samedi 2 mai 2020

Ciel


"Vädersolstavlan" - "Le