-bas, m’ont apporté l’enthousiasme de vivre que la ville avait étiolé. Au dernier trimestre de 1970, il était évident que l’action clandestine contre le franquisme devait changer de visage et que l’Espagne entrait inexorablement vers la modernité. Il fallait remiser les armes et laisser la place, mais toute la place, à ceux de l’intérieur qui devaient réussir le passage à la démocratie par la persuasion d’un langage. Surtout, plus d’action violente, à l’exception de l’élimination incroyablement réussie de Carrero Blanco qui représentait un danger évident de maintien d’une dictature qu’il aurait rendue prospère, avec l’aide de l’Opus Dei.
/…/
Entré dans la vie active en novembre 1970, jusqu’au début des années 80, ma vie fut vouée au travail. Je rédigeais des jugements et j’aimais le monde judiciaire. Sur l’insistance de Claude Saguet, je publiais « Les murènes monotones ». Je croisais Heurtebise et j’étais abonné à “Multiple”. Mais à cette époque là, j’étais surtout en contact avec Pierre Boujut, Pierre Béarn et Michel-François Lavaur, des revuistes passionnés.

En 1980, je découvris de nouveau qu’il y avait une vie poétique à Toulouse. Je me suis rapproché de Cosem ; la mode poétique changeait. Je lisais beaucoup, tout ce que je pouvais trouver en poésie. Texture, Multiple, Encres Vives, Tribu publiaient des textes de poètes que je découvris avec bonheur. Serge Pey rassemblait un large public lors des Rencontres Internationales. Je me rendais de nouveau à la Cave Poésie. C’était une renaissance. Je voyais Toulouse différemment ; je voulus tout savoir de son Histoire, de ceux qui l’avaient habitée et qui en avaient été marqués. Je fis mon retour dans l’action poétique.

On était loin du romantisme des années soixante au Cratère, mais je fis paraître une revue avec les moyens de bord : « Poésie toute », puis une autre « Carnets des Libellules ». Elle étaient éclectiques, brouillonnes, (j’avais conscience d’être “le gitane” de la poésie à Toulouse), mais elles rassemblaient. Curieusement, elles m’ancraient à Toulouse, alors que grâce à Eckhard-Elial, je publiais des poètes israéliens et palestiniens.

Je redécouvris aussi Félix-Marcel Castan, les poètes de Montauban : Malrieu, Herment. L’œuvre poétique de Castan est majeure. Il l’a négligée au profit de ses écrits théoriques sur la décentralisation culturelle. Je crois qu’il était heureux que je le ramène toujours à sa poésie, car je le reconnaissais avant tout comme poète. Mais dès ces années 80, il m’avait persuadé que Toulouse était une ville capitale. Alors, elle devint pour moi le prolongement de Montauban, du Mas d’Azil, de Carcassonne, de Narbonne. Il n’y avait plus opposition, mais aboutissement. J’étais un ariégeois méditerranéen de Toulouse. En même temps, je découvris une vraie fragilité à cette ville qui, comme toutes les villes, peut être défigurée par les erreurs des hommes. La défiguration peut être aussi morale. C’est dans ce sentiment qui m’obsédait d’amour enthousiaste et d’angoisse inexpliquée que j’écrivis ce texte « Tolosa Melhorament ». Quelques mois après l’avoir écrit, ce fut l’explosion d’AZF. Ce désastre me rendit plus intelligible les derniers passages du poème. (1)


Christian Saint-Paul partage son temps actuellement, entre autre entre sa mission de mainteneur de l’Académie des Jeux Floraux et l’animation de son émission “Les poètes” à Radio Occitania (98.3 MH2) que l’on peut écouter chaque jeudi de 20 h 15 à 21 h, en direct mais qui est également diffusée sur le site : www.lespoètes.fr.


Le poète a des devoirs

Le pauvre idiot est “l’innocent du village” qui voit au-delà de la réalité conformiste ; c’est une métaphore du poète. (1)
Mais le poète, comme tout artiste véritable, est un homme dans la cité. Il partage une vie ordinaire et des passions profanes avec ses semblables. Le poète qui « pose » au poète est aujourd’hui une caricature. Car le poète a le devoir de prouver que la poésie, loin de tourner le dos au réel, se jette à sa rencontre pour l’éclairer autrement. La poésie doit laver les mots factices que nous employons tous les jours pour les prononcer dans leur vérité. Elle doit accomplir ce que Christian Bobin appelle « le travail des saints » qui consiste à « nettoyer la vie, extraire la pierre précieuse de la gangue de boue sèche ». Le poète prête aussi langue à la foule des laissés-pour-compte, non pas pour leur permettre d’oublier, de fuir ou de se divertir, mais pour souligner combien ils sont vivants et nobles dans leur apparente défaite. (2)



La poésie est un travail en commun
 
Lire, écrire de la poésie sont des actes de résistance indispensables à ma survie. (1)

Car en poésie, le sens, sans pour autant divaguer, n’est pas sèchement figé. Le lecteur y apporte sa propre expérience qui, par définition, est différente chez tous les individus. C’est l’adhésion à cette expérience personnelle qui a fait le succès des grands poètes que vous citez. Les gens se reconnaissaient. Ils reconnaissaient également le monde dans lequel ils étaient immergés. Plus tard, à la fin des années soixante, les poètes ont voulu innover. Ce fut une période de poésie de laboratoire, de poètes universitaires. Naturellement, le public s’est restreint.
/.../
Car, plutôt que de révéler à l’homme un hypothétique bonheur dans le rêve, la poésie l’ancre dans la réalité de la conscience. (2)



Ils ont parlé des livres

Toile Bretagne   au Monde en poésie

Son très récent Toiles bretagnes (l’adjectif est en italique), qui se veut un “poème radiophonique en forme de récit”, est une longue excursion au pays des calvaires, et jusqu’aux derniers vers, les plus prégnants en ce sens, Saint-Paul semble nous réciter un rosaire, où les noms des saints ont cédé leur place à ceux des poètes, qu’ils s’appellent Perros, Guilloux, Grenier, Robin, Saint-Pol Roux, Le Quintrec, juste pour en citer quelques uns, tous magmatiquement enracinés dans la terre bretonne où souffle un vent qui gonfle les toiles bretagnes, les voiles de lin des antiques voiliers. Ça a l’air d’un guide touristique parfois, mais c’est un voyage initiatique dans le sauvage et le secret d’une terre, dans son histoire grandiloquente et son quotidien de souffrances, le tout nivelé par l’oubli, contre qui la poésie lève sa digue généreuse et fragile. Il y a toujours une identité à défendre, d’où ce parallélisme avec l’Occitanie. Bretagne/ j’ai reconnu ton Histoire/ dans l’Histoire d’Occitanie/ quand on arrache l’ortie cathare.

Andrea Genovese


Indalo       aux éditions Encres Vives

Pas d’Andalousie sans l’ombre de Lorca, pas d’Espagne sans le souffle fiévreux d’un Don Quichotte, les eaux fortes de Goya et les « yeux noirs de feu névrotique » d’un Cordobès. Christian Saint-Paul nous emporte à la rencontre de l’âme andalouse, du duende tapi dans ses tréfonds. Une âme trempée « dans le souffre du soleil ». Ombre et lumière, voilà l’Andalousie et « la Bible infinie des étoiles ».

Des pierres, des fantômes et des Vierges tristes, des enfants vifs sous des peaux brunes, de la ferveur et des brasiers lumineux. Des plaies de guerre, le sang des fusillés et des religions qui se côtoient dans de grands jardins, où coulent des fontaines, des forteresses et « les indénombrables châteaux en Espagne ! », des prières et « des rancœurs d’un autre âge qui agitent les cargos aux amarres. »

Cathy Garcia


Tolosa melhorament     ce texte figure dans "Vous occuperez l'été" aux éditions Cardère.

J’ai entretenu longtemps avec Toulouse des sentiments ambigus. (1)

Le titre Tolosa Melhorament , venu du rituel cathare, est en langue d’Oc. J’ai voulu faire entendre cette langue magnifique et j’ai demandé à deux éminents poètes occitans d’en réaliser la traduction. Jean Malrieu disait : « Je suis un poète occitan de langue française ». Ce n’est pas une boutade car la culture occitane ne saurait se résumer à sa langue. Il faut bien sûr favoriser son éclosion de la meilleure façon possible, mais il ne faut jamais abandonner l’éthique de la culture occitane. Elle recèle toutes les valeurs humanistes modernes résumées en un mot : convivencia, qui exprime l’attachement à l’autre, étranger ou pas, comme un autre soi-même. (2)

Il s’agit d’un long poème bilingue franco-occitan, « Tolosa melhorament » que l’auteur qualifie de « poème radiophonique » car il a été conçu d’abord pour être lu, et qui dit son attachement à sa ville, à ses rues et ses places, son histoire, ses artistes. De fait, Christian Saint-Paul chante ici dans son arbre généalogique occitan (son « identité languedocienne méditerranéenne », et ancre ses vers en des lieux précis, les attache à des personnes nommément définies, et s’il se souvient des supplices de Vanini et Calas, n’hésite pas à évoquer les contemporains, les amis artistes, Michel Eckhard, Serge Pey, Michel Battle, etc.  (*)
Félix-Marcel Castan. Le chantre aujourd’hui disparu de la culture occitane et de la décentralisation culturelle voit en Saint-Paul un auteur dans la tradition du XIIe siècle, ne pouvant écrire qu’à partir de sa ville, Toulouse.
Il y explique aussi que le « melhorament », c’est « le progrès moral et vital que chacun doit à l’Amour » Et rappelle l’apport des troubadours en la matière, quand « la première poésie d’Europe, au XIIe siècle, a déplacé l’axe de l’Amour, l’a ramené du Ciel sur terre, vers l’être individuel, vers la femme, vers le couple fragile et tangible ». (*)



ET MAINTENANT DES POÈMES

 

TOILES BRETAGNE

Bretagne
je t’ai prise aux épaules
je suis allé à la rencontre de ton souffle
dans les chemins où tu livras bataille

Bretagne
j’ai remonté tes étymologies
dans tes estuaires
moi qui ne connaissais
que les rias cantabriques

J’ai mangé ton froment et bu ton cidre
dans la forêt de Brocéliande
avec Merlin  le roi Arthur  Nominoë
et la duchesse Anne

Bretagne
je suis retourné dans tes terres
labourer le poème à ta gloire

Je suis revenu encore scruter
tes rivages d’entre les îles

/…/
Bretagne
j’ai accosté aux quais de ta sagesse
j’ai vanné le temps de tes bonheurs enfuis
j’ai touché tes mégalithes à Jarnac
moi l’azilien familier des dolmens

Bretagne
j’ai reconnu ton Histoire
dans l’Histoire de l’Occitanie
quand on arrache l’ortie cathare

Bretagne  Occitanie
nous sommes sœurs
nous avons été reines parmi les civilisations
trop puissantes trop brillantes
pour ne pas être convoitées
civilisation maritime de la Bretagne
qui faisait commerce avec les empires
civilisation des arts de la convivencia de l’Occitanie

Paris a pris nos terres
nos richesses nos langues
et nous a laissées
au bout de son territoire
nous étioler lentement
dans le ressassement du fugace et de l’éternel

Mais nul ne parvint à effacer les sillages
de nos temps prestigieux

/…/

Bretagne
tu m’as délivré
de la prison des doutes
et je regarde librement tes calvaires
s’élever
dans le plain-chant
d’une vérité lustrale

…………………………………….




EL BARRANCO DE SANGRE    aux éditions Encres Vives


Aie ! Federico ! Nous t'avions endormi
 Dans l'allégresse d'un peuple libéré
De la patience du vent

Federico nous t'avons honoré
A portée de lune
Dans le galop du temps gitane
Qui épuisait notre jeunesse

Et à Grenade Federico tes yeux me fixent
Ourlés du noir pressentiment qui accuse
Quand tu donnes le bras de l'affection
 A Constantin Ruiz Carnero

Federico je tiens ma fille par la taille à l'Alhambra
Et toi tu m'enlaces de tes poèmes
Incrustés comme des échardes

Federico
Manuel Garnacho l'architecte fidèle
Voyageait avec le livre rouge de sang caillé
De tes oeuvres complètes
Interdit alors
Mais que tout espagnol lisait

Et ce n'est pas le moindre de tes paradoxes
Federico !

Et le sang andalou de ses ancêtres
Irrigue ma fille
Et par elle je m'approche de toi
Tu tiens ton rôle
Dans les signes de la Sierra Nevada
Dans les villages blancs miroirs de ta langue
Dans la nuit chaude qui nous recouvre
De l'obscure racine du cri
D'un crime à Grenade

Ô Federico les mythes grecs
Charrient le sang des vies détruites
Dans la démesure du temps
Et le tranchant des pierres
Jetées aux gitanes
Qui s'abritèrent de l'horreur dans l'Alpujarra
Avant qu'Aranda le franc-maçon
Fasse signer à Moi le Roi Charles III
 L'édit qui les tolère dans l'errance

Et le chant profond est né Federico
Que ta langue propage
Dans les couloirs d'air du monde
Et en ravale le feu
C'est revêtu de sa puissance
Que je viens à la rencontre de l'avenir intime
De la terre andalouse

Il règne ici
Une sérénité rougissante
Qui déborde les jours
Et des nuits de cendres chaudes
Qui apaisent l'Histoire

Et ce chant qui mord les entrailles
Venu des synagogues des mosquées et des indo-européens
Ce chant gitane allonge la vie
Et abolit la honte
Dans un subtil ressassement du cri

Ô Federico ! le sang est plus fort que nous
Et l'honneur gitan est sauf
Quand on rapporte du monde la fatalité
De l'arrêt de ta parole
Dans ta poitrine hémorragique

Dans le sillon d'Isabelle la bien nommée
Nous parcourons ta montagne
Radieux dans la résurgence
De la romance de sa mère
Enfuie avant que ne s'embrasent les villages
Dans un déluge de mitrailles

Et la terre exhale l'haleine des parents
Unis
dans la fosse commune
Du cimetière d'Almegijar

Leurs éternelles noces minérales
Fécondent leur mémoire
Qui invente leurs formes évanouies
Sous l'écrasement final

Ici fomenta leur révolte
Dans l'alignement des oliviers
Dans le portail de la montagne
Qui les enfermait dans la traque d'un pain
Qui se méritait
Dans l'utopie de chaque matin

Et ce fût sous un très vieux olivier
Que tu fus enterré Federico
Dans une fosse étroite avec trois compagnons

Et ta lavallière d'artiste
/…/
Et Isabelle aujourd'hui
Avec sa fille
Gambade dans les amandiers
De l'enfance de sa mère

Elles vont dans les chemins sans abri des fusillés
Elles montent sur l'ombre de l'église
Qui se casse comme une cruche
Quand un nuage blanc la domine
/…/
Nulle tension dans la trogne des vieux
Assidus à leur banc et au silence complice :
Les années ont poli le rebord de leurs certitudes

Ils savent depuis longtemps
Que les gitans de Lorca
Ont franchi les frontières de la peur universelle
Qu'ils sont partis hanter d'autres peuples
De leur allégresse interdite
Oxygénant la parole
Par les brèches obstinées de leur passage
Apportant le duende
Pour exorciser leur terreur sèculaire

Le soleil retourne l'écho de leur éternité
Leur cri se referme sur leurs pas sans trêve
Et ils se parent du linge blanc
De sel de la lune
Pour tendre leurs rêves d'enfants en larmes
A la vierge noire
Qui bénit les vieux d'Almegijar
Au souffle lourd de ce chant
Serré dans leurs poitrines
Jusqu'à briser leur coeur

Et dans les montagnes de l'Alpujarra
Les années se comptent
Comme autant d'aventures
Celles ostentatoires de l'allégeance à Franco
-et les chuchotements
­Celles du consumérisme mondialisé

Mais les montagnes ne se donnent pas
Au cosmopolitisme niveleur
Elles ne dilapident pas leur histoire
Et Isabelle sourit de son permis de séjour tacite
Dans l'originalité des générations
Nées de ces terres depuis le néolithique
Et qui venaient souvent de la mer
Comme vint le sang
Pour la dernière fois l'été 1936
/../
Que de sang pour les maisons blanches
De Portugos de Pitres de Bubion de Pampaneira de Capileira
Adossées à la Sierra Nevada
Dans une quiétude solaire
Que de sang à oublier
Dans la félicité des ânes
Des fontaines rouges d'eaux ferrugineuses
De l'hospitalité des villages
Pittoresques jusqu'au délice
Que de sang pour rompre les ténèbres

Mais Isabelle répare
La parole brisée de sa mère
Et moi je recueille
La parole enfouie de l'Occitanie
Parole violentée deux siècles avant la défaite arabe
Et ce pays d'une flagrante connivence
M'est limitrophe
Il parle la même langue d'amour
Suprême conquête arabe

La croix du Sud et
La croix du Languedoc en douze points
Se parlent dans leur alphabet infini de signes Croix régnantes
Dans leur confirmation mutuelle
Elles libèrent l'air de la Sierra Nevada
Et l'air des Pyrénées

J'appelle Isabelle à côté de leurs voix
Libertés désolées des oublis séculaires

Que nos oreilles ne soient plus bouchées par le silence
Qu'enfin les peuples sachent tout de leur parenté
Qu'on leur appose le sceau léger de la fratrie
Qu' Isabelle et notre fille
Blondies de la clarté de l'Alpujarra
Prennent possession de leur héritage universel
Qui revient des siècles
Humain parmi les choses de leur vie

/…/


*En 1610, sous Philippe III, les maures ( plus de 80 000 ) furent expulsés de l'Alpujarra. Une grande partie du territoire de Grenade fut dévastée. II y eut un repeuplement de paysans de Galice, Leon, Asturies et Castille ; 12 542 familles repeuplèrent 270 villages et 130 furent perdus pour toujours. A partir d'alors commence la décadence de la région qui tombe peu à peu dans un long oubli historique.
Il faut attendre l'insurrection du 18 juillet 1936 pour que l'Alpujarra se signale, les rebelles qui possédaient Grenade, ne pouvant s'aventurer au-delà de Lanjaron.
Orgiva, évacuée, se trouva entre deux feux jusqu'à la fin de la guerre. Les atrocités commises par les deux adversaires trouvaient leurs origines plus pour des raisons personnelles que politiques.


……………………………………………….



                   INDALO



1-
La nuit encore
le soleil étouffant
mutile la fermentation du sommeil.
Nous vivons désormais
lovés dans ce désert
où la terre n'est que
poussière montant au ciel
en d'étranges colonnes.
Des îlots d'immeubles
parsemés le long d'avenues
vides -sans utilité-
témoignent de la chute folle de la finance.
D'immenses panneaux
mendient un regard de compassion
pour des paradis
ruinés mort-nés.
Nous apprenons à apprivoiser le vide
créé par l'appétence sans mesure de l'homme.
Le soleil dilue ces territoires abîmés
dans la fusion de midi
et enlace la mer qui console.
Elle règne ici
à trois kilomètres de nous
dans ce lieu abusivement nommé
Vera Playa.
Le soir du balcon
dans les collines sèches
qui mènent à elle
nous guettons les lapins
leur queue blanche réfléchissant la lune.
Le vent charrie
les mauvais jours
une odeur de fosse ouverte.
Quelle blessure inflige
ce deuil continu de cadavres fantômes ?
*
2 -
Vera
ville où culmine le soleil
dans une purulence torride.
Mais l'ombre dans un jardin public
l'éclaire généreusement
d'une note avenante
sur la magnificence des villas
volets clos
dépitées d'un réel
toutes à leur silence.
Et il n'y a que le silence
l'après-midi
pour rendre la ville à elle-même.
Plus tard l'intime
reprend pied
dans l'alternance de l'ombre et du soleil.
Ombre ou soleil
selon sa fortune
l'aficionado s'installe dans la houle des arènes.
Sang mêlé des taureaux
dans le sable doré
où s'étire la tragédie.
Ombre des grands
figés dans leurs photographies
bons aujourd'hui pour le musée taurin.
El Cordobes et son visage
soudain fermé à la joie démente de la foule
des yeux noirs de feu névrotique
qui défient la mort
rature d'une misère vaincue.
/…/

3 -
Dimanche de fête à Vera.
Les éclairs cinglants du soleil de septembre
lacèrent la ville.
L'anodin n'a plus cours
dans les rues désertées.
Tous attendent
à la sortie de l'Ermitage
la Vierge des Vergers.
Cette forme qui s'approche
submerge le destin
d'un été qui décide
de survivre à sa propre saison
de secouer l'éternité
par la liesse
et l'étourdissante chaleur.
/…/
Pour dissoudre tant de chaleur
le soir nous nageons dans la mer agitée
apaisés par le vent et les vagues
et sur le sable refroidi
tard après le coucher du soleil
nous élisons une présence
dans la Bible infinie des étoiles.


4 -
La lumière aurifère épaisse
et sa chaleur de volcan
distille à Aguilas
sa finitude de ville idéale.
Le bijoutier qui accroche un bracelet à ma montre
avec la lenteur
de celui qui n'aura ce jour
plus d'autre tâche
providentiel
comme l'air réfrigéré de sa boutique
me garantit de mesurer l'escorte du temps.
Place d'Espagne une vieille dame
le front et la joue droite découpés de cicatrices
la beauté ébréchée éclairée d'un rouge à lèvres rouillé
clopine et vient s'asseoir près de moi
sur un banc immergé dans l'ombre périssable
d'un arbre séculaire.
Elle me dit
qu'elle est née à Aguilas
qu'elle y a toujours vécu
et que certainement elle va y mourir.
Que c'est bien ainsi.
/…/

5 -
Dans la longue avenue de magasins
nous cherchons l'occurrence des choses
sur les épaules de la ville.
Garrucha s'étire
 reptile ivre de soleil.
Au port les bateaux s'amarrent
dans le rictus du temps compté.
La peau brunie
les garçons de café s'affairent
impuissants à étouffer les chants flamenco
qu'ils fredonnent les yeux luisants.
Quel ailleurs monte dans le duende
sous les bâches
où transpire le soleil ?

8 -
Les enfants de Mojàcar
courent trois fois
dans les rues raides de la ville.
Ils sont fils de la falaise et du vertige.
Ils aiment voir la mer loin
léguer des couleurs de vie.
Leur ville perchée est blanche
petite Alger.
/…/
Perchée au sommet de la pyramide de la ville
l'église Santa-Maria
emprunte au vent
sa complainte de douleur.
Un Christ peint - gigantesque brasier de lumière -
éclaire l'autel de sa patience figée.
Il illumine sa mère
une Vierge triste
dans ses habits d'éternel dimanche
qui attend
raide dans sa nuque de bois
la procession prochaine.
Toute cette beauté saint-sulpicienne
réchauffe mon enfance oubliée
ce temps de l'illusoire douceur du monde
où les chemins de la foi ne reculaient pas
devant les rebuts de la Providence.

10 -
Le poète par sa naissance
possédait le nom de cette ville pétrifiée de soleil :
Lorca
imitant Henri-Marie-Raymond de Toulouse-Lautrec
qui portait haut le nom de la cité occitane.
Anesthésiée enveloppée par la croûte brûlante
de la chaleur de l'après-midi
Lorca
fait la morte.
La ville ferme ses portes et ses fenêtres
fige ses rues vides
dans le silence des montagnes nue
qui la dominent.
Bravant l'éblouissement de l'heure
nous marchons vers les hauteurs du château.
/…/
Vautrées dans l'ombre étroite des façades
des femmes remettent à plus tard
leurs travaux harassants
tout entières à ce répit
leurs voix sourdes
à peine dérangées par les cris
des enfants qui jouent.
/…/

11 -
Indénombrables châteaux en Espagne !
Le château Nogalte surveille de haut
Puerto Lumbreras.
Les rêves ici durcissent
les âmes trempées
dans le souffre du soleil.
Un souffle prisonnier des montagnes
s'enlise dans la ville
apporte la puanteur des porcheries de la plaine.
Ensablée de sommeil l'après-midi
la ville plonge par nécessité
dans le désœuvrement du repos.
En djellaba et mules blanches
un homme mince à la barbiche noire
descendu des hauts quartiers
pressé de fuir de puissantes misères
nous suit puis nous précède.
Où commence l'Orient ?
La rivière El Cano
d'une absolue sécheresse
ne cède rien de la propriété incontestable
de son lit démesuré.
Ses colères assurent son respect
et sous ses ponts
qui n'enjambent que des pierres et du sable
des gitans de passage
cachent leur errance à l'ombre des grandes arches.
/…/

13 -
Indalo


 

symbole d'Almeria :
"né dans les temps préhistoriques, par son influence la jeunesse dure plus longtemps"
Almeria
ta mémoire ivre
depuis des millénaires
raconte les rivages de la mer antique
l'inaltérable désir d'une traversée sans fin.
La ville languit
anxieuse d'une contraire immobilité.
Enchaînée à Indalo
elle éblouit le passant
et le marin qui accoste.
Impérieuse
elle lègue l'assurance d'un rêve
scellé à un dessin
qui retient son destin.
Elle mûrit une jeunesse
capturée par les primitifs ancêtres.
Cette volonté entame le souffle de l'Histoire.
L'âme trempée d'Indalo
sillon de feu de l'obstinée jeunesse
corrige la gangrène noire des tyrans :
en 1824 un monument en colonne
est érigé sur la grande place de la ville
en hommage aux victimes
du féroce despotisme.
En 1943 Francisco Franco le fait détruire.
En 1988 le monument est reconstruit
place de la Constitution
en hommage à tous les hommes et à toutes les femmes
qui ont donné leur vie
pour la Liberté.

/…/


16
/…/
La paix
Goya la trouvait-il
dans ses eaux fortes ?
Celles exposées au château sur la tauromachie
les vociférations de la foule
comme décor dans l'arène.
Toute la couleur d'Espagne
est dans les eaux fortes de Goya
et l'Espagne
pure couleur
se résume dans la corrida.
Engeance des toreros
les tourbillons des capes
brûlent de folie leurs bras armés.
Saignée rouge des bêtes et des hommes.
Virilité ancrée à la mort.
Chevaux mules chiens tués au combat
et ce maestro
les pieds attachés
assis sur une chaise
leurrant le taureau
avec son sombrero.
Et ce fauve
minotaure enragé
qui atteint les gradins
tue le maire de la ville
et Charles V qui fourrage
de sa lance royale
le garrot vacillant
de la bête brave
au delà de l'insolence des cornes.
Regard goyesque
promontoire du langage
de l'opaque vanité meurtrière
où s'embue le courage.

…………………………………….



TOLOSA MELHORAMENT

à Jean-François LAFFONT

 

Tolosa melhorament - Joan Jordà

                 

 

Dans le ventre de la ville
appuyée aux souches des générations
mortes
la mélodie de la tradition
désaccorde le vent et les immeubles
froids des promoteurs.
Les mots de la révolte
Toulouse est bien placée pour les dire
 dans la jeunesse erratique
de la Garonne qui déplie
ses faubourgs coulissants
 sur fond de soleil vieux
qu'entretient l'autan
 nimbé d'occasions violentes.
Dans le ventre de la ville
l'amour bonasse veille ses morts
qui relient les illusions du monde.
 A l'école maternelle Jules Julien
mes filles trébuchent sur mes pas
 nos errances se tarissent
 pour boire au même fleuve
les pluies désespérées de l'enfance.
Et les brumes du temps
 dispersent le brouillard
des fantômes adolescents
dans le ventre de la ville
qui digère les vins fiévreux de la poésie.
Ici la parole se risque et se perd.
Ici les poètes reprennent leur souffle
 avant leur marche inachevable
de l'impossible traversée du lieu.
 De pierres ornées et bâties,
au sommet,
les signes attestent
d'une présence sans pesanteur,
poussière sur les lèvres
du temps reculé
de l'ambiguë détresse.
La déflagration de l'Histoire
amenuit les ombres sévères
de la cathédrale Saint-Étienne.
D'une tour, un prêtre fit le saut de l'ange
sur les pavés,
broyant l'énormité originelle.
Et la mort s'arc-boute encore
aux ogives flamboyantes,
mesurant son unité
à l'aune des prières.
Vont-ils débaptiser l'avenue de l'U.R.S.S.

Qui nous conduisait grande rue Saint-Michel,
Michel Eckhard, frêle silhouette nouée de poésie,
et moi qui puis témoigner
de l'arête usée du trottoir ?
Michel Batile accueillait au Cratère
dans le trafic intense du rythme et de la palette
 l'attente écorchée de Claude Saguet,
 sa voix sonore qui nous faisait aimer le monde,
 le néant éloigné par le pacte des mots,
les phrases lues comme une déchirure.
Pourtant nous savions que l'état latent de poésie
ne résoudrait rien des fléaux de l'époque
 précipitée dans les vitres aveugles
d'une violence mise en cartes perforées.
Maintenant mon père ne viendra plus
s'asseoir à ma table
au 33 rue des Libellules
dans l'odeur de cire des vieux buffets.
Plaie vive de l'action
qui empêcha le père de faire halte chez le fils
ou l'inverse.
Ma maison est pauvre de cet instant de mémoire
 de l'escale du père
et riche de son infracassable image.
Nous avions habité quelques maisons moins loin
 une petite toulousaine rehaussée
à l'escalier plus raide
qu'une échelle de ferme
avec une chatte que mon père
avait ramenée
insoumise et d'une secrète douceur
pareille au déliement des terres à besogne.
Je ne sais la cause de cela
mais pour avoir bu
la pulpe de la lumière de la ville
nous y lisons notre imprégnation
qui alourdit la nuit charmée du Capitole
 tandis que le clapotis des fontaines féminines
 tiennent en alerte les femmes aux prises
 avec la majesté mesurée des façades,
 têtes penchées vers les enfants
qui exécuteront les sentences du nouveau siècle.
 Encagoulés dans leur nuit de honte
 les images des suppliciés
­
souillent les places des mises à mort,
Vanini assassiné de philosophie et Calas
 d'aveuglement
Les racines à nu de l'horreur
dévoilent les carnages de la vie commune
des hommes.
Mais la vie occitane s'affranchit
du trop de sang versé
dans l'incendie du Pont Neuf à la fin du jour
et des haines débordantes
dans les dégueloirs énormes de ses arches.
Tout est rendu à la Garonne
la confiance et l'ivresse des amours nouvelles.
Mais derrière le linge ordonné des convenances,
Toulouse enjambe le vide des visages déchus brûlés
comme les fougères oubliées au soleil.
 Elle expose ses errances,
mémoires d'abandon
dans la prison à vie de la rue.
Toulouse perdue dans les flaques d'urine
 des bivouacs de la nuit
 que je traverse sur la cime
d'une solitude de marcheur.
Et ce siècle tient du Moyen-âge
avec ses mêmes monstres
et nos frontières ineffaçables.
Mais au réveil les éclats de saphir
du jour vibrant enluminent
le Kaléidoscope des murs de briques ;
il s'agit de reprendre pied
dans les bras de la cité,
de s'ouvrir à son mirage marchand
de choyer l'insolence des riches échoppes
d'imputer la chute du vaisseau
aux oscillations de l'époque
d'abroger le mouvement de recul
des labyrinthes de la nuit
pour que les silhouettes qui ont raté
les marches plus basses que le sol
 glissent sur le dallage des places,
avec les jeunes filles en rollers qui
parfument de la grâce de leurs jambes fuselées
 les violents désirs de pulpe
 mûrie dans le secret du fruit vert.

Et la trace du taureau qui emporta Saturnin
fait éclore la jeunesse en fuite
qui rôde au-dessous du clocher de Saint Sernin
 le dimanche matin, fondue
dans les vieux étains et les livres délités.
 Et la jeunesse brève dans son escarpement
 visite d'un regard mis à nu
les bananiers malingres d'un jardin
 dans le soleil attendu de mars,
faméliques témoins de soleils plus épais,
 plantes nourricières de terres
 incompulsées comme des guides de voyage
 qui ne sont ouverts qu'au retour,
 pour soutenir une nouvelle nostalgie.
Plus loin, des tagueurs écorchent les murs
dans une mouvance acide de territoires.
Mais rien n'égale l'embrasure du fleuve
dans sa majestueuse courbe de lassitude.
 Car elle a beau s'étirer avec élégance
la Garonne ne peut accorder l'asile de ses berges
à l'encombrement des résidences
sans ternir le tain de l'échafaudage des siècles.
 Déportée par ses flots, elle oppose une sentence
de boue.
Alors, la ville boude d'un ciel bas
qui vous accable au matin
 de son cortège mélancolique
et ruine les marigots des vies habituées.
Cependant le jeu suffit à son bonheur, et à midi
 les vieux réchauffent leurs veines saillantes
le dos tourné à Godolin, dans le soleil de la place
 Wilson.
Ils regardent les terrasses des cafés
où de jeunes femmes trinquent
aux passagers de leurs nuits
qui rongent les vantaux clairs du matin
dans la consolation des rôles de second plan.
Mais comment éliminer la langue de bois
de la répétition ?
Car la ville des troubadours
n'a jamais vidé ses citernes
des eaux requises de l'amour.
Des yeux intimes s'accordent
aux bras des jeunes filles
que les caresses gouvernent.
La ville ne manque pas de chair,
elle porte à sa bouche la tendresse
­
gardée de l'enfant apaisé.
Un secret nonchalant somnole
sous les grimaces des cariatides
dévoyées au vent qui s'en va lisser le Lauragais
de toute arrogance hérétique.
Les gens du Nord ne viennent plus brûler nos sages
 dans leur litanie humble,
blanche d'une attente chaste.
Les briques fêlées par les siècles
honorent d'un même élan l'âme toulousaine
ivre de la puissance érotique des cours d'amour
et de la décence des cathares allant au déclin
sans tache de boue.
Et l'on se plaît dans l'étau de la ville,
passager des signes de son monde de paroles
 agiles comme le vent éternel
 qui agite les chiens et fatigue les corbeaux,
pur souffle du dieu nonchalant
qui dispose de toutes choses et de toutes matières de mort
avec mystère et attachement.
Dans le visage ravalé de la tradition
la ville consent à un sommeil moisi.
 Et ils sont quelques uns à porter les braises des poèmes
dans les mains des hommes immuables d'obscurité.
 Ils empruntent des mots aiguisés comme les poignards
qui égorgent les brebis noires.
Aucun de ces porteurs de paroles ne mérite l'oubli
sablonneux
dans les caves agencées de la négligence.
Nulle équerre nocturne ne mesure
la rectitude de leurs cris
gagnant la couche de chiendent des vies
perdues dans l'eau profonde de l'imagination.
Coupé de pluie, le vent maraudeur
déploie ses ailes sur leurs visages
qui ont sécrété l'innocence à la dérobée du feu.
Alix Chastagnol vibrante, sous le fouet
des déjections d'une vie consumée,
balbutiant rue Croix-Baragnon des mots sortis de leur cage
ordonnés dans des poèmes d'orfèvre.
Jean-Pierre Lamon exhibant ses masques comme des
moignons
avec les mots érudits de la colère.
Michel Eckhard, diaphane,
noyé dans la femme multiple,
avec les mots serrés de la vérité.

Jacky Renaud luttant à mort contre le vent,
avec les mots de la fatalité.
Henry-François Guitard avec les mots rayonnants
de l'élégance
de l'ultime pirouette.
Et il est juste que se confondent les vivants et les morts
dans l'étreinte des mots
donnés en offrande à la ville.
Un cheptel d'écrivains engrange des émotions de
contrebande,
chuinte de trouvailles liées en gerbes de paraboles.
Ils franchissent la porte haute du Capitole,
portent leurs pas d'équarrisseurs du verbe usagé
vers la Cour Henri IV où le duc de Montmorency perdit la tête
comme eux, promis aux échéances de cendres.
Dignité des hommes qui sortent le peuple de l'ombre
et le déglutissent dans le détour de leur langage,
réfractaires à la colonisation des défricheurs.
Bonheur de se lover dans la performance de Serge Pey
qui déborde des peurs et des violences
dans les globes rouges des tomates qu'il écrase
de la bouche des torturés
et de leurs poumons de nuits vermeilles.
Serge l'aiguiseur de couteaux,
seuls compagnons de la machine qui geint au sud
dans les coplas cuirassées de marbre.
Et Monique-Lise Cohen, chapeautée de noir
brasse les obliques voies de la lumière
qui gronde d'élégie la Joselito
au corps mangé par un ciel de souffre hermétique.
Ô les ombres emportées par la nuit
que l'on tire à mainlevée
dans les plaintes des trains qui frappent
la ville d'atroces ornements !
Soudain les fenêtres dans les quartiers, se ferment d'illusions
comme une malédiction étrangle la langue froide
de la résignation.
Toulouse, à l'orée du monde geint encore
dans ses faubourgs et se désespère
de n'être plus devinée,
roulée dans les chiffons du vent.
Mais quand l'autan cesse la remontée des toits,
retournant au sommeil,
quand les pigeons tournent plus vite sur les places,
 remis de leurs blessures
et fientent sur les sirènes de la Trinité,
la cité fière des Capitouls tombe de plus haut.
Les hoquets de l'inquiétude l'empoignent

et, Place Dupuy, une couverture d'attente s'abaisse
 sur les lauriers de la dame Renommée
comme le catafalque de la dame Tolosa.
 Et il a bien raison Michel Cosem de rappeler
que toute action de l'homme
s'enracine dans le passé comme un vieil outil,
que l'Occitanie essaime toutes les plumes de ses élancements,
blanches et noires comme il sied aux aigles des Pyrénées.
Michel Cosem "couvert du sang des fables" laboure
 depuis des décennies les terres arables de l'écriture
 dans les caillasses des Corbières, du Quercy ou de l'Ariège,
 mais c'est rue du Taur qu'il rallia ses amis d'Encres Vives.
Plus d'un ont chaviré dans les barques du temps
qui descendent la Garonne tenue
dans la ferveur végétale des rives.
 Aux lisières des fruits l'enfance s'estime parvenue.
La ville pourrie sous les éloges
peut choir des haubans des étendards
qui claquent comme des moulins emballés.
La volupté de la ville est une arme
qui éternue sur des chimères incontinentes.
Les derniers mots sont irréparables,
n'imaginez pas que l'on puisse jeter
dans les puits étouffés des temps anciens
les blasphèmes prophétiques des lampistes.
Mais le champ est libre
pour inscrire sur le front de la ville
la preuve tenue de son hospitalité universelle.
 Et dans les carrefours de mains tendues
s'entassent des épopées quotidiennes raisonnables
qui font sécher aux fenêtres les linges communs
d'une littérature sans rature.
Michel Baglin l'enchanteur
célèbre la vie, rivé au réel
par toutes les fibres délicates de l'écriture.
Casimir Prat dans une humble mélancolie
dit à haute voix les dessous des nuages
et la dernière fumée échappée
de l'indulgence de la bougie.
Mais le ventre de la ville digère aussi
l'autre langue que parlait ma grand'mère
habillée de noir du cadran lunaire de ses peines,
 la langue d'Oc qui remonte les rues
avec l'argot des beurs, mêlée au même parfum de la
désobéissance,
profilant une fraternité de racines et de pierres,
faisant irruption dans la modernité
qui tremble de sourire,
dans l'ensorcellement des chants de Claude Sicre
et le ralliement à Félix-Marcel Castan, poète des affligés,
qui dissipe les bourrasques noires de l'ignorance.

Sous le toit de chaume de leurs maîtres
(Bernard Manciet, l'esthète, trône
 dans les académismes de l'Hôtel d'Assézat),
les fruits précoces de la poésie occitane
tranchent les cordes de la retenue
 et ne fouissent plus les épluchures de la misère.
La philadelphe aujourd'hui exporte ses langues,
docilement veille dans les mansardes
des deux parlers d'une même humanité.
Les boulevards conformistes convoient les automobiles
qui sortent comme d'un toril des entrailles de la place du
Capitole.
Avec des allures de fauves elles griffent le macadam
et bondissent obstinées vers les quartiers
dans le raz-de-marée de leur trop plein.
En d'autres rues des jeunes gens bleu horizon patrouillent
dénonçant les ombrageux et les mauvais plis de la ville.
Le fleuve en novembre reprend du poil de la bête
 et fait entendre ses borborygmes à l'hôpital Saint-Jean.
 L'oeil énuclée du château d'eau contemple
 les visages photographiques du monde.
Le bonheur parfois y prend la pause
et soulève la pesanteur de vivre
comme une caryatide civilisée.
A La Grave l'amour accouche avec césarienne
et se lit entre les lits.
Il y a bien celui qui ne sort plus de la paresse de l'hiver
 et cède à cette promesse qui le tire vers le ciel,
 mais beaucoup conviennent de leur pénitence
 au milieu des arbres qui épaulent la ville
de toute leur hauteur.
Mais si cette ville un jour n'était plus aimée des dieux
si l'on en donnait la clé aux vents contraires
qui croisent aux mauvais jours ?
Paix, paix sur la ville que viendrait gâcher
les scrofules de la colère et celles plus rouges encore de la
lâcheté
qui livrent au lynchage les chiens perdus et les coeurs arrachés.
Qu'elle se laisse porter par le vent, soit !
Mais qu'elle dorme le nez dans les étoiles
qui martèlent son destin,
qu'elle grandisse comme une fleur des tropiques
sous la sueur des pluies,
qu'elle enfouisse ses misères dans le rire des garçons du
Stade,
qu'elle avale la mélancolie des brouillards de la Garonne
dans les lumières ostentatoires
qui la nuit irradient les fontaines et
les monuments dans leur dur recueillement,
car il y eut tant de maîtres dans ses murs,
René Nelli, le dernier, venu de Carcassonne
et de Joë Bousquet,
assis à "Mon Caf1 à la place même où j'écris ces lignes,
 laissant son empreinte comme un souffle familier
sur l'érotique des troubadours et la vision de Montségur,
tant de maîtres à continuer...




symbole d'Almeria :
"né dans les temps préhistoriques, par son influence la jeunesse dure plus longtemps"
Almeria
ta mémoire ivre
depuis des millénaires
raconte les rivages de la mer antique
l'inaltérable désir d'une traversée sans fin.
La ville languit
anxieuse d'une contraire immobilité.
Enchaînée à Indalo
elle éblouit le passant
et le marin qui accoste.
Impérieuse
elle lègue l'assurance d'un rêve
scellé à un dessin
qui retient son destin.
Elle mûrit une jeunesse
capturée par les primitifs ancêtres.
Cette volonté entame le souffle de l'Histoire.
L'âme trempée d'Indalo
sillon de feu de l'obstinée jeunesse
corrige la gangrène noire des tyrans :
en 1824 un monument en colonne
est érigé sur la grande place de la ville
en hommage aux victimes
du féroce despotisme.
En 1943 Francisco Franco le fait détruire.
En 1988 le monument est reconstruit
place de la Constitution
en hommage à tous les hommes et à toutes les femmes
qui ont donné leur vie
pour la Liberté.

/…/


16
/…/
La paix
Goya la trouvait-il
dans ses eaux fortes ?
Celles exposées au château sur la tauromachie
les vociférations de la foule
comme décor dans l'arène.
Toute la couleur d'Espagne
est dans les eaux fortes de Goya
et l'Espagne
pure couleur
se résume dans la corrida.
Engeance des toreros
les tourbillons des capes
brûlent de folie leurs bras armés.
Saignée rouge des bêtes et des hommes.
Virilité ancrée à la mort.
Chevaux mules chiens tués au combat
et ce maestro
les pieds attachés
assis sur une chaise
leurrant le taureau
avec son sombrero.
Et ce fauve
minotaure enragé
qui atteint les gradins
tue le maire de la ville
et Charles V qui fourrage
de sa lance royale
le garrot vacillant
de la bête brave
au delà de l'insolence des cornes.
Regard goyesque
promontoire du langage
de l'opaque vanité meurtrière
où s'embue le courage.

…………………………………….


TOLOSA MELHORAMENT - T
raduction en occitan: Olivièr Lamarque, Jean-Pierre Tardif

 
à Jean-François Laffont

 


 Joan Jordà - détail

 

Dans le ventre de la ville
appuyée aux souches des générations
mortes
la mélodie de la tradition
désaccorde le vent et les immeubles
froids des promoteurs.
Les mots de la révolte
Toulouse est bien placée pour les dire
 dans la jeunesse erratique
de la Garonne qui déplie
ses faubourgs coulissants
 sur fond de soleil vieux
qu'entretient l'autan
 nimbé d'occasions violentes.
Dans le ventre de la ville
l'amour bonasse veille ses morts
qui relient les illusions du monde.
 A l'école maternelle Jules Julien
mes filles trébuchent sur mes pas
 nos errances se tarissent
 pour boire au même fleuve
les pluies désespérées de l'enfance.
Et les brumes du temps
 dispersent le brouillard
des fantômes adolescents
dans le ventre de la ville
qui digère les vins fiévreux de la poésie.
Ici la parole se risque et se perd.
Ici les poètes reprennent leur souffle
 avant leur marche inachevable
de l'impossible traversée du lieu.
 De pierres ornées et bâties,
au sommet,
les signes attestent
d'une présence sans pesanteur,
poussière sur les lèvres
du temps reculé
de l'ambiguë détresse.
La déflagration de l'Histoire
amenuit les ombres sévères
de la cathédrale Saint-Étienne.
D'une tour, un prêtre fit le saut de l'ange
sur les pavés,
broyant l'énormité originelle.
Et la mort s'arc-boute encore
aux ogives flamboyantes,
mesurant son unité
à l'aune des prières.
Vont-ils débaptiser l'avenue de l'U.R.S.S.

Qui nous conduisait grande rue Saint-Michel,
Michel Eckhard, frêle silhouette nouée de poésie,
et moi qui puis témoigner
de l'arête usée du trottoir ?
Michel Batile accueillait au Cratère
dans le trafic intense du rythme et de la palette
 l'attente écorchée de Claude Saguet,
 sa voix sonore qui nous faisait aimer le monde,
 le néant éloigné par le pacte des mots,
les phrases lues comme une déchirure.
Pourtant nous savions que l'état latent de poésie
ne résoudrait rien des fléaux de l'époque
 précipitée dans les vitres aveugles
d'une violence mise en cartes perforées.
Maintenant mon père ne viendra plus
s'asseoir à ma table
au 33 rue des Libellules
dans l'odeur de cire des vieux buffets.
Plaie vive de l'action
qui empêcha le père de faire halte chez le fils
ou l'inverse.
Ma maison est pauvre de cet instant de mémoire
 de l'escale du père
et riche de son infracassable image.
Nous avions habité quelques maisons moins loin
 une petite toulousaine rehaussée
à l'escalier plus raide
qu'une échelle de ferme
avec une chatte que mon père
avait ramenée
insoumise et d'une secrète douceur
pareille au déliement des terres à besogne.
Je ne sais la cause de cela
mais pour avoir bu
la pulpe de la lumière de la ville
nous y lisons notre imprégnation
qui alourdit la nuit charmée du Capitole
 tandis que le clapotis des fontaines féminines
 tiennent en alerte les femmes aux prises
 avec la majesté mesurée des façades,
 têtes penchées vers les enfants
qui exécuteront les sentences du nouveau siècle.
 Encagoulés dans leur nuit de honte
 les images des suppliciés
­
souillent les places des mises à mort,
Vanini assassiné de philosophie et Calas
 d'aveuglement
Les racines à nu de l'horreur
dévoilent les carnages de la vie commune
des hommes.
Mais la vie occitane s'affranchit
du trop de sang versé
dans l'incendie du Pont Neuf à la fin du jour
et des haines débordantes
dans les dégueloirs énormes de ses arches.
Tout est rendu à la Garonne
la confiance et l'ivresse des amours nouvelles.
Mais derrière le linge ordonné des convenances,
Toulouse enjambe le vide des visages déchus brûlés
comme les fougères oubliées au soleil.
 Elle expose ses errances,
mémoires d'abandon
dans la prison à vie de la rue.
Toulouse perdue dans les flaques d'urine
 des bivouacs de la nuit
 que je traverse sur la cime
d'une solitude de marcheur.
Et ce siècle tient du Moyen-âge
avec ses mêmes monstres
et nos frontières ineffaçables.
Mais au réveil les éclats de saphir
du jour vibrant enluminent
le Kaléidoscope des murs de briques ;
il s'agit de reprendre pied
dans les bras de la cité,
de s'ouvrir à son mirage marchand
de choyer l'insolence des riches échoppes
d'imputer la chute du vaisseau
aux oscillations de l'époque
d'abroger le mouvement de recul
des labyrinthes de la nuit
pour que les silhouettes qui ont raté
les marches plus basses que le sol
 glissent sur le dallage des places,
avec les jeunes filles en rollers qui
parfument de la grâce de leurs jambes fuselées
 les violents désirs de pulpe
 mûrie dans le secret du fruit vert.

Et la trace du taureau qui emporta Saturnin
fait éclore la jeunesse en fuite
qui rôde au-dessous du clocher de Saint Sernin
 le dimanche matin, fondue
dans les vieux étains et les livres délités.
 Et la jeunesse brève dans son escarpement
 visite d'un regard mis à nu
les bananiers malingres d'un jardin
 dans le soleil attendu de mars,
faméliques témoins de soleils plus épais,
 plantes nourricières de terres
 incompulsées comme des guides de voyage
 qui ne sont ouverts qu'au retour,
 pour soutenir une nouvelle nostalgie.
Plus loin, des tagueurs écorchent les murs
dans une mouvance acide de territoires.
Mais rien n'égale l'embrasure du fleuve
dans sa majestueuse courbe de lassitude.
 Car elle a beau s'étirer avec élégance
la Garonne ne peut accorder l'asile de ses berges
à l'encombrement des résidences
sans ternir le tain de l'échafaudage des siècles.
 Déportée par ses flots, elle oppose une sentence
de boue.
Alors, la ville boude d'un ciel bas
qui vous accable au matin
 de son cortège mélancolique
et ruine les marigots des vies habituées.
Cependant le jeu suffit à son bonheur, et à midi
 les vieux réchauffent leurs veines saillantes
le dos tourné à Godolin, dans le soleil de la place
 Wilson.
Ils regardent les terrasses des cafés
où de jeunes femmes trinquent
aux passagers de leurs nuits
qui rongent les vantaux clairs du matin
dans la consolation des rôles de second plan.
Mais comment éliminer la langue de bois
de la répétition ?
Car la ville des troubadours
n'a jamais vidé ses citernes
des eaux requises de l'amour.
Des yeux intimes s'accordent
aux bras des jeunes filles
que les caresses gouvernent.
La ville ne manque pas de chair,
elle porte à sa bouche la tendresse
­
gardée de l'enfant apaisé.
Un secret nonchalant somnole
sous les grimaces des cariatides
dévoyées au vent qui s'en va lisser le Lauragais
de toute arrogance hérétique.
Les gens du Nord ne viennent plus brûler nos sages
 dans leur litanie humble,
blanche d'une attente chaste.
Les briques fêlées par les siècles
honorent d'un même élan l'âme toulousaine
ivre de la puissance érotique des cours d'amour
et de la décence des cathares allant au déclin
sans tache de boue.
Et l'on se plaît dans l'étau de la ville,
passager des signes de son monde de paroles
 agiles comme le vent éternel
 qui agite les chiens et fatigue les corbeaux,
pur souffle du dieu nonchalant
qui dispose de toutes choses et de toutes matières de mort
avec mystère et attachement.
Dans le visage ravalé de la tradition
la ville consent à un sommeil moisi.
 Et ils sont quelques uns à porter les braises des poèmes
dans les mains des hommes immuables d'obscurité.
 Ils empruntent des mots aiguisés comme les poignards
qui égorgent les brebis noires.
Aucun de ces porteurs de paroles ne mérite l'oubli
sablonneux
dans les caves agencées de la négligence.
Nulle équerre nocturne ne mesure
la rectitude de leurs cris
gagnant la couche de chiendent des vies
perdues dans l'eau profonde de l'imagination.
Coupé de pluie, le vent maraudeur
déploie ses ailes sur leurs visages
qui ont sécrété l'innocence à la dérobée du feu.
Alix Chastagnol vibrante, sous le fouet
des déjections d'une vie consumée,
balbutiant rue Croix-Baragnon des mots sortis de leur cage
ordonnés dans des poèmes d'orfèvre.
Jean-Pierre Lamon exhibant ses masques comme des
moignons
avec les mots érudits de la colère.
Michel Eckhard, diaphane,
noyé dans la femme multiple,
avec les mots serrés de la vérité.

Jacky Renaud luttant à mort contre le vent,
avec les mots de la fatalité.
Henry-François Guitard avec les mots rayonnants
de l'élégance
de l'ultime pirouette.
Et il est juste que se confondent les vivants et les morts
dans l'étreinte des mots
donnés en offrande à la ville.
Un cheptel d'écrivains engrange des émotions de
contrebande,
chuinte de trouvailles liées en gerbes de paraboles.
Ils franchissent la porte haute du Capitole,
portent leurs pas d'équarrisseurs du verbe usagé
vers la Cour Henri IV où le duc de Montmorency perdit la tête
comme eux, promis aux échéances de cendres.
Dignité des hommes qui sortent le peuple de l'ombre
et le déglutissent dans le détour de leur langage,
réfractaires à la colonisation des défricheurs.
Bonheur de se lover dans la performance de Serge Pey
qui déborde des peurs et des violences
dans les globes rouges des tomates qu'il écrase
de la bouche des torturés
et de leurs poumons de nuits vermeilles.
Serge l'aiguiseur de couteaux,
seuls compagnons de la machine qui geint au sud
dans les coplas cuirassées de marbre.
Et Monique-Lise Cohen, chapeautée de noir
brasse les obliques voies de la lumière
qui gronde d'élégie la Joselito
au corps mangé par un ciel de souffre hermétique.
Ô les ombres emportées par la nuit
que l'on tire à mainlevée
dans les plaintes des trains qui frappent
la ville d'atroces ornements !
Soudain les fenêtres dans les quartiers, se ferment d'illusions
comme une malédiction étrangle la langue froide
de la résignation.
Toulouse, à l'orée du monde geint encore
dans ses faubourgs et se désespère
de n'être plus devinée,
roulée dans les chiffons du vent.
Mais quand l'autan cesse la remontée des toits,
retournant au sommeil,
quand les pigeons tournent plus vite sur les places,
 remis de leurs blessures
et fientent sur les sirènes de la Trinité,
la cité fière des Capitouls tombe de plus haut.
Les hoquets de l'inquiétude l'empoignent

et, Place Dupuy, une couverture d'attente s'abaisse
 sur les lauriers de la dame Renommée
comme le catafalque de la dame Tolosa.
 Et il a bien raison Michel Cosem de rappeler
que toute action de l'homme
s'enracine dans le passé comme un vieil outil,
que l'Occitanie essaime toutes les plumes de ses élancements,
blanches et noires comme il sied aux aigles des Pyrénées.
Michel Cosem "couvert du sang des fables" laboure
 depuis des décennies les terres arables de l'écriture
 dans les caillasses des Corbières, du Quercy ou de l'Ariège,
 mais c'est rue du Taur qu'il rallia ses amis d'Encres Vives.
Plus d'un ont chaviré dans les barques du temps
qui descendent la Garonne tenue
dans la ferveur végétale des rives.
 Aux lisières des fruits l'enfance s'estime parvenue.
La ville pourrie sous les éloges
peut choir des haubans des étendards
qui claquent comme des moulins emballés.
La volupté de la ville est une arme
qui éternue sur des chimères incontinentes.
Les derniers mots sont irréparables,
n'imaginez pas que l'on puisse jeter
dans les puits étouffés des temps anciens
les blasphèmes prophétiques des lampistes.
Mais le champ est libre
pour inscrire sur le front de la ville
la preuve tenue de son hospitalité universelle.
 Et dans les carrefours de mains tendues
s'entassent des épopées quotidiennes raisonnables
qui font sécher aux fenêtres les linges communs
d'une littérature sans rature.
Michel Baglin l'enchanteur
célèbre la vie, rivé au réel
par toutes les fibres délicates de l'écriture.
Casimir Prat dans une humble mélancolie
dit à haute voix les dessous des nuages
et la dernière fumée échappée
de l'indulgence de la bougie.
Mais le ventre de la ville digère aussi
l'autre langue que parlait ma grand'mère
habillée de noir du cadran lunaire de ses peines,
 la langue d'Oc qui remonte les rues
avec l'argot des beurs, mêlée au même parfum de la
désobéissance,
profilant une fraternité de racines et de pierres,
faisant irruption dans la modernité
qui tremble de sourire,
dans l'ensorcellement des chants de Claude Sicre
et le ralliement à Félix-Marcel Castan, poète des affligés,
qui dissipe les bourrasques noires de l'ignorance.

Sous le toit de chaume de leurs maîtres
(Bernard Manciet, l'esthète, trône
 dans les académismes de l'Hôtel d'Assézat),
les fruits précoces de la poésie occitane
tranchent les cordes de la retenue
 et ne fouissent plus les épluchures de la misère.
La philadelphe aujourd'hui exporte ses langues,
docilement veille dans les mansardes
des deux parlers d'une même humanité.
Les boulevards conformistes convoient les automobiles
qui sortent comme d'un toril des entrailles de la place du
Capitole.
Avec des allures de fauves elles griffent le macadam
et bondissent obstinées vers les quartiers
dans le raz-de-marée de leur trop plein.
En d'autres rues des jeunes gens bleu horizon patrouillent
dénonçant les ombrageux et les mauvais plis de la ville.
Le fleuve en novembre reprend du poil de la bête
 et fait entendre ses borborygmes à l'hôpital Saint-Jean.
 L'oeil énuclée du château d'eau contemple
 les visages photographiques du monde.
Le bonheur parfois y prend la pause
et soulève la pesanteur de vivre
comme une caryatide civilisée.
A La Grave l'amour accouche avec césarienne
et se lit entre les lits.
Il y a bien celui qui ne sort plus de la paresse de l'hiver
 et cède à cette promesse qui le tire vers le ciel,
 mais beaucoup conviennent de leur pénitence
 au milieu des arbres qui épaulent la ville
de toute leur hauteur.
Mais si cette ville un jour n'était plus aimée des dieux
si l'on en donnait la clé aux vents contraires
qui croisent aux mauvais jours ?
Paix, paix sur la ville que viendrait gâcher
les scrofules de la colère et celles plus rouges encore de la
lâcheté
qui livrent au lynchage les chiens perdus et les coeurs arrachés.
Qu'elle se laisse porter par le vent, soit !
Mais qu'elle dorme le nez dans les étoiles
qui martèlent son destin,
qu'elle grandisse comme une fleur des tropiques
sous la sueur des pluies,
qu'elle enfouisse ses misères dans le rire des garçons du
Stade,
qu'elle avale la mélancolie des brouillards de la Garonne
dans les lumières ostentatoires
qui la nuit irradient les fontaines et
les monuments dans leur dur recueillement,
car il y eut tant de maîtres dans ses murs,
René Nelli, le dernier, venu de Carcassonne
et de Joë Bousquet,
assis à "Mon Caf1 à la place même où j'écris ces lignes,
 laissant son empreinte comme un souffle familier
sur l'érotique des troubadours et la vision de Montségur,
tant de maîtres à continuer...

 

DINS LO VENTRE DE LA CIUTAT
   

Dins lo ventre de la ciutat
acotada a las socas de las generacions mortas
la melodia de la tradicion
desaparia lo vent e los imôbles
freds dels promotors.
Ont es, los sap plan dire, Tolosa,
los mots de la révolta
dins lajovenençatrevadoira
de Garona que desplega
sos barris corredisses
sus fond de solelh vièlh
qu'avida l'Autan
flocat d'escasenças violentas.
Dins lo ventre de la ciutat
l'amor bravonèl velha sos morts
que Hgan las illusions del mond.
A Tescola Jules Julien
mas drôllas trabucan sus mas quitas piadas
los nôstres barrutlatges s'arrèstan
per beure al meteis flume
las pluèjas desconsoladas de l'enfança.
E las nèblas del temps
escampan la tuba
de las fantaumas adolescentas
dins lo ventre de la ciutat
que digeris los vins febroses de la poesia.
Aici, se risca e se perd la paraula.
Aici, alenan los poètas
abans la traversada del luôc
que poiràn pas acabar.
De pèiras ondradas e quilhadas,
a la ci ma.
los signes asseguran
una simpla preséncia,
posca suis pots
del temps espaçât
del desvariament foscos.
L'espeterrada de l'Istôria
aprima las ombras reguèrgas
de la catedrala Sant-Estève.
D'una terre, un capelan fotèt un saut d'àngel
suis pavats,
e, aital, trissèt l'enormitat originala.
E la mort encara s'ancola
a las augivas flamejairas,
e mesura son unitat
a la pagèla de las pregàrias.
La van desbatejar l'avenguda D'U.R.S.S.

Que nos menava carrièra Sant-Miquèl,
lo Michel Eckhard, tèunha siloeta nosada de poësia,
e ieu que pôdi testimoniar
de l'aresta gausida del trepador ?
Lo Michel Battle recebiâ al Cratère
dins lo trafec viu del rîtme e de la paleta
l'espéra escarraunhada del Claude Saguet,
sa votz tindaira que nos fasiâ aimar lo mond,
lo non-res que lo pacte dels mots alunha,
las frasas legidas coma una esquiçadura.
Sabiam, pasmens, que Testât latent de poësia
reglariâ pas res de las pestas del temps
embauçat dins los veirals ôrbs
d'una violéncia cartatraucada.
Ara mon paire vendra pas mai
se sèire a ma taula
al 33 carrièra de las Domaisèlas
dins la flaira de cera dels vièlhs despensons.
Plaga viva de l'accion
qu'empacha lo paire de far pausa a co del fïlh
o lo contrari.
Mon ostal es paure d'aquel brieu de memôria
de l'escala del paire
e rie de son imatge que se pot pas esclapar.
Avèm agut demorat qualques ostals mens luènhs
dins una pichona tolzana enauçada
de l'escalier mai règde
qu'una escala de bôria
amb una gâta que mon paire
aviâ menada
rebèla e d'una doçor sécréta,
que semblava lo desligament de las terras a besonha.
Sabi pas perqué,
mas coma ai begut
la popa del lum de la vila
i legissèm lo nôstre banhar
qu'apesantis la nuèch embelinada del Capitôli
mentre que lo chambotadis de las fonts femininas
ten las femnas a far movement
del temps que se plegan de la majestat mesurada de las faciadas,
los caps clinats suis drôlles
que compliràn las senténeias del sègle novèl.
Encagolats dins lor nuèch de vergonha
los imatges dels supliciats

lordejan las plaças de las tuariâs,
lo Vanini assessinat de filosofia e lo Calas d'embornhament.
Desnusats, los rasics de Pespant
môstran los chaples del viure amassa dels ornes.
Mas la vida occitana se desliura
del trop de sang vojat
dins l'incendi del Pont-Nôu al cap del jorn
e de las asiranças qu'asondan
pels traucasses de sas arcas.
Tôt es tornat a Garona
la fïsança e Pembriaguesa de las amors nôvas.
Mas darrièr la farda ordenada de las convenéncias,
Tolosa encamba lo vuèg de las caras descasudas,
cremadas coma de falguièras desbrembadas al solelh.
Môstra sas erràncias,
memôrias d'abandon,
dins la preson a vida de la carrièra.
Tolosa perduda dins las pissaradas
dels bivacs de la nuèch
que traversi sus la cima
d'una solesa de caminaire.
E aqueste sègle retipa PEdat Mejana
amb sos mostres parièrs
e las nôstras frontièras que se pôdon pas escafar.
Mas al despertar, los tresluses del safir
del jorn brandilhant enluminan
lo calidoscôpi de las parets de bricas ;
se cal tornar cabir
dins los braces de la ciutat,
se dobrir a son miratge mercadièr
amanhagar Pinsoléncia de las botigas ricas
far portar la casuda de la nau
sus las trentalhadas del temps
d'arrestar lo movement de reculada
dels laberints de la nuèch
per que las siloetas qu'an mancat
las marchas mai bassas que terra
lisquen sul pasiment de las plaças,
amb las drôllas en rôlers qu'enflairan
de la gracia de lors cambas afusadas
los talents abrandantas de carn
madurada dins lo secret del fruch verd.

E la marca del taure qu'emportèt Saturnin
fa espelir la jovenença que fugis
que treva endejôs del campanal de Sant-Sarnin
lo dimenge de matin, fonduda
demièg los vièlhs estams e los libres desbrenats.
E la jovenença corteta dins son bauç
vistalha amb un agach desnudat
los bananiers malautisses d'un ôrt
dins lo solelh espérât de marc,
testimônis aframits de solelhs mai espesses,
plantas noiricièras de terras
deslegidas coma libres de viatge
dobèrts sonqu'al tornar,
per sosténer una nostalgia nova.
Mai luènh, de taguers escarraunhan las parets
dins un movedis acid de territôris.
Mas res val pas l'alandament del flume
dins sa majestuosa corba de lassièra.
Per tant que s'estire vesiadament
Garona pot pas recaptar sus sas ribas
rembarras de las residéncias
sens destamar Tenait deîs sègles.
Quand sas aigas la desvian, opausa una senténcia de fanga.
Alara, la ciutat fonha amb un cèl bas
qu'aclapaalmaitin
de son cortègi malencôni
e arroïna las sanhas de la vidas acostumadas.
Pasmens, lo jôc basta a far sa benaurança e a miègjorn
los vièlhs rescaufan lors venas confladas
l'esquina virada al Godolin, dins lo solelh de la plaça Wilson.
Agachan las terassas de café
que de joves femnas i pôrtan una santat
als passatgièrs de lor nuèch
que rosegan los clars batents del maitîn
dins lo consolament dels rôties pichons.
Mas cossi arrassar la mentida del repapiatge ?
Que la vila dels trobadors
jamai voidèt pas sas cistèraas
de las aigas que demanda l'amor.
D'uèlhs intimes s'aparian
als braces de las joventas
que las flatingas menan.
La ciutat manca pas de carn,
se porta la tendresa a la boca

recebuda del drôlle amaisat.
Un inchalent secret penèca
jos las moninadas de las cariatides
al vent que se'n va lisar lo Lauragués
de tota arrogància erètja.
Los franchimands venon pas mai cremar los nôstres sabis
dins lor umila litania,
blanca d'una espéra casta.
Las bricas que los sègles an fendascladas
d'un meteis vam onoran l'arma tolzana
embriagada de la poténcia erotica de las corts d'amor
e dels catars la decéncia que va mermar
sens taca de fanga.
E ôm s'agrada dins las gafas de la vila,
passatgièr dels signes de son mond de paraulas
biaissudas coma lo vent etèrn
qu'atîssa los gosses e cansa los côrbs,
linde buf del dieu inchalent
que fa servir totas causas e totas matèrias de mort
amb mistèri e estacament.
Dins la cara adobada de la tradicion
la vila consent a un sôm mosit.
E son qualques uns a cargar las brasucas de poèmas
dins las mans dels ornes immutables de sornura.
Manlèvan de mots afilats coma los ponhals
qu'escanan las fedas negras.
Cap d'aquels portaires de paraulas mérita pas la desmembrança sablonosa
dins las cavas arrengadas de daissar-anar.
Cap d'escaire nuenchenc mesura pas
la drechura de lors cridals
que ganhan las jaças d'agram de las vidas
perdudas dins l'aiga prigonda de l'imaginacion.
Barrejat de pluèja, lo vent pilhard
desplega sas alas per lors caras
qu'an congreat l'innocéncia a l'amagat del fuôc.
L'Alix Chastagnol que se brandilha jos la foetada
de las dejeccions d'una vida abenada
que, carrièra Crotz-Baranhon, balbuceja de mots sortits de lor gàbia
recaptats dins los poèmas d'orfèbre.
Lo Jean-Pierre Lamon que mostra sas masquetas coma de monhons
amb los mots saberuts de Tira.
Lo Michel Eckhard, clarinèl,
negat dins la femna multipla,
amb los mots quichats de la vertat.

Lo Jacky Renaud que lucha fort e mort contra lo vent,
amb los mots de la fatalitat.
L'Henry-François Guitard amb los mots dardalhant de Pelegància
Del darrièr virolet
E es tôt çô mai just que se mèsclen los vius e los morts
dins lo quichal dels mots
oferts a la vila.
Una gasalha d'escrivans estrema d'esrnogudas de contrabanda,
bedosseja un fum de farlabicas engarbadas en parabolas.
Passan la porta nauta del Capitôli,
pôrtan lors passes d'escairaires del vèrb gausit
cap a la Cort Enric IV que lo duc de Montmorency i perdèt lo cap
coma els, vodats a la fin de las cendres.
Dignitat dels ornes que tiran lo pèble de l'ombra
e que l'engolisson dins la desvirada de lor lengatge,
rebèls a la colonisacion dels desbosigaires.
Benaûrança de se claure dins la performéncia del Serge Pey
qu'asonda de paurs e de violéncias
dins los globes rotges de las tomatas qu'espotis
de la boca dels torturats
e de lors paîmons de nuèches vermelhas.
Serge, l'afilaire de cotèls,
sols companhs de la maquina que al sud brama
dins las coblas coirassadas de marme.
E la Monique Louise-Cohen, cape lad a de nègre
prestis las oblicas vias de la lutz
que trôna d'elegia la Joselito
qu'un cèl de sofre ermetic ne manja lo ces.
0 las ombras qu'emporta la nuèch
qu'ôm peltira a man levada
dins lo planhum dels trens que tustan
la vila d'ôrres ornaments !
D'un cop las fenèstras dins los quartiers se barran de farfantèlas
coma una malediccion escana la lenga freda
de la resignacion.
Tolosa, a la broa del mond encara gingola
dins sos barris e se désespéra
d'èsser pas mai endevinhada,
trigossada dins las pelhas del vent.
Mas quand l'autan quita de remontar los têts
e que tôma al sôm,
quand los colombs viran mai lèu sus las plaças,
garits de lors nafraduras
e cagan sus las serenas de la Trinitat,
la ciutat ufanosa dels Capitols tomba de mai naut.
Los sanglots del pensament l'emponhan

e, plaça Dupuy, una cobèrta d'espèra se baissa
suis lauriers de la domna Renom
coma lo cadafalc de la domna Tolosa.
Segur qu'a rason lo Michel Cosem de remembrar
que tota mena d'accion de l'ôme
s'enrasiga dins un passât coma un vièlh esplèch,
qu'Occitania eissama totas las plumas de sas lançadas
blancas e negras a las aglas dels Pirenèus.
Lo Michel Cosem « cobèrt de la sang de las fablas » laura
dempuèi de desenas d'annadas las terras de Pescritura
dins la clapassilha de las Corbièras, de Carcin o d'Arièja,
mas es carrièra del Taure que recampèt sos amies d'Encres Vives.
Mai d'un capvirèt dins las barcas del temps
que davalan de Garona tenguda
dins la fervor vegetala de las ribas.
A las talvèras de la frucha l'enfança crei qu'es arribada.
La vila poirida pels lausenjadisses
pot caure de la cima dels tirants dels estendards
que clapan coma de molins emportats.
La voluptat de la ciutat es una arma
qu'esternuda sus de quimèras briagas.
Los darrièrs mots se pôdon pas adobar,
anguètz pas pensar qu'ôm pôsca escampar
dins los poses atupits dels temps vièîhs
los blasfèmas profetics dels lampistas.
Mas la via es liura
per marcar sul front de la vila
la proba assolidada de son universala espitalitat.
E a las crosadas de mans porgidas
s'amolonan d'epopèias jornadièras rasonablas
que fan secar a las fenèstras la farda comuna
d'una literatura sens escafadura.
Lo Michel Baglin, Pencantaire,
célébra la vida que totas las fibras de Pescritura
riblan a ço qu'es realitat.
Lo Casimir Prat dins una umila languison
ditz a votz nauta las cauças de las nivols
e lo darrièr fum escapat
de la candèla bravonèla.
Mas lo ventre de la vila tanben digeris
la lenga autra que ma mameta parlava,
vestida del nègre de la môstra lunara de sas penas,
la lenga d'Oc que tôrna montar per las carrièras
amb lo girgon dels arabes, mesclats a la meteissa flaira de la desobedéncia
en anonciar una fraternitat de rasics e de pèiras,
a se ronçar dins una modernitat
que tremôla d'un riset,
dins l'embelinament dels cants del Claude Sicre
e lo caminar cotria amb Félix-Marcel Castan, poèta dels desconsotats
qu'avalis las ventadas negras del non-saber.

Jos la clujada de sos mèstres
(lo Bernât Manciet, l'estèta, senhoreja
al mièg dels academismes de l'Hôtel d'Assezat),
la frucha primarca de la poesia occitana
fugis lo temps de la talvèra
e fotja pas mai las pèls de la misèria.
Uèi la filadèlfia exporta sas lengas,
velha suau dins las tutas
dels dos parlars d'una meteissa umanitat,
Los boloards conformistas acaminan las veituras
que coma d'un clastron de buôus sortisson de la ventralha de la plaça del Capitôli.
Amb d'anaments de salvatgina, arpatejan lo quitran
e bombisson capudas cap als barris
dins l'onda de mar de lor asondament.
Dins d'autras carrièras de jovents blau-asuèlh patrolhan
en denonciar los reguèrgues e los marrits plecs de la vila
Lo flume en novembre se reviscôla
e fa ausir sos borbolhs a l'espital Sant-Joan.
L'uèlh esborlhat del castèl d'aiga remira
las caras fotografîcas del mond.
La félicitât i pren, de côps, la pausa
e leva lo pes del viure
coma una cariatida civilisada.
A La Grava l'amor pichona amb una cesariana
e se legîs entre los lièches.
I a, vertat, lo que sortis pas mai de la canha de Pivèrn
e se dais sa anar a aquela promessa que lo trai cap al cèl,
mas força convenon de sa peniténcia
al mièg dels arbres que sostan la vila
de tota lor nautor.
Mas se per cas aquela vila èra un jorn pas mai aimada dels dieus
ne balhèssem la clau als vents contraris
que pojan als jorns marrits ?
Patz, patz sus la vila que vendriân degalhar
las escrofulas de Tira e aquelas, mai rojas encara, de la caponariâ
que liuran a l'escarpir los gosses perduts e los cèrs desrabats.
Que se daisse menar pel vent, rai !
Mas que dormisca lo nas dins las estèlas

que martelejan son astrada,
que cresca coma una flor dels tropics
jos la susor de las pluèjas,
que rebonda sas miseras dins lo rire dels drôlies de l'Estadi
qu'engole la languison de las tubas de Garona
dins las luses ufanosas
que, la nuèch, enlusisson las fonts e
los monuments dins son dur reculhiment
pr'amor trevèron tant de mèstres foguèron dins sas muralhas,
Lo Renat Nelli, lo darrièr, que venguèt de Carcassona e del Joë Bousquet,
sietats a « Mon Caf », a la quita plaça qu'i escrivi aquelas linhas,
que daissa son emprenta coma un buf costumier
sus l'erotica dels trobadors e la vision de Montsegur,
tant de mèstres per contunhar...

............................................... 

 

TROIS POÈTES FRANÇAIS LAUREATS DU PRIX NOBEL

 

Sullly-Prudhomme

Frédéric Mistral

Saint-John Perse      (Alexis Saint-Leger)







1839-1907

1830-1914

1887-1975

Premier lauréat, 1901

Lauréat 1904

Lauréat 1960

Motivation :

"En reconnaissance de ses excellents mérites, ainsi que ces dernières années, en tant qu'écrivain et surtout de sa poésie poétique sur la haute idéalité, la perfection artistique et la rare unification des qualités du cœur et du génie"

Motivation :

« En considération de sa poésie si originale, si géniale et si artistique, […], ainsi qu’en raison des travaux importants dans le domaine de la philologie provençale. »

Motivation :

« pour l’envolée altière et la richesse imaginative de sa création poétique, qui donne un reflet visionnaire de l’heure présente1 ».

« Le vase brisé » le poème le plus connu

Mireio/Mireille – l’œuvre phare 1859

Anabase 1924

Membre du Parnasse

Œuvre pour la reconnaissance de la langue d’oc et la poésie épique occitane

Pléiade 1972

Entrée Académie française 1881

Fondateur du Félibrige 1854 pour promouvoir la langue provençale, avec la graphie mistralienne

 

Crée Société des Poètes, 1902

Tresor dóu félibrige 1878-86, un des premiers dictionnaires d’occitan

 










 
           
           
           




SULLY-PRUDHOMME

Le vase brisé - 1865

Le vase où meurt cette verveine
D'un coup d'éventail fut fêlé ;
Le coup dut l'effleurer à peine :
Aucun bruit ne l'a révélé.

Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre,
En a fait lentement le tour.

Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s'est épuisé ;
Personne encore ne s'en doute,
N'y touchez pas, il est brisé.

Souvent aussi la main qu'on aime,
Effleurant le cœur, le meurtrit ;
Puis le cœur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;

Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n'y touchez pas.


Le meilleur moment des amours - 1865

Le meilleur moment des amours
N'est pas quand on a dit : « Je t'aime. »
Il est dans le silence même
À demi rompu tous les jours ;

Il est dans les intelligences
Promptes et furtives des coeurs ;
Il est dans les feintes rigueurs
Et les secrètes indulgences ;

Il est dans le frisson du bras
Où se pose la main qui tremble,
Dans la page qu'on tourne ensemble
Et que pourtant on ne lit pas.

Heure unique où la bouche close
Par sa pudeur seule en dit tant ;
Où le coeur s'ouvre en éclatant
Tout bas, comme un bouton de rose ;

Où le parfum seul des cheveux
Parait une faveur conquise !
Heure de la tendresse exquise
Où les respects sont des aveux.
…………………………………..
 
 
FREDERIC MISTRAL

CHANT 1 5

Toi, Seigneur Dieu de ma patrie, qui naquis
parmi les pâtres, -  enflamme mes paroles et
donne-moi du souffle -  Tu le sais : parmi la
verdure, — au soleil et aux rosées, -  quand les
figues mûrissent, - vient l'homme, avide comme
un loup, dépouiller entièrement l'arbre de ses
fruits.

Mais sur l'arbre dont il brise les rameaux,  —
toi, toujours tu élèves quelque branche - où
l'homme insatiable ne puisse porter la main, —
belle pousse hâtive, -  et odorante, et virginale,
- beau fruit mûr à la Magdeleine — ou vient
l'oiseau de l'air apaiser sa faim.

Moi, je la vois, cette branchette, -  et sa fraî-
cheur provoque mes désirs ! - Je vois au (souf-
fle des) brises, s'agiter dans le ciel — son feuillage
et ses fruits immortels. … Dieu beau, Dieu
ami sur les ailes - de notre langue provençale
- fais que je puisse aveindre la branche des
oiseaux !
 
Au bord du Rhône,  entre les peupliers - et
les saulaies de la rive, -  dans une pauvre mai-
sonnette rongée par l'eau, - un vannier demeu-
rait, - qui, avec son fils,  passait ensuite - de
ferme en ferme, et raccommodait — les corbeilles
rompues et les paniers troués.

(CULTURE PROVENÇALE ET MÉRIDIONALE
MARCEL PETIT) – BNF  Gallica

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7490v/f5.item.texteImage


Tu, Segnour Diéu de ma patrìo,
Que nasquères dins la pastriho,
Enfioco mi paraulo e douno-me d’alen!
Lou sabes: entre la verduro
Au soulèu em' i bagnaduro
Quand li figo se fan maduro,
Vèn l'ome aloubati desfrucha l'aubre en plen.
Mai sus l'aubre qu'éu espalanco,
Tu toujour quihes quauco branco
Ounte l'ome abrama noun posque aussa la man,
Bello jitello proumierenco
E redoulènto e vierginenco,
Bello frucho madalenenco
Ounte l'aucèu de l'èr se vèn leva la fam.
Iéu la vese, aquelo branqueto,
E sa frescour me fai lingueto!
Iéu vese, i ventoulet, boulega dins lou cèu
Sa ramo e sa frucho inmourtalo...
Bèu Diéu, Diéu ami, sus lis alo
De nosto lengo prouvençalo,
Fai que posque avera la branco dis aucèu!
De-long dóu Rose, entre li pibo
E li sauseto de la ribo,
En un paure oustaloun pèr l'aigo rousiga
Un panieraire demouravo,
Qu'emé soun drole pièi passavo
De mas en mas, e pedassavo
Li canestello routo e li panié trauc

(Centre International de l'Écrit en Langue d'Oc)
https://www.cieldoc.com/libre/integral/libr0087.pdf

…………………………………..


SAINT-JOHN PERSE
Et vous, mers



(extraits)



Poésie pour accompagner la marche d'une récitation en l'honneur de la
Mer.

Poésie pour assister le chant d'une marche au pourtour de la
Mer.

Comme l'entreprise du tour d'autel et la gravitation du chœur au circuit de la strophe.

Et c'est un chant de mer comme il n'en fut jamais chanté, et c'est la
Mer en nous qui le chantera :

La
Mer, en nous portée, jusqu'à la satiété du souffle et la péroraison du souffle,

La
Mer, en nous, portant son bruit soyeux du large et toute sa grande fraîcheur d'aubaine par le monde.

Poésie pour apaiser la fièvre d'une veille au périple de mer.
Poésie pour mieux vivre notre veille au délice de mer.

Et c'est un songe en mer comme il n'en fut jamais songé, et c'est la
Mer en nous qui le songera :

La
Mer, en nous tissée, jusqu'à ses ronceraies d'abîme, la
Mer, en nous, tissant ses grandes heures de lumière et ses grandes pistes de ténèbres -

Toute licence, toute naissance et toute résipiscence, la
Mer ! la
Mer ! à son afflux de mer,

Dans l'affluence de ses bulles et la sagesse infuse de son lait, ah ! dans l'ébullition sacrée de ses voyelles -les saintes filles! les saintes filles ! -

La
Mer elle-même tout écume, comme
Sibylle en fleurs sur sa chaise de fer...



Ainsi louée, serez-vous ceinte, ô
Mer, d'une louange sans

offense.

Ainsi conviée serez-vous l'hôte dont il convient de taire le

mérite.

Et de la
Mer elle-même il ne sera question, mais de son

règne au cœur de l'homme :

Comme il est bien, dans la requête au
Prince, d'interposer

l'ivoire ou bien le jade

Entre la face suzeraine et la louange courtisane.

Moi, m'inclinant en votre honneur d'une inclinaison sans

bassesse,

J'épuiserai la révérence et le balancement du corps ;

Et la fumée encore du plaisir enfumera la tête du fervent,

Et le délice encore du mieux dire engendrera la grâce du

sourire...

Et de salutation telle serez-vous saluée, ô
Mer, qu'on s'en

souvienne pour longtemps comme d'une recréation du cœur.

(Amers)
 
 
 
 
Azur ! nos bêtes sont bondées d’un cri ! Je m’éveille, songeant au fruit noir de l’Anibe dans sa cupule verruqueuse et tronquée… Ah bien ! les crabes ont dévoré tout un arbre à fruits mous. Un autre est plein de cicatrices, ses fleurs poussaient, succulentes, au tronc. Et un autre, on ne peut le toucher de la main, comme on prend à témoin, sans qu’il pleuve aussitôt de ces mouches, couleurs !… Les fourmis courent en deux sens. Des femmes rient toutes seules dans les abutilons, ces fleurs jaunes-tachées-de-noir-pourpre-à-la-base que l’on emploie dans la diarrhée des bêtes à cornes… Et le sexe sent bon. La sueur s’ouvre un chemin frais. Un homme seul mettrait son nez dans le pli de son bras. Ces rives gonflent, s’écroulent sous des couches d’insectes aux noces saugrenues. La rame a bourgeonné dans la main du rameur. Un chien vivant au bout d’un croc est le meilleur appât pour le requin…
— Je m’éveille songeant au fruit noir de l’Anibe; à des fleurs enpaquets sous l’aisselle des feuilles.
Éloges, IV, 1911

En savoir plus sur https://www.laculturegenerale.com/azur-poeme-saint-john-perse/ | La culture générale



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LOUISE GLÜCK
LAURÉATE DU PRIX NOBEL DE LITTÉRATURE 2020
 

La traduction en français de la notice suédoise a été effectuée avec Google traduction. Des corrections à cette traduction - en italiques – ont été faites manuellement.
L’icône de l’Académie suédoise a été ajouté manuellement à cette traduction
Lecture d’un poème par Louise Glück : https://www.youtube.com/watch?v=1I7E7V1tt9
Un entretien avec Louise Glück : https://www.youtube.com/watch?v=S3kQGM_KhHQ :
Le discours Nobel de Louise Glück : https://www.nobelprize.org/prizes/literature/2020/gluck/lecture/

 

 


 

Notice bio-bibliographique

 La poète américaine Louise Glück est née en 1943 à New York et vit à Cambridge, Massachusetts. En plus d'écrire, elle a également été enseignante, actuellement à l'Université Yale à New Haven, Connecticut. Depuis ses débuts en 1968 avec Firstborn, elle est l'une des poètes les plus en vue de la littérature américaine contemporaine et a reçu un large éventail de prix et distinctions prestigieux, notamment le prix Pulitzer 1993 et ​​le Prix National du Livre 2014.

Louise Glück a publié douze recueils de poèmes et quelques volumes d'essais sur la poésie, tous caractérisés par un désir de clarté. L'enfance, les relations étroites avec les parents et les frères et sœurs, est une préoccupation qui ne l'a jamais quittée. Dans ses poèmes, le moi écoute les traces de son désir et de ses égarements, et personne ne peut être plus dur qu'elle-même contre ses propres illusions. Bien qu'elle ne nie jamais la signification du matériel autobiographique, elle n'est pas une poète de confession. Glück cherche l'universel et le trouve à l'aide de mythes et de motifs classiques, qui apparaissent dans la plupart de ses œuvres. Les voix de Didon, Perséphone et Eurydice – l’abandonnée, la punie, la trompée - fonctionnent comme des masques pour un moi changeant, de manière aussi personnelle qu'universelle.

Avec des recueils tels que Le Triomphe d'Achille de 1985 et Ararat 1990 (Ararat, 2019), la voie de Glück  s’est ouverte vers un public toujours plus large aux États-Unis. C'est dans Ararat que s'unissent les trois qualités qui caractériseront par la suite son écriture: le noyau intime des motifs, le regard sévère et perçant et le sens sûr de la forme. Glück a également souligné comment, avec ce livre, elle a soudainement découvert comment elle pouvait utiliser le langage courant dans la poésie. Le ton perfidement évident du poète est frappant. Ici, nous rencontrons des images presque brutalement sincères de la vie de famille. Tout est clarifié, impitoyable et douloureux, complètement libéré d’ornementation poétique.

La voix lyrique de Glück est très caractéristique, mais bien sûr, elle a des prédécesseurs importants. Cela en dit long sur son caractère unique lorsque, dans un essai, elle met l'accent sur le ton aigu de T.S. Eliot, l'art de s'écouter chez John Keats, ou la capacité de laisser parler les non-dits chez George Oppen. Dans son austérité et sa réticence à accepter des dogmes simples, elle est liée à Emily Dickinson. Dans sa poésie parle un ego qui veut être compris et qui est aussi passionné qu’intransigeant dans sa pensée.

Louise Glück n'est pas seulement préoccupée par les errances et les peines de la vie. Elle est aussi comme peu la poète du renouveau et de la renaissance, peut-être parce que le saut vers la nouveauté est constamment fait à partir d'un profond sentiment de perte. Dans l'un de ses recueils les plus acclamés, The Wild Iris de 1992 (Vild iris, 2020 – Iris sauvage), pour lequel elle a reçu le prix Pulitzer, elle décrit dans le poème "Snowdrops" (Perce-neiges), le retour miraculeux de la vie après l'hiver, traduit ici par Jonas Brun:

(Pour ne pas dénaturer le communiqué de l’Académie suédoise, le poème Snowdrops est maintenu ici dans la traduction suédoise de Jonas Brun, bien qu’il y manque les trois premiers vers. La version anglaise ainsi qu’une traduction français sont reproduits à la fin de l’article.  SS)

Jag trodde inte att jag skulle överleva,
utan kvävas av jord. Jag förväntade mig inte
att vakna igen, att märka
att min kropp i den fuktiga jorden
åter reagerade och efter så lång tid
ännu mindes hur man öppnar sig
i den tidigaste vårens
kalla ljus –        (*)
 

Il convient d’ajouter que ce saut vers le renouveau est souvent pris avec humour et un esprit mordant. Le recueil Vita Nova de 1999 se termine par les mots: «Je pensais que ma vie était finie et mon cœur brisé. / Puis j'ai déménagé à Cambridge. » Le titre fait allusion au classique de Dante La Vita Nuova, qui célèbre la vie nouvelle sous le signe de sa muse Béatrice. Chez Glück, c’est plutôt la libération d'un amour éteint qui est célébrée.

Magistral est le recueil Averno de 2006 (Averno, 2017 (en Suède, SS)), qui confère avec un force visionnaire une étonnante pertinence au mythe classique de la captivité de Perséphone chez le dieu de la mort Hadès. Le titre désigne le cratère à l'ouest de Naples, qui était pour les Romains l'ouverture de l’Enfer. Un sommet de la production de Louise Glück est atteint avec son dernier recueil, de 2014, Faithful and Virtuous Night, qui a reçu le National Book Award. On est de nouveau frappé par la présence de la voix et par la diction évidente, comme par la grâce et l’absence de désillusion corrosive avec lesquelles Glück aborde le sujet de la mort. Elle écrit une poésie narrative onirique, qui éveille des souvenirs et des voyages, mais uniquement pour s'arrêter et acquérir de nouvelles perspectives. Le monde est désensorcelé, mais les mots le rendent à nouveau magiquement présent.

Anders Olsson

Président du Comité Nobel

 

……………….

 
 
(*) SNOWDROPS
 
 
Do you know what I was, how I lived? You 
know 
what despair is; then 
winter should have meaning for you. 
 
I did not expect to survive, 
earth suppressing me. I didn't expect
to waken again, to feel 
in damp earth my body 
able to respond again, remembering 
after so long how to open again 
in the cold light
 of earliest spring-- 
 
afraid, yes, but among you 
again crying yes risk joy
 
in the raw wind of the new world
 
 Extrait d’IRIS SAUVAGE 1992
PERCE-NEIGES
Traduction Svante Svahnström
 
Sais-tu ce que j’étais, comment je vivais ? Tu
sais
ce qu’est le désespoir ; alors
l’hiver devrait avoir un sens pour toi
 
Je ne m’attendais pas à survivre,
la terre me rendant à néant, Je ne m’attendais pas à me réveiller encore, à sentir
dans la terre humide mon corps
capable à nouveau de répondre, de se souvenir
après si longtemps comment s’ouvrir
dans la froide lumière
du printemps naissant—
 
apeurée, oui, mais à nouveau parmi vous
hurlant oui risque la joie
 
dans le vent cru du monde nouveau
 
 
 



AFTER ALEXANDER PUSHKIN - PRIMETY (Omens) / Omens

Une  rencontre conçue par Philippe Sahuc

Parfois les poètes font écho aux poètes, parfois malicieusement, en empruntant les chemins de la clandestinité ou, au contraire, en exhumant certains textes, pour rehausser peut-être toute la saveur du palimpseste…

J’ai découvert tout récemment que la récente lauréate du prix Nobel de littérature, Louise Glück, avait traduit du russe vers l’anglais un poème de Pouchkine, sous le titre After Pushkin… Mais il se trouve qu’un autre poème d’elle, publié indépendamment de la référence à Pouchkine (que les intrigués se lancent dans des recherches, je ne suis pas un délateur total…) peut être considéré comme une autre traduction du même poème, tantôt ressemblante, tantôt sensiblement différente par rapport à la première. J’ai eu envie de réunir, vers après vers, les deux traductions anglaises de Louise Glück (partie gauche des lignes en anglais pour ce qu’elle a donné explicitement comme traduction, partie droite des lignes en anglais pour le poème d’elle, publié par ailleurs, qui en est une traduction implicite) et d’y ajouter, pour gonfler l’épaisseur du palimpseste (what else?) un ligne (un vers?) de ma part, en français donc...  (Philippe Sahuc)

 

Я ехал к вам : живые сны

I drove to you—vivacious dreams           I rode to meet you : dreams

Elle ne dit l’encolure et même pas l’allure...

За мной вились толпой игривой,

In playful throng behind me dancing ;     like living beings swarmed around me

Elle prend ses aises aux êtres, leur accorde le pas...

И месяц с правой стороны

The moon at right with steady beams      and the moon on my right side

Sa droite est lune et multiples sont les mois...

Сопровождал мой бег ретивый.

Accompanied my brisk advancing.                      followed me, burning.

Aller en sa compagnie ou se brûler à lire le suivi ?

Я ехал прочь : иные сны…

I drove away—quite other dreams…                   I rode back : everything changed.

Redoublement d’encolure et les rêves en coulure...

Душе влюбленной грустно было,

The lovesick spirit sorely smarted ;                     My soul in love was sad

Ne gardant pas Dusha au coeur de la tristesse ?

И месяц с левой стороны

The moon at left with steady beams                    and the moon on my left side

Passant lune à gauche et larme donc...

Сопровождал меня уныло.

Accompanied me heavyhearted.  trailed me without hope.

Triple h-taggée la déroute !

Мечтанью вечному в тиши

To such endless impressions                To such endless impressions

où se noue sans arrêt...

Так предаемся мы, поэты ;

We poets thus by common trait    we poets give ourselves absolutely,

A ce nous vraiment m’invite ?

Так суеверные приметы

Are prone to endless silent dreaming,         making, in silence, omen of mere event

The signs of superstition seeming       until the world reflects the deepest

omen, amen point d’orgue avant la fin...

Согласны с чувствами души.

To suit the feeling soul’s estate.           needs of the soul.

Ne poussez-vous, Mad’am, à rester pour les larmes aux nids du haut des saules ?

 

 

Ici, pour une bonne compréhension, suivent  à nouveau la traduction "implicite" du poème 
et sa traduction en français.

 

Traduction "implicite"                                    

 

 

OMENS
by Louise Glück

after Alexander Pushkin

I rode to meet you: dreams
like living beings swarmed around me
and the moon on my right side
followed me, burning.

 

I rode back: everything changed.
My soul in love was sad
and the moon on my left side
trailed me without hope.

 

To such endless impressions
we poets give ourselves absolutely,
making, in silence, omen of mere event,
until the world reflects the deepest needs of the soul.

 

Traduction faite par Google avec quel-
ques correctifs manuels en italiques, SS


PRÉSAGES
par Louise Glück    

Je suis monté à ta rencontre: des rêves
comme des êtres vivants grouillaient autour de moi
et la lune sur à ma droite
m'a suivie, brûlante.

Je suis rentré: tout a changé.
Mon âme amoureuse était triste
et la lune à ma gauche
m'a suivi sans espoir.

À de telles impressions sans fin
nous nous donnons nous les poète de manière absolue, prenant en silence pour présages des faits triviaux,jusqu'à ce que le monde reflète des âmes les plus profonds besoins.

 

 



Poèmes extraits de VITA NOVA   1999    Traduction Raymond Farina

LE VÊTEMENT

Mon âme se desséchait.
Comme une âme jetée au feu, mais pas complètement,
sans intention de destruction. Brûlée,
elle continuait. Fragile,
pas à cause de sa solitude mais de sa méfiance,
des suites de la violence.
Esprit, invité à quitter le corps,
à rester un moment exposé,
tremblant, comme avant
de se présenter devant Dieu –
esprit distrait de la solitude
par la promesse de la grâce,
comment pourras-tu croire encore
à l’amour d’un autre être ?
Mon âme dépérissait et se contractait.
Le corps pour elle devenait un vêtement trop large.
Et lorsque l’espoir me revint
c’était un tout autre espoir.


INFERNO

Pourquoi vous en alliez-vous ?
Je sortais vivante du feu ;
comment est-ce possible ?
Rien n’a été perdu : tout a été
détruit. La destruction
résulte de l’action.
Était-ce un feu réel ?
Je me souviens de ce retour à la maison vingt ans avant
pour tenter de sauver ce qui pourrait l’être.
La porcelaine et le reste. L’odeur de fumée
sur tout.
Dans mon rêve, je construisais un bûcher funéraire.
Pour moi, vous comprenez.
Je pensais que j’avais assez souffert.
Je pensais que c’était la fin pour mon corps : le feu
semblait la fin convenant au désir ;
c’était la même chose.
Et pourtant vous n’étiez pas morte ?
C’était un rêve
; je pensais rentrer chez moi


EURYDICE

Eurydice redescend aux Enfers
Le difficile
c’était le voyage, qui,
dès qu’on arrive, est oublié.
La transition
est difficile.
Et le trajet entre deux mondes
l’est particulièrement aussi ;
la tension est très grande.
Un passage
plein de regret, d’impatience,
vers ce dont on a, en ce monde,
rarement l’expérience ou le souvenir.
Seulement un instant
quand la nuit des enfers
s’installa de nouveau autour d’elle
(douce, respectueuse),
seulement un instant
une image de la beauté terrestre
put parvenir encore à elle, de la beauté
dont elle portait le deuil.
Mais vivre avec l’humaine infidélité
c’est autre chose



CONDO

Je vivais dans un arbre. Le rêve précisait
un pin, comme s’il pensait que j’avais besoin
qu’on me suggérât de garder le deuil. Je déteste
que nos propres rêves nous traitent comme des sots.
À l’intérieur, c’était
mon appartement de Plainfield, vingt ans auparavant,
sauf que j’avais ajouté un poêle à bon marché.
Profondément enracinée
ma passion pour le second étage ! Justement parce que
le fait que le passé soit plus étendu que le futur
ne signifie pas qu’il n’y a pas de futur.
Le rêve les confondait, les prenant
l’un pour l’autre : répétait
des scènes de la maison vide – Vera était là,
parlant de la lumière.
Et bien sûr il y avait plein de lumière, puisque
il n’y avait pas de murs.
Je me disais : c’est là que le lit devrait être,
c’est là qu’il était à Plainfield.
Alors m’envahissait une sérénité profonde,
semblable à celle qu’on ressent quand on est insensible au monde.
Au-delà du lit invisible, la lumière
de la fin de l’été dans la petite rue,
entre des frênes tremblotants.
Le rêve innovait en ajoutant, si je puis dire,
une dimension d’espoir. C’était
un rêve magnifique, ma vie était petite et douce, le monde
bien visible à cause de la distance.
Le
rêve me montrait comment l’avoir encore
tout en me protégeant de lui. Et c’est moi qu’il montrait
moi dormant dans mon ancien lit, tandis que les premières étoiles
brillantes traversaient les frênes dénudés.
J’avais été soulevée et emportée au loin
dans une ville lumineuse. Est-ce cela que posséder veut dire,
regarder de haut ? Ou est-ce que c’est encore un rêve ?
J’avais raison, n’est-ce pas, quand j’ai choisi
contre la terre



ÉTUDE ROMAINE

Il eut d’abord l’impression
qu’il aurait dû naître
pour Aphrodite, non pour Vénus,
qu’il restait trop peu de choses à faire,
à accomplir, après les Grecs.
Et lui déplaisait la lumière,
à laquelle la Grèce
prétendait avec force.
Il maudissait sa mère
(en privé, discrètement),
elle qui aurait pu arranger tout cela.
Et puis il lui arrivait
d’examiner les réponses
dans lesquelles il finissait par reconnaître
une sorte de pensée entièrement nouvelle,
plus en accord avec ce monde, plus ambitieuse
et plus politique, humainement parlant
comme on dit aujourd’hui.
Et plus il réfléchissait,
plus il éprouvait
un vague mépris pour les Grecs,
pour leur austérité, pour le mystérieux
équilibre même des grandes tragédies –
d’abord elles empoignent, puis
deviennent presque sans surprise, routine.
Et plus il réfléchissait
plus clairement se révélaient à lui
tout ce qu’il y avait encore à apprendre,
et décrié, un monde matériel qu’hier
on eut du mal à dignifier.
Et c’est précisément dans ce raisonnement qu’il reconnaissait
l’étendue et la trajectoire de sa propre
nature en éveil.



AUBADE
Le monde était très grand. Puis
le monde fut petit. O
très petit, assez petit
pour tenir dans un cerveau.
Il n’eut plus de couleur, fut tout entier
intime espace : rien
ni entra ni n’en sortit. Mais le temps
s’infiltra en quelque sorte en lui, ce fut
la dimension tragique.
J’occupais très sérieusement mon temps ces années-là,
si mes souvenirs sont exacts.
Une chambre avec une chaise, une fenêtre.
Une petite fenêtre, pleine des motifs faits par la lumière.
Dans son vide le monde
était toujours un tout, non
un fragment de quelque chose, avec
le moi en son centre.
Et au centre du moi,
une peine à laquelle je pensais ne pas pouvoir survivr
Une chambre avec un lit, une table. Des éclairs
de lumière sur les surfaces nues.
J’avais deux désirs : le désir
d’être en sécurité et celui de sentir. Comme si
le monde allait se décider
à s’opposer au blanc
parce qu’il dédaignait le potentiel
et voulait à sa place une substance ;
des panneaux
dorés que frappait la lumière.
Dans la fenêtre, roussâtres
des feuilles du hêtre cuivré.
Sortant des stases, des faits, des objets
mêlés ou entrelacés : quelque part
le temps qui bouge, le temps
qui pleure pour être touché, pour être
palpable,
le bois poli
aux scintillantes distinctions –
et puis j’étais une fois de plus
une enfant en présence des richesses
et je ne savais pas de quoi les richesses étaient faite



...........................................


FRANCIS PORNON

Svante fut bien inspiré dans le choix du thème pour cette session : musique.

Je suis en effet convaincu que, si elle peut être aussi un laboratoire verbal et si certains la réduisent à cela, la poésie est depuis toujours et j’oserais dire par nature, liée intimement à la musique dans la chanson, depuis Homère et les autres cultures, en passant par les troubadours jusqu’à nos chanteurs à texte, Jean Ferrat et compagnie. Aragon ne s’y trompa pas qui, pour résister, retrouva le vers régulier à chanter, lui qui avait cru devoir honnir la rime et le mètre avec les surréalistes.

Quant à moi, si j’ai beaucoup pratiqué la Beat generation et l’Agit prop de l’Est, si j’ai rédigé la plupart de mes textes en vers dits « libres » dans ma jeunesse, j’avais formé ma sensibilité à la lecture et à l’écoute des Brassens , Ferré et autres qui chantèrent beaucoup les poètes depuis Villon jusqu’aux contemporains.

Je serai franc : bien que l’écriture de poésie ait jalonné ma vie, je l’ai depuis longtemps trop délaissée au profit du roman et des reportages, articles et dossiers divers. Si j’ai pu écrire, dire et chanter des récitals poétiques, j’ai donné beaucoup de temps à cette discipline quotidienne dont mon ami Claude Duneton disait qu’elle fait l’écrivain. J’en ai publié bien plus d’une cinquantaine d’ouvrages en tous genres, sans compter les articles (voir mon site : www.francispornon.fr ).

Comme il s’agit de poésie ici, je me contente de signaler mon nouveau roman : Mystères de Toulouse (TDO Editions) où l’on peut lire au fil de ses chapitres un constant hommage à la poésie et aux poètes. Quant à mes productions de poésie, je recommande le recueil publié par La Passe du vent : Par-delà le grand fleuve où sont rassemblés vingt ans de textes poétiques écrits depuis la rencontre de Thierry Renard, éditeur et poète. On y lira notamment un « Chant général au pays » publié aussi par Encres vives, ainsi que quelques autres textes publiés ailleurs ou pas.

Je joins ici quelques extraits et j’ajoute – pour ne pas abuser de la place et du temps – une dernière chanson composée dans le temps de la Covid : « À quand la sortie ».

Merci de votre intérêt.

                    Francis Pornon

 

(Vous trouverez aussi d'autres poèmes de Francis Pornon sous les rubriques "Le corps et ses limites" et "Une pincée d'Occitanie",  SS)

 

 L’AMOUR DEVENU (extraits)

Toi qui vis en ces temps si troubles
Entends-tu dans le vent violent
La douleur partagée en foule                        REFRAIN
Et le grand désir récurrent
Étanché par le chant d’amour

Nous sommes gens de notre siècle
Lancés sans guide et sans recours
Sur la grand houle embarqués
Affrontés aux tempêtes lourdes
Aux mats et haubans agrippés
Sans trop d’espoir d’un grand secours

Toi qui dans l’orage perds pied
Qui te trouves seul sur la route
La maison mère éloignée
Égarés tes enfants au jour
Les amis aussi envolés
Et coulé ton plus grand amour

Toi que la joie quitte soudain
Sans nuit douce et sans plus beau jour
Ta femme muée un matin
Évaporée hors de ton couple
Te transforme en simple voisin
Dans le néant tu te découvres

Aussi dans un maelström sans fin
Où tu te noies dans une foule
Aux tout petits moments coquins
Consommés comme on boit un coup
À la coupe d’une catin
Négociée même au meilleurs cours

Que tu saches que les poupées
Ces idoles à l’aloi lourd
Ne sont qu’images retouchées
De la chair fabriquée toujours
En son labo par Frankenstein
Et promues modèles du jour

Et que rien ne peut arrêter
Le vent qui cache en ses dessous
Les violents et doux couplets
Que sont chansons chargées d’amour
De ces hommes le cœur dressé
Et qui la vie chantent toujours

[...]

La déesse c’est bien la femme
Celle qu’on aperçoit un jour
Et qui toutes choses enflamme
Et change Noël en mois d’août
Elle est boisson pour la soif grande
Qui s’aiguise et languit toujours

Dame que l’on s’en va priant
Par un sentier plein de cailloux
Devant elle s’agenouillant
Dans la poussière ou dans la boue
Pour chanter ses longues louanges
Dans l’espoir que nous veuille absoudre

Femme dans son château claustrée
Ou sa chaumière au fond d’un trou
Statue en grands voiles dressée
Muette sous le regard fou
Qu’on rêve tant de dévoiler
Pour en découvrir les bijoux
 
 
Fille échappée de son rocher
Et transformée en femme louve
Qui tient les mâles en respect
Femme de guerre en armes toutes
En ce bas monde renversé
Contant une Illiade trouble
[...]
Toi qui perdis un jour espoir
Retrouvé altéré et saoul
Le seul baume effaçant ton mal
Est chanson résonnant toujours
À l’oreille et au fond de l’âme
La psalmodie des mots d’amour
...............................
 
À QUAND LA SORTIE
chanson pour le temps présent (tant qu’il est temps)

Tout serait fini
Covid sale bouille
Tu foutrais la trouille
À quand la sortie

L’automne que l’on dit doré
Se pointe en robe humide et froide
Tiédis les rêves et calmée
L’ardeur virile pas très roide
Reste à garder ses illusions
Quand la camarde se radine
Lever haut désir et passion
Et narguer ce qu’on nous destine

Rapias pas jolis
S’emplissent les fouilles
Et les autres rouillent
Jusqu’à la sortie

Mais où est-il le paraclet
Où sont les lendemains qui chantent
Et les neiges immaculées
Quand catastrophe et risque hantent
Quand l’homme redevient le loup
Sans même rouge chaperon
Le monde semble un ventre mou
Ou peu de traces laisserons

Tout semble fini
Des taries gargouilles
Aux lunes qui mouillent
Ça sent la sortie

On s’occupe à cramer le monde
Et à estomper le soleil
Voiler les étoil’ à la ronde
Fondre banquise et glacier Seil
De la Baque en peau de chagrin
Empoisonner torrents et fleuves
Perdre animaux oublier grains
Éliminer tous qui se meuvent

Les temps sont taris
Si la peau des couilles
Point n’a plus de prix
Que machine à rouille

Passant qui délaisse la fête
Sous le coup d’édits et panique
Entends quand même le poète
Qui veut en termes magnifiques
Toujours colorier le trottoir
Chanter aux rues contre les vents
Encor’ l’horizon voulant voir
En dépit de tout mauvais temps.

Le temps est fini
Et le corbeau fouille
Les dernières douilles
Tirées la proie gît

Va sur la sphèr’ peu changera
Après homme et femme partis
Et tant et tant il restera
À la nature assujetti
Comme après toi et après moi
Les fleurs sauront toujours fleurir
Et aux animaux un émoi
La lune pourra bien fourbir

Tout serait fini
Covid sale bouille
Tu foutrais la trouille
À quand la sortie

Mais la mémoire encor’ survit
D’un autre temps aux croix de feu
Où le pays fut asservi
Et tourmentés les partageux
Or donc des jeunes sont sortis
Armés de flingue et de colère
Aidés des vieux qui s’y sont mis
Pour nettoyer la sale guerre

Gens de rien du tout
Vous avez dressé
Les têtes baissées
Grand merci pour tout

Au couchant enfin avivé
La paix venant après tempête
Les fronts et cœurs gros délavés
L’amour élève l’âme en fête
C’est un élixir très soignant
Plus que tirade de grands mots
Le baiser volé résistant
Panacée qui vainc tous les maux

Tout n’est pas fini
Faisons belle bouille
Et peur à la trouille
À quand la sortie
.................
     Ballade pour les neiges
 
     Le poète a chanté un temps
     Lorsque éperdu de vague à l’âme
     Il rêvait aux sublimes dames
     Mais où sont les neiges d’antan
 
     Quand le temps est au grand orage
     Dans les blizzards des égotismes
     Le ciel paré d’ersatz en ismes
     Il n’est seul salut dans la rage
 
     Sur terre voici le déluge
     Ou tantôt le grand incendie
     Et il n’est que neige qui die
     Qu’en autres temps serons transfuges
 
     Au grand désert elles reviennent
     Les belles de l’Occitanie
     Par-delà hautes avanies
     Il n’est que l’amour qui nous tienne
 
     Femmes offertes de rencontre
     Fières qui ne nous attendaient
     Et pour qui nous dressons un dais
     Tandis que s’arrête la montre         
 
     Leurs flocons étendent un voile
     Embaumé autour de nos peines
     En république elles sont reines
     De leur douaire elles nous font rois
 
     Lorsque la vie en vient au soir
     Quand le corps va faire la malle
     Et quand le cœur crève de mal
     Dans les neiges est le seul espoir 
 
     Quelle bouée à l’âge tendre
     Peut apaiser maux et douleurs
     Mieux que caresses et chaleurs
     D’une aimée au bout de l’attente
 
     Oh prions le dieu des athées
     Que jamais les neiges s’éteignent
     Qu’en nos nuits toujours elles règnent
     Et les animent en Protées
 
     Or il fut et il est encore
     Des troubairitz sachant chanter
     Qui nos jours savent enchanter
     Et nos noirs transmuter en or
 
     Hommes
     À cœur et à corps
     Poètes à venir et amants disparus
     Aimons les neiges dans les rues
                                                                                                                  
                          Bordeaux-Thonon-Bruxelles-Toulouse
                        décembre 2018- février 2019
 
..................



ANNIE MAGUIRE1
Les linaigrettes sont fanées
dans les yeux tourbe
Annie Maguire est empierrée

Sujette muette
elle suivait sans détour les chevelures enlacées des canaux
de la route banale
elle s’enduisait des atours monocordes de Monoprix
elle oubliait l’Irlande où les sphaignes
saignent
elle perdait l’Irlande
aux touffes de musique rance
criblées
aux façades écarlates
au sang de la bière

Quand la mort à giclé en blanc feu d’artifice
la mort étrange
Annie a vu s’abattre les nuées noires de policiers
déchirer ses pupilles à coups de cris
fouiller sa chair
gratter ses ongles
ses entrailles fleuraient dit-on la dynamite
et le bec du juge bavait

Les époux Rosemberg
de la verte Angleterre
payent
les brouillards purulents
du sommeil

Quatre ans quatre ans quatre
ans sous les pierres salpétrières de la prison
sans matin doux
et quand tout à coup
le matin s’ébroue
l’amour
amer
de Paddy Maguire son mari
au rythme des canons gras en érection
de quatre matons
un matin fou
attendre

Annie
se laver
des éclaboussures fétides
se laver de l’urine des faux monnayeurs
pissant en rang
présentez larmes
se laver la peau se laver les os se laver
taches de sperme pourri imprimées dans le visage
se laver des hommes
énormes
de Wilson
se laver du sang
sale
de Thatcher

Les linaigrettes sont fanées
dans les yeux tourbe
Annie Maguire est empierrée.
1 Il s’agit du nom d’une jeune irlandaise accusée d’avoir commis un attentat en Angleterre. Ce poème (extrait de Poèmes dits fut effectivement dit en public, chanté à Toulouse avec la participation de la chanteuse Annie Paradis, et inclus dans le N° « D’amours fous » de la revue Aube Magazine (Vénissieux, 1993).
......................
BERCEUSE AU GRAND FLEUVE*

* Ce poème, dédié à toutes les petites filles des deux rives du Grand fleuve, fut composé à Lyon la nuit du 7 au 8 mars 2011, après la séance d’ouverture du « Printemps des poètes » au Théâtre des Ateliers, où Salah Stétié définit ainsi la poésie : « Un pari sur la vie ».


1.
Dors petite belle
Parce que le grand fleuve
Vient à te parer
De colliers de cœurs
Et t’offrir des ailes

2.
Dors petite fille
Parce que le printemps
Méditerranée
Éclaire le temps
De tes futurs rires

3.
Dors petite dame
Parce que le cheval
Se met à pleurer
Pour laver le mal
Qui pèse à ton âme

4.
Dors petite poule
Parce que ton papa
Cueillit la nuée
Offerte à tes bras
Dansant dans la houle

5.
Dors petite chère
Que le vieux pochard
Chante son passé
Pour que ton plus tard
Vogue sur la mer



6.
Dors petite amie
Afin que les hommes
Sachent mieux aimer
Décrocher les pommes
Mûres de la vie

7.
Dors petite femme
Parce que le grand fleuve
Se met à couler
Des brassées de fleurs
Qui sèchent les larmes


..................................


MONIQUE-LISE COHEN


Récit d’une venue à l’écriture

Cela remonte au lointain de l’enfance et de la prime-adolescence. Je ne voudrais pas m’attarder trop et raconter ici ce que furent ces années pour moi. Une lente détresse. Mais j’ai raconté tout cela dans deux livres où j’ai pu avoir accès, grâce à l’écriture, aux traumatismes qui avaient marqué ces années. Je les

Je dis les titres de ces livres : « Le parchemin du désir » et « Métamorphose au ciel des solitudes ».
Vers l’âge de 14 ans, je noircis une page entière de mon journal intime avec ce cri : « Je veux écrire ; je veux écrire ; je veux écrire… »
Au verso de cette page, un récit hallucinant que je m’empressais de déchirer, lorsqu’à un âge bien avancé, vers 60 ans, je relus ce court récit où celle qui écrivait jurait quasiment de n’avoir aucune relation durable et installée dans le long fleuve de la vie.
J’en fus effrayée, et je déchirais vivement cette page, comme ayant peur que quelqu’un la découvre. C’était un secret à enfouir et à faire disparaître. Personne ne devait savoir.
Mais en même temps, celle qui écrit aujourd’hui, moi, femme d’un âge bien avancé déjà, je fus comme délivrée de cet engagement secret dans la solitude.
Comment l’implantation de cette graine en moi – « Je veux écrire… » − arriva-t-elle à éclosion, à la production d’une plante ?
Ce fut bien longtemps après, je pense dix-sept ans plus tard.
Le poète Ossip Mandelstam avait écrit que tout poème est comme une bouteille jetée à la mer.
J’ai vécu entièrement ma génération : 1968, l’extrême gauche et le mouvement des femmes. La lutte syndicale aussi en entreprise. J’avais été professeur de philosophie, puis aide laborantine en transfusion sanguine, et j’ai fait ma carrière comme bibliothécaire. Environnée de centaines de milliers de livres.
 Savez-vous que les livres parlent la nuit entre eux ? Quand le silence se fait, et si vous avez la grâce d’être employée dans une grande bibliothèque, et que vous traversez les rayonnages lors d’une séance de nuit quand la Bibliothèque municipale était ouverte aux étudiants alors que les bibliothèques universitaires étaient fermées, alors vous entendez un murmure continu…
Voici un court poème que j’avais offert à mes collègues le jour où je pris ma retraite :
Vous êtes-vous aventurés, un soir, lors des anciennes séances de nuit, vers les rayonnages de la Bibliothèque municipale de Toulouse (rue de Périgord) ?
            On y entend un murmure infini, le bruissement des paroles des livres entre eux. Certains souffrent et se plaignent d’une trop longue fermeture, de l’absence d’un lecteur attentif ou d’une lectrice bienveillante.
(Car la vie des livres est dans l’œil et la main du lecteur)
D’autres parlent des relations des personnels de la Bibliothèque dont ils sont les témoins
au fil des jours et des années.
Ils ont vu et entendu des choses humaines multiples et étonnantes, pendant des centaines d’années. Ils paraissent plutôt apaisés et reconnaissants pour ces derniers temps. Ils avaient connu des choses bien plus déroutantes, jadis…
             Ce sont les premières sensations que nous recueillons au sein du murmure incessant. Comme une plainte, un appel fragile, une invitation pour notre regard et notre écoute.
Dans l’émotion et le recueillement, d’autres paroles viennent à nous, si nous voulons y prendre garde.
             Il nous faut alors entrer dans le silence des livres et laisser résonner la voix qui vient du papier. Elle traverse l’épaisseur des reliures et vient buter légèrement sur le métal des rayonnages.
             Le murmure s’est changé en une voix muette qui suit les linéaments de notre physiologie humaine et vient habiter l’espace de nos mains.
             Alors, certaines et certains d’entre nous, répondant à cet appel, ouvrent un cahier et commencent à écrire
               Toulouse, 8 décembre 2008                                   
 
Après des études simples et réussies jusqu’au brevet en troisième, je sombrai dans une descente, dans l’échec scolaire. C’était en 1959, année de désespoir, année où j’inscrivis dans le journal intime : « Je veux écrire… »
Avec le pari de la solitude au verso, mais comme un engagement au-delà de la solitude. Un au-delà que je ne connaissais pas encore.
J’avais gravé au plus profond de moi-même le désir d’écrire. Mais rien ne se manifestait de ce désir dans la vie scolaire. Je ne comprenais plus rien à l’enseignement, tout me devenait extrêmement difficile. Je passais le bac de justesse avec oral de rattrapage. J’attendais quelque chose…
Je rentrai à la fac, à une époque où existait une année préparatoire, la propédeutique,  qui nous donnait du temps pour trouver quelle serait notre voie. Je ne savais pas quoi faire. Et le miracle se produisit. Je rencontrai un jeune homme avec qui j’allais me marier quelques années plus tard. Il me prit par la main pour suivre l’enseignement d’un grand professeur de philosophie. Je vécus ainsi des années d’extase de l’esprit.
Rien cependant n’émergeait de moi, de l’ancien désir d’écrire. Mes dissertations étaient moyennes.
Il y eut 1968. Le militantisme, l’extrême gauche. Mon mari et moi, nous nous séparâmes dans la grande dissolution des années 70.
Il y eut le mouvement des femmes. C’est là que le désir s’éveilla. Après 17 ans d’endormissement.
Dans l’extrême gauche et le syndicat, je n’avais su écrire que des tracts. Sorte d’incantation sociale et politique.
En 1978, avec quelques amies des mouvements de femmes, nous créâmes un journal « Différence », qu’on doit trouver dans des bibliothèques à Toulouse et en France.
C’est ainsi que ma vie s’orienta…
Je quittai la politique tout en gardant une activité syndicale. Entourée de centaines de milliers de livres dans mon travail. Obligée malgré moi de lire, de lire et de lire. Parce qu’avant, sous le poids de la grande souffrance, j’avais désappris de lire. Impossible.
Ma première écriture fut poétique.
Après, j’ai beaucoup écrit : histoire, philosophie, études bibliques, un livre sur la grande danseuse flamenco « La Joselito », essais littéraires, et plusieurs recueils de poèmes.
 
Mais il y avait un problème, une difficulté, chaque fois. Alors je l’exprimais ainsi dans un recueil publié il y a quelques années :
« Une écriture qui est un oser voir, à travers la peur »
Un jour, j’avais écrit un recueil de poèmes portant ce titre : Un souffle qui trouve sa science dans l’oubli. J’aimais ce recueil, mais à la fin, il y avait l’évocation d’un Dieu qui serait semblable à l’oubli lui-même. Et précisément, je ne voulais pas écrire cela. Mais autre chose ou même le contraire ; et je regardais étonnée ce qui se dévoilait sous la plume. Quelque chose que je ne voulais pas. Ce n’était pas un inconnu fécond qui se développait alors, comme j’avais souvent glosé à propos de l’écriture. J’avais aimé dire ainsi que l’écriture se déploie, comme le voyage de Christophe Colomb, entre le calcul des Indes et l’invention de l’Amérique.
Je croyais, ainsi qu’Henri Meschonnic me l'avait enseigné, que l’on écrit ce que l'on ne sait pas.
Je le crois toujours.
Mais cette fois-ci, je m’étais heurtée à une résistance inquiétante du sein de l’écriture elle-même, un abîme profond, très profond, d’où venait comme un rejet. Me poussant à écrire des choses que je n’aimais pas.
Quelle est-elle cette force obscure qui nous oriente, malgré nous, et parfois sur des chemins de traverse ?
Meschonnic parle d’une éthique de l’écriture. J’avais entendu Aaron Appelfeld dire de même. Et puis, Meschonnic cite Victor Hugo disant que les poètes ont peur de devenir prophètes. Dans Politique du rythme, politique du sujet. C’est « une responsabilité qui renouvelle la notion traditionnelle d’auteur – du fond de la voix. » Il dit encore : « Oser voir – la méchanceté des pouvoirs, la confusion du monde – et oser dire ce qu’on voit. »
Encore : « Un oser voir à travers la peur. Le sujet contre l’individu[1]. »
Avais-je alors manqué de courage ?
C’est quand on s’avance vers ce qu’on souhaite dire que l’horizon s’ouvre,
et que l’inconnu s’offre à notre inspiration. Mais lorsque l’on cède à la peur, alors des forces négatives puissantes s’opposent à notre chemin d’écriture, et l’on écrit n’importe quoi, des banalités, des contre-vérités, on se plie aux académismes et aux idées toutes faites. On sombre dans le politiquement correct.
On se dit qu’on a le temps, que ça viendra et qu’on peut attendre. Mais comme dit Kafka : « Le temps qui t’est mesuré est si court qu’en perdant une seule seconde, tu as déjà perdu ta vie entière, car elle n’est pas plus longue, elle ne dure justement que le temps que tu perds ![2] » ! Et on se retrouve, un jour, vers le soir, avec juste ce reste infime de temps pour regretter ce qui fut perdu.
Une écriture qui est « un oser voir à travers la peur ».
L’écriture, si elle est ce combat de l’encre et du sang dont parle le cabaliste Abraham Aboulafia - combat d’où l’encre sort victorieuse -, est la ressource à la fois matérielle et spirituelle de notre vie. Le cabaliste écrivait : «  Alors l’Éternel m’adressa la parole lorsque je vis son Nom tracé en mon cœur, séparant le sang de l’encre et l’encre du sang. Et l’Éternel me dit : "Sache : le nom de ton âme (nefesh) est sang, encre le nom de ton esprit (rouah). De tout leur cœur ton père et ta mère ont désiré ce Nom et ce Titre à moi". Lorsque ainsi j’appris la grande différence de mon âme et de mon esprit, je fus rempli d’une grande joie. Alors je sus que mon âme campa sous sa propre couleur, dans le miroir aussi noir que l’encre. Et il y eut en mon cœur une rude échauffourée entre le sang et l’encre - le sang venu de l’air, l’encre de la terre - et l’encre triompha du sang, et le Shabbat vainquit tous les jours de la semaine ![3] »
Si elle s’ancre uniquement dans la Transcendance, on n’ose à peine s’autoriser à écrire.
Meschonnic dit que le poème est l’intensité maximale de ce que le corps fait au langage et de ce que le langage fait au corps.
Je reste devant cette difficulté, cet écueil. Ce paradoxe.
Oser voir, encore, à travers la peur ? Sera-t-il possible d’écrire à nouveau, dans cette vision, un poème ?
La main accouche des pensées
Le récit porte les yeux
 
L’attente se recueille à la naissance infinie des appels
 
Il y a peu de temps, j’ai subi une opération chirurgicale assez importante, et le jour de la sortie de l’hôpital, j’ai ainsi écrit à propos des « combats inutiles ». Est-ce une nouvelle aventure qui s’ouvre à moi ?

Écrit le 7.11.19
Jour de sortie de l’hôpital
 
Des combats inutiles
C’était un jour, c’était un soir dans la lumière verte où le bleu se couvrait de sombre Comme un rappel de la fraicheur des herbes, un souvenir, juste une allusion, l’afflux d’un sentiment vivace et intime. Je suis là, murmurait pour elle la simple finalité des gestes
O l’inspiration manquée, car il était question de cet arrimage éveillé des lueurs entrelacées
Au soleil de la prescience et des tumultes édulcorés
Car je suivais l’oblation et la réservation des…
Ici je suis et je vivace dans l’empan des nuits et des jours à venir
J’entends le silence et le reflux nuageux des sirènes étonnantes. Je connais les magnificences et le soleil des déchirures.
Je sais le mouvement et la réalisation en avance des yeux
Ici parle l’effluve des jours qui s’avancent
Je suis à vous et je vous connais des racines subtiles et des foyers endoloris
Je vous connais et je vous sais dans l’empilement des voix exaucées
Et s’exonère de toute subtilité la parole fougueuse qui …
 
Merci à mon ami Svante
de m’avoir engagée à écrire ce récit
qui me permet d’entrevoir l’horizon d’une nouvelle aventure.
  Monique Lise


 
[1] Henri Meschonnic, Politique du rythme, politique du sujet, Éditions Verdier, 1995, p. 360.
[2] Franz Kafka, « Protecteur », dans La muraille de Chine, Gallimard (Folio), 1950, p. 173.
[3] Edith Wolf-Heintzmann, La disparition du kabbaliste. Préface de Jacques Hassoun. Éditions Gil Wern, 1996, p. 9.
L’âme / nefesh est l’unité d’une personne dans son sang.
L’esprit / rouah n’est pas l’esprit contemplatif de la philosophie, mais la puissance de parole, celle qui inspire les prophètes, comme nous le lisons dans les prophéties d’Ézéchiel.

.............


Poèmes


Exergue en amitié.
Voici quelques poèmes que je propose à votre lecture ;
en fait c’est Svante qui les a choisis parmi deux recueils que je lui ai présentés.
J’ai confiance en son choix et dans les titres qu’il a proposés.
 
Extraits d’un recueil paru en 2013
« Une étoile comptabilisée au cœur des souvenances »
 

Écrire
 
Les euphonies sont silencieuses et riment avec les ablutions
Sauvages espérances échappées des crinières enfiévrées
Les attentes parcourent le feu des immersions ensevelies
Nous jouissons des festins fluviaux,
et silencieusement édulcorer des propos difficiles
 
Paroles sont nos jouissances et reconnaissances
Humanitaire est le mot de nos écritures divines
Saluer la grande joie des appartenances nouvelles
Elles sont transies de leurs affolements judicieux et résolus
Nous partons en campagne pour régler les mesures inédites de nos songes articulés            

Écrire
Nous connaissons l’envol des écritures savantes et leur oubli au creux des inventions retardées. Nous usons le jeu et la politique en mouvement des acharnements sonores. Et plus loin que nos banalités, nous recevons comme un rêve un peu marginal les satisfactions de nos enclumes littéraires
Nous avons forcé l’événement préparateur et les circonstances du fleuve. Elles sont relativement en déroute nos inspirations les plus récentes, elles se révèlent aux quatre coins des écritures pour aller plus loin que nos âmes et habiter les échelles savantes. Savant est le mot d’une inspiration plus réelle que la nocturne. Savant s’étend en la pensée et ouvre les clefs des invraisemblances salutaires. Les mots sont en attente car les maturations sévissent dans le grand élan des satisfactions raisonnées
Elles sont liées à nos paroles salutaires les imaginations éprouvantes. Elles sont véridiques et gagnent à être connues selon les tardives réalités nocturnes
Nous sommes les révoltés des appréciations éludées. Sachons reconnaître, aux lèvres de la main, l’envoûtement des paroles disparaissantes quand l’appel se meurt au coin des espérances chaudes
Alors nous ressuscitons pour parfaire les jardins inespérés.

 
 
L’Incalculable


Alors elle commença à compter les sabliers et les sables dans l’éclaircie des poussières,
dans cette nuit dorée, un filament de jour venait baiser de son souffle l’obscurité divine
 
L’âme s’embrase au souvenir des pensées
(celles qui voisinent l’éclaircie des jours)
 
Alors la puissance revenait dans ses jours creux,
et elle comprenait que le malheur n’est rien
Reste le fil ténu d’encre qui nous rattache à la présence
(inexprimable en terme symbolique)
 
Mon Dieu,
évitez en moi les heures savantes des recherches nuisibles,
faites descendre dans ma main les gratifications et les louanges inaltérées,
quand votre désignation sans tromperie vient surprendre mes sens
 
En attente de Vous,
pour bénir,
au-delà des circoncisions,
et louanger
l’Incalculable.
 
 
 
Féminités
 
Soleils et incandescences dans l’inachèvement des profusions calculées,
nous goûtons les sonorités qui viennent du vent
 
Solipsisme de nos lèvres
Parfum d’invagination mentale
Ouverture sur l’oubli
et les manières creuses
 
Nous sommes les attardés des attentes sonores
 
Inventivité
sœur
du Calcul
 
À profusion sont nos mémoires,
et nous traversons les nuées d’apprentissage pour tendre au soleil
l’inutilité de nos oublis sereins
 
Bonjour ma piété
 
Je suis à vous pour le murmure bienfaisant qui vient sur mes lèvres,
quand le soir d’un baiser apaise ma fièvre et mes yeux
Je suis à vous pour l’éternité des murmures, pour les délices et les involutions inventées
 
Au prix des féminités tardives.

 
Écrire
 
Je suis vieille de mes écrits.
Je suis l’éveillée des songes


LA SÉPARATION
DU VU ET DU VOYANT
EST LA FECONDITÉ
DU GESTE D’ÉCRIRE





Extraits d’un recueil paru en 2014
Roman d’une âme simple
 
La Beauté et La Sagesse sont des poèmes d’inspiration biblique à partir de ces textes : Psaumes 50, 45, Proverbe 31 ; Proverbe 8 et II Chroniques 9.
 
La Beauté
 
D’où vient-elle
la Beauté ?
 
De Sion
où Dieu se laisse voir
(mais cependant nul ne peut Le contempler)
Il apparaît pour juger
« Il vient, notre Dieu, Il ne reste pas en silence »
 
Dans l’écartement du ciel et de la terre
Sa parole s’avance
avec le feu
 
Parole du jugement.
 
D’où vient-elle la Beauté ?
 
« Toute resplendissante est la fille du Roi dans son intérieur »
 
Pour lui
(le Roi)
la droiture,
vérité, modestie, justice
 
Pour elle
(la fille du Roi)
l’intériorité en son retrait
 
Alors
Lui
s’éprend de sa beauté
et
Elle
oublie son peuple et la maison de son père
 
Elle
écoute et ouvre les yeux
 Nous n’avions pas encore appris à voir.
 
D’où vient-elle
la Beauté ?
 
Elle vient
quand la vision se fait écoute
 
« Car la grâce est trompeuse, et la beauté est vaine »
La Beauté de la femme vaillante,
elle,
est la signature
du Bien
 
 La Beauté,
l’invisible
qui donne à voir
 
Elle n’est pas dans les choses,
elle
vient de Dieu.
 
La Sagesse


La Sagesse a dit :
 
«  L’Éternel m’a acquise au commencement de son action, antérieurement à ses œuvres, dès l’origine des choses… »
 
De l’évocation de l’antique délice,
reste pour notre humanité
la voix qui ordonne,
 
du plus lointain,
et
dans la proximité de nos jours,
 
Car là
est
notre vie
 
 La voix qui ne cesse pas
elle
(est)
notre vie.
 
La voix se module dans l’histoire humaine
Résonance des paroles de la sagesse
par la bouche du Roi Salomon
 
 La bouche
elle est
(selon l’enseignement mystique)
le féminin
en l’homme
 
La Reine de Saba
est venue de loin,
Elle voit
la sagesse de Salomon
« plus grande que sa renommée ».
 
La Sagesse se donne à voir
dans l’articulation des paroles
 
La voix antique,
elle vient,
jusqu’à nous
 
 Résonance
sans blessure
du verbe et de la chair.


..........................................




YVELINE VALLÉE


La poésie est pour moi une recherche.
Qu'est-ce qui déclenche mon écriture ?
L' Amour fou tel que le définissaient les surréalistes, les Correspondances qui s'établissent entre l'être et la nature, ces murmures que nous adressent les arbres selon Baudelaire.
En regard d'une longue sédimentation de la lecture, l'écriture vient d'une fulgurance.
Il y a ce temps très long du compagnonnage avec l'écriture des autres et soudain cette déflagration.
Toutefois, cet aspect libre, automatique, inconscient que nous devons sans doute à l'écriture automatique des surréalistes rentre dans un projet précis, conçu avant ou après. Cette spontanéité cherche une composition.
Des "lieux poétiques" comme une terre fertile, favorisent des associations, l'agencement des mots par leur sémantique, leur sonorité, leur regroupement syntaxique et rythmique.
Je me sens alors artisane de ma langue. Je l'ai travaillée, exerçant mon oreille à sa musicalité, j'ai appréhendé sa souplesse, sa rigueur comme la danseuse expérimente son propre corps.
Cette plasticité du langage m'aide à capter, à inscrire des instants, à restituer leur puissance, tous les miracles de l'existence.
Le langage est fragmenté comme nous-mêmes, composé d'éléments qui peuvent agencer l'harmonie ou le chaos. La poésie est exploration et cristallisation par un creuset de mots.
Nous regardons le langage et il nous regarde aussi.
Nous nous rencontrons dans le langage et rencontrons l'autre.
La poésie est une transgression extraordinaire et ordinaire, celle du jeu.
La poésie est changeante comme la vie, comme les reflets dans l'eau.
La matière du monde est la substance de l'imaginaire, notre "bien sentimental" écrit Gaston Bachelard.
L'imaginaire et la matière sont consubstantiels.
Le langage aussi nous est consubstantiel
Il reflète notre mystère au sein d'un mystère plus large
Le langage poétique est un fleuve, le fleuve de Rimbaud.
Le langage poétique est un arbre et nous avançons dans le labyrinthe de ses racines comme les premiers hommes dans les forêts.
Nous traversons le langage et nous sommes traversés par lui.
J'éprouve la continuité de l'écriture et de la lecture exerçant sur l'être la même fascination, représentant la même nécessité.
Le langage est la matière de la poésie comme le son celui de la musique.
Le poète est amoureux du langage comme le musicien l'est du son.
La poésie est aussi respiration, musique, voix et dialogue avec le silence.
Elle est proche du rire, du bruit de la source, du frisson des arbres, du souffle humain, du battement du sang dans les veines
Du chant flamenco, du cri, de la plainte, de la prière, de la révolte.


Le fait d'écrire est lié à mon histoire personnelle bien sûr.
Mon enfance a été marquée par le contraste entre le dénuement de la banlieue parisienne et l'éblouissement des vacances au bord de la Méditerranée espagnole.
Ma famille vivait un double exil en émigrant vers la banlieue parisienne, privée du sud et de la Tunisie natale de mon père.
C'est dans la maison natale de ma mère à Lourdes, que j'ai découvert sa bibliothèque. La littérature est devenue mon lieu de recréation. J'ai disposé les livres autour de moi et j'ai commencé à lire par fascination et nécessité comme je l'écrivais tout à l'heure, comme j'écris aujourd'hui. Le Mal de Mauriac, La Peau de chagrin de Balzac, l'Idiot de Dostoïevski. Ma commune de Massy, dépourvue de toute structure culturelle à l'époque, avait dans son unique petit centre commercial une très bonne librairie. A onze ou douze ans j'ai l'idée d'y rentrer et je découvre Pablo Neruda et Octavio Paz. Ils construisent en moi des remparts contre la laideur de cette banlieue aux façades grises traversées d'autoroutes interurbains. J'y superpose des images que je ramène de la Méditerranée.
Enfant, j'ai écrit dès que j'ai su lire. J'imaginais des pièces de théâtre que je faisais jouer à mes amies. J'écrivais des poèmes avec mon amie. Nous rêvions de liberté, de fugue, d'échapper au vide affreux de la banlieue. Nous éprouvions douloureusement l'exil de nos parents et notre seule patrie était la littérature.
J'ai redouté très longtemps la solitude de l'écriture. Et bien qu'elle ait été ma terre promise et mon Eden, je la fuyais dans d'autres arts, le théâtre et la danse.
J'apprécie la création collective. Collaborer avec des peintres, des musiciens est un bonheur.
J'avais besoin d'être lue, de correspondre et j'ai écrit beaucoup de lettres dans ma jeunesse. Les mots me permettaient de partager l'enthousiasme qui me soulevait, cette surréalité qu'ils incarnaient en moi et en l'autre. Le mythe de Shéhérazade me passionne sans doute pour cette raison. Les mots sont animés je crois comme la musique et tous les arts d'une puissante vitalité.
L'envie de partager une sensation, d'éclairer un instant pour l'autre, de ranimer l'existence quitte comme l'acteur à mentir vrai, à faire chatoyer l'illusion qu'on va déshabiller un autre jour.
Pourtant je désespérais de trouver mon écriture. Je rêvais d'écrire comme Nerval, Proust, Colette, Céline, Flaubert ou Tolstoi mais aucun roman contemporain ne m'offrait cet accomplissement. Jusqu'à ce que je découvre Philip Roth, Murakami, Lobo Antunes, Virginia Woolf, Goliarda Sapienza, Camus et Sarraute.
En 1999, j'écrivis mes premières nouvelles qui ont fait l'objet d'une adaptation théâtrale. Puis ces nouvelles se transformèrent en roman hybride entre prose et poésie.
En 2015, je publiais un premier texte poétique en collaboration avec le poète Mandin. Depuis la poésie l'a emporté. Mais sans doute pas définitivement.
Je vous présente maintenant quelques textes qui j'espère feront écho à ces propos et les étofferont. A très bientôt amies et amis en poésie.

...............................


Silence
Si je pose des mots sur toi
Tu te troubles
Et dans mon trouble
Je reste sans voix
L'eau tremble sous le baiser du vent
En musique on te nomme soupir
Que de mots pour te saisir
Mais comme l'oiseau tu t'envoles
Dans un froissement de robe
Ton vide au coeur de la fleur se dérobe
O pupille, petite abime du regard
O temps perdu qui n'appartient qu'au hasard
As-tu fais voeu de...
L'immense flot du désir que soulève la lune
Attraction du
Silence sidéral
Dans l'infini jeté en éclats
Taches et taches d'un champ de blé
Touches projetées en mondes superposés
Tu flottes dans l'immense lèvre lactée
Dans l'attente du monde d'être aimé
........................................
Nous reviendrons au jardin
Respirer la fraîcheur mouillée du bassin
Nous serons paisibles dans la fusion
De la nature libre dans sa profusion
Les herbes noires brûlées de gel et d'hiver
Se mêleront aux pousses folles du liseron
Et nous oublierons que la vanité amère
L'emporte parfois follement sur la passion
Tu bougeras actif comme l'enfant
Dans ta grâce familière
Je te regarderai longtemps
Le visage vers le ciel ouvert
La transparence de l'air
Nous enveloppera de sa sphère
Nous reviendrons au jardin
Comme pour une prière
A notre place sur terre
Entre les morts et les vivants
Caressant du souvenir les absents
La sève montera dans nos respirations
Le renouveau fera chanter nos inspirations
Nous regarderons les insectes si petits sur terre
S'envoler et parcourir en tous sens les airs
Et la paix et le silence gagneront nos sens
heureux dans la présence...
...........................

Troisième jardin imaginaire

Matière florale en émaux
Matière florale enluminée
pour les morts
bougies derrière les vitraux
 Fleurs d’aquarelle peintes
d’huile de vert
Reverdie
aqueux
Fleurs d’Ophélie peintes à la dérive
Eclosion jusqu’au cœur des replis
Dernier tableau de Van Gogh pour l’enfant de Théo
Dernier tableau de Van Gogh avant la mort
Adoration de la vie
En ses délices renaissants
si délicatement pliées en bourgeons
forcloses sur l’infini
Mystères de la vie en accordéon et éventail
Mystères de la vie en rides renaissantes
En sève de matière                                  
 
Ecriture et Peinture s’épousent
de Fertilité à l’encre goudronnée
dans l’entrelacement des signes
Sous la ligne arrondie en Coupole
de l’or alchimique
repose Celan sous
les Fleurs noires d’un Envers Botticellien
Nénuphars fantômes nés de Sandro
Du plexus de l’homme
naît l’arbre de cendres
C’est l’hiver
Des Univers réunis
et de Fleurs roses tachées de sang d’encre
Aux Pointes d’or du firmament
l’eau fertile et les herbes mâchées font une
Tombe de poète
 
Fleurs en désordre
caerelum et verte
Fleurs papillons
De briques envolées
Fleurs de lignes traversées
Matières grises
de sang
de jaunes printaniers
 
Fouillis de fleurs
pour être mâchées de regards
gaudia                             gaudia                                           origines du jouir
glaïeuls                           à l’origine                                      des glaives
Dormeur du Val                                                      Bouquets d’huile
 
Profusion                       Fusion
de guirlandes
bleu vert de la rose en bouquets sans vase
Pinceau dont chaque poil est une couleur des champs florentins
Image
 
 
Image
 
Deux tableaux d’Anselme Kiefer ayant inspiré ce poème, exposition Beaubourg 2016.

..........................
Extrait de la section Tarab dans le recueil du même nom.
Les lèvres tremblantes de mon amant…
Que chante l’instant de Shéhérazade
et encore l’enchante…
 
Que l’eau coule comme le désir
frissonne dans ses  semences
Que les galets dans la danse
Bordent le flux des élans
Que les doigts vibrent sur la lyre
Sur le chemin qu’ouvrent les enfants
 
La nature se dispose entre nos mains
Qui ne contraignent rien.
Tes gestes modèlent dans la confiance
Tu suis l’élan de l’eau dans la certitude
De la source, dans l’harmonie qui dénude
L’espace s’ouvre sauvage et dispense
Ses foisonnements et ses chemins d’abondance.
 
Nous voudrions tant croire à ce qui fleurit à la fin de la solitude.
 
Je cherche la vie nue Shéhérazade
Un reflet de peau où se mirer
Le pas insaisissable de la liberté
J’ai vu passer sa lumière
Dans les branchages
Sa plus jeune saison avançait vers l’été
Elle allait vers l’eau
Comme au premier âge
Sa chair éphémère tremblait de prières
 
Ce sont paroles qui s’envolent
avec mes paperoles
 
Où sont les voix humaines ?
Dans tes paroles vaines
Enfermée la souffrance s’étrécit comme les mots
Le désir s’égare et se heurte à l’autre
Comme une porte fermée
Que veut-on ?
 
L’aube qui serait nôtre
 
L’espace est si grand
Qui t’y attend ?
On invente des instants
L’espace est  si grand
Il te rentre dans l’âme
Soudain ton corps fait exister la cité tout autour
Ainsi est l’illusion Prince de la Nuit
Une fleur inventée dont on cherche le nom
Une senteur toujours vive
Tu bâtis une élancée d’ogive
Dans la petite chambre
Quelques joncs qui montent
Dans leur grâce souple et ployée
Jusqu’au plafond
A ces arcs tu suspends les voiles turquoise
et irisés d’un souffle de printemps improvisé
que nos regards tissent d’étoiles
Et si les fraises le temps d’une saison
Poussaient tout près du lit dans ta maison ?
...........................

La mort d’Orphée
 
C’est la chanson de la Loreleï et tout le monde en connaissait l’air et le nom
Mais le poète juif ne pouvait plus signer ce qu’il avait écrit
La censure n’avait pu tuer sa poésie qu’elle avait attribuée au « poète inconnu »
Etait-ce ridicule
 
L’Ange de La Mélancolie était enfermé dans une boîte d’allumettes
Et tu lui dis Je vais y mettre un feu de paille
Une petite voix à l’intérieur criait Mais toi sauve-toi Je t’en prie
L’amour est sacré car il est profane
L’amour est sacré car il est profane
Et leurs  voix étaient comme les deux violons de Bach
L’une redescendait toujours plus bas pour reprendre ce qui était plus haut
Et redisant la même chose mais dans une sorte de lutte pour lui
Et de fugue pour elle
O le bonheur fut
O fétu de paille
Il y a tant d’espoir au chandelier de Lilith
Une grande aile grise se dessinait dans le ciel
Le ciel et la mer continuait leur grand  bruissement
Se frottant du fond des âges
Un nuage si léger s’inclinait dans le bleu du soir
Il partirait avec tant de science et d’art
Aucun homme ne pouvait léguer tout l’or du soir
Il ne fallait ni oublier ni s’attacher à sa musique unique
Mais la femme aimée sentait dans son cou le souffle de son haleine
Et nul ne la consolerait
De lui elle resterait l’errante et cela nul n’y pouvait
Ni refaire ce qu’il avait fait
Mais le monde entendrait son chant si longtemps
Dessiner des chemins dans les blés
Il saignait d’encre féconde et l’on ne vit jamais homme si faible
Ouvrir ensemble tant de voies
Nul n’égala jamais la puissance d’Orphée
Dans la nuit il fallait se réveiller et lui écrire
Car les ruisseaux ne cessaient jamais de couler
Il avait tellement peur pour elle
Mais il ne fallait pas
Elle continuerait à fuir dans la nuit noire qui serait son grand manteau
Y cachant tout l’or qu’elle avait trouvé
O l’Ange de la mélancolie était la Mémoire
Une boîte d’allumettes et une grande aile grise adossée au ciel
Dans son chagrin elle ne voyait plus rien
Pour le moment
Ni les livres ni les tableaux ni les enfants
Ni cette douceur du corps faite de l’eau
Elle avait tout donné à l’amour qui lui avait tout donné
Momentanément
Pour le moment elle n’était qu’à l’amour et au deuil
Un feu de paille et le soleil noir
 
Parfois
Pourquoi descendre si bas l’escalier hélicoïdal de la Mélancolie
Se recroqueviller dans la matrice noire
Catalogne
Il me faut  partager
la place précise
Que ta lumière donne à chaque chose
 
Sur le rocher
J’ai vu d’abord la jeune fille
La courbe de ses fesses
Et son reflet inversé
Celle de ses reins
Et toutes lignes ainsi que chevelure
Oscillant comme drapeaux
Et le garçon solide en son crâne brancusien et sa nuque à côté
Tout de tendons et  de carrures et de bras longs
De peau si serrée comme voile de navire
Lourd de protection et leste comme navigation
Si substantiel dans sa chair
Prompt à partir
Tandis que les lignes féminines faseyent
comme mirage à contre jour
dans la  fumée solaire dans l’azur pris à revers
La chair féminine se dresse comme un sein
à la rose délicate en son renflement suprême
 
L’Egyptien est âgé
Peut-être quatre-vingt
Il a le visage de son enfance
Et le port du Caire
Où l’hiver il plongeait en pull-over
De laine serrée de sel
Il parle du désert de Gobi, le plus âpre de la terre
Et des couleurs perdues de la mer rouge
Et de ses transparences iridescentes
Jusqu’au fond
 
L’amour
Je ne l’ai jamais laissé gagner contre la mort
Qui est toute puissante et nous prend tout
Mais en cela seulement ai su que je pouvais lui résister
Ainsi le cœur ne doit fermer aucune porte
Ni allumer de bougies dans la chambre morte
Mais toujours partager la lumière traversante
Et garder vivantes
 les voix
Nous écrivons pour inscrire
Nous écrivons car on ne peut rien remplacer
Les ponts entre les êtres franchissent le temps, la mort
La terre tourne emportant sa jupe
On en perçoit encore le volant qui se dérobe
Il y a ce rêve que je voulais te dire
C’était ces linéaments, cette esquisse
Une apparition ou une disparition ?
Dans l’ombre ou dans la lumière ?
 
J’avais rendez-vous avec toi
Et tu jouais à te cacher
Cherchais-tu sur mon visage ce que de toi il perdrait
Cherchais-tu ce visage d’enfant affolée que j’aurais
Lorsque je t’aurais perdu ?
Ce visage dont les yeux s’ouvrent et s’égarent
Rose des vents ayant perdu le nord
Je suis là disais-tu
En face
Et moi je te demandais
Faut-il traverser la rue ?
Faut-il prendre à droite ou à gauche
De quel côté ?
Et tu répondais Je suis là en face
Tu ne me vois pas ?
Et tu arrivais me serrer dans tes bras
 
La fantaisie est la séduction absolue
Le charme insolent des sorciers singuliers
contre la fatalité commune
C’est un vent coulis qui chatouille le cou des filles comme un baiser
un tourbillon qui balaie la feuille morte
Et que poursuivent les enfants qui courent en riant
 
Dans les yeux de la petite fille danse toujours le ballon rouge
Que le petit garçon poursuivait
 
Il y a quelque chose que je voulais te dire
Attends Attends
C’était ces ombres que tu peignais dans la lumière
Et leur négatif aussi
C’était dans un rêve
Attends Attends
 
Tu disais
C’est une question de temps
Et moi je ne voulais pas
Je disais Le temps on s’en fout le temps n’existe pas
 
Je voulais être insolente et même stupide
Je voulais cracher à ton visage des mots d’amour
Comme les filles lancent des cailloux aux garçons qui s’approchent trop près
Je voulais te déplaire et que tu sois en colère
Je voulais ne pas faire ce que tu attendais de moi
Car en la vie était un été
Car en nous la vie
 
Oui je voulais te dire
Tout coulait de ta bouche
une eau diaprée
Une eau d’argile et de pierres puissantes effleurées
Tout mot est dans ta bouche le mot de ton amour des mots
Ta bouche est leur palais
Tu leur as bâti un dais d’or et de boue leur sanctuaire
 
Les poètes sont des clowns que terrorisent leurs propres énigmes et facéties
Alors ils les maquillent de métaphores, de masques blancs et de nez rouges
 
Les poètes ont bien raison de parler de la mort
qui arrive
 
En ce temps-là Orphée brillait de tous les feux de la jeunesse et de l’insouciance
Il lançait ses chants à la face des étoiles et aux pieds des marguerites
Ses rires résonnaient dans la campagne, dans les bois et jusqu’à l’océan
Et même les dieux des Enfers l’entendaient
Les chiens le saisirent aux cheveux qu’ils tenaient entre leurs dents
Alors ainsi sur ta lyre tu te joues du temps Orphée ?
Leurs aboiements ricanaient plus fort que tous les chants
Ainsi tu te joues de la mort et leurs dents tiraient plus fort
Tu seras dépossédé de tout ce que tu aimais
Tes plaintes se réaliseront Orphée
L’élégie deviendra ta vie
Et cette femme du rivage que tu adorais
Nous pouvions te la rendre mais tu ne la retrouveras jamais
Regarde les chiennes folles de ce village
Elles viennent sur toi en horde
Te déchirer le flanc
De toi il ne restera rien
Orphée décapité au milieu des champs des bois
Continuait à chanter
Et sa plainte plus que jamais vivante
Pénétrait doucement le corps des hommes et des enfants
 
Lui aime la vie comme une maîtresse qui l’a trahi.
L’âge en lui était comme une vitre ouverte
On y voyait marcher le jeune homme virevoltant qu’il était
L’âge en lui était un été éclaboussant la fenêtre
L’âge en lui était transparence et persistance de tous les étés
Et déploiement de ses métamorphoses en miroirs rieurs
Insaisissables comme l’infini
Je veux sa bouche et ses yeux
Tout ce qui en ce qui en ce voyou m’a séduite
Je veux sucer le bonbon de son sourire tout rond
Il fut le seul à me faire aimer la réalité
 
 
Tu me disais comme à une enfant qui rêve éveillée
L’amour n’existe pas
Et je ne voulais pas voir
Mes songes se dissiper comme mirage à l’horizon
L’amour je mesure son existence à son absence
A ce creux qu’il a laissé
Fragile comme un poème
Comme nos vies qui s’en vont
 
Mais l’amour est plein comme un rire comme un sein de femme
L’amour est plein comme un ami qui écoute et répond
 
La prune cède sous la sève de l’été

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Réseaux miroirs…
Entendue aujourd’hui samedi une émission à la radio, France inter (IIh-12h), « Sur les épaules d’Archimède ».
Les sciences du vivant  données comme poésie. Apprendre, découvrir en poésie.
L’émission s’appelle ce jour « Les liens qui nous unissent ». Les neurologues travaillent sur l’empathie et la sympathie. Le bébé sculpte sa plasticité cérébrale à partir des « neurones en réseaux-miroir » en observant essentiellement sa mère ou son père. Trouver et reconnaître l’autre en soi pour devenir un être unique : empathie et apprentissage. Trouver en soi les moyens de porter secours à l’autre : sympathie. Ces interactions existent chez les être humains et chez certains animaux dès les premiers mois de la vie. Une phrase attrapée au vol, celle d’un physicien Feldman : « Ce qui n’est pas entouré d’incertitudes ne peut être la vérité. »
Mozart, toute l’après-midi et la soirée en répétition.
Et une méditation sur la description et l’action dans le roman. A partir de la description de la rade du Havre dans le chapitre 2 de Pierre et Jean. Face à Pierre, le paysage marin plongé dans la nuit. Quels sont les éléments « réels », quels sont les éléments transfigurés ? Deux phares, deux foyers, deux rayons, deux jetées. Dans un paysage onirique marqué par l’ombre et la lumière, par un gigantisme mythologique, la répétition obsédante du chiffre deux. Y a-t-il page littéraire plus audacieuse, en quelques lignes, répéter sept fois le chiffre deux… sans que cela soit immédiatement perceptible ? Le narrateur échappe à ce vertige et c’est le marin qu’est Maupassant qui parle maintenant, en technicien, des phares à éclats et à éclipses, de leur code si nécessaire au navigateur perdu dans la nuit et qui veut rejoindre la terre. Troisième mouvement maintenant de cette description, le paysage ressemble à « La Nuit étoilée » de Van Gogh, la mer reflète le ciel, les étoiles ressemblent aux feux des navires à l’ancre et tout est peint de la même eau, du même reflet. Maupassant a ressaisi sa folie et l’a transformée en beauté. Comme Baudelaire. Dans la préface, il écrit que les réalistes sont des illusionnistes. La description dessine les mouvements de l’âme.
J’ai regardé sur internet les tableaux de Ramon Casas, on dirait des personnages de Colette. C’est si beau, si délicieusement féminin. Je te reparlerai de cet écrivain que j’aime. Je t’envoie tout mon soutien et ma tendresse pour ces moments intenses que tu traverses moi qui reçois tant de force et de joie de notre échange.  Yveline

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Deux extraits d’un texte en prose commencé sur l’Amour en 2016 et pour le moment inachevé, deux extraits sur « l’émotion » et sur « les mots »
Alors l’émotion. Un mot pour nous décliner encore. Une vague musicale qui nous parcourt de frissons. On l’éprouve. Avec le corps, au plus profond. Mais aussi avec l’enveloppe de la peau. Elle est la musique du silence, du recueillement des corps qui s’effleurent ou se pénètrent. Elle émane autant du front que du sexe. Elle désaltère avec le lait de la première soif. Dans son magnétisme, l’autre est un instant l’androgyne originel. Même aveugles, nous trouverions sa bouche et inventerions la caresse. Elle est animale qui goûte l’inconnu et le respire. Sa symphonie est aussi infinie, elle est l’immense empathie, et la longue plainte sans paroles. Elle est le chant et l’étreinte, le désir d’embrasser et de pénétrer et de rester sans bouger dans la nuit.
Et puis elle est une vague masturbation. Le jeu passif du spectateur qui jouit d’une image. L’enfance de l’éblouissement qui ne grandira pas.
Faut-il la laisser tomber comme une feuille morte et passer son chemin vers une autre saison ou faut-il l’emporter comme une lettre d’amour ?
Elle est dans les images et dans les sons. Dans les mots ? Certains savent la prendre et la laisser filer dans les lacets d’une phrase. Les mots sont toujours un peu à côté d’elle, ils la dessinent dans l’air au moment où elle s’échappe et s’évanouit. Elle est dans le spasme du rire et des larmes, dans cette transsubstantiation du corps, dans cet eau qu’il redonne au monde de lui-même, dans le chant des rires et des cris. L’émotion est une création qui déborde. On la grave tandis qu’elle s’efface. On cherche l’interprète de notre corps qui saura la faire renaître comme un merveilleux instrumentiste, lecteur de notre partition intime.
L’ombre des théâtres est une boîte de Pandore de laquelle s’envole son précieux contenu, la catharsis. L’émotion partagée ne se goûte que dans l’artifice d’une mise en scène.
Mieux vaut peut-être contempler la scène vide, l’ombre hantée, les bruissements du silence, la chambre d’échos de son absence. Mieux vaut lui préparer une alcôve, le medium qui la fera naître, le sable où elle laissera son empreinte furtive. Mieux vaut apprendre à la connaître en cherchant à la retrouver. Elle est tout entière contenue dans ta voix, ta caresse et ta peau et l’eau de tes yeux.
Le plaisir des mots n’est complet que lorsqu’on les frotte les uns aux autres, lorsqu’ils se pénètrent, se frôlent, s’emmêlant sans se confondre, trouvant dans leur corps à corps des substances plus affirmées, plus odorantes, chauffées à blanc, salives reprises sur la lèvre ou désir de baiser. Ils deviennent voyage exotique dans les contrées de l’autre, et le voyant suprême des mystères de l’être, car les mots ont la vertu de connaître avant nous, de nous dire avant que nous sachions, le poète est le dormeur lucide, il ouvre les yeux dans l’eau, il est de ce savoir du rêve que lui insuffle la puissance du désir, le poète porte un troisième œil au front comme une bouche, il a le savoir de l’amant, celui de la sève qui se métamorphose et se déplie, montant et croissant de l’ombre à la lumière. Nous nous sommes connus sans nous savoir. Nous nous sommes tissés sans perdre notre propre fil dans la trame. Il y a dans l’accouplement des mots une fécondité à nulle autre pareil.




































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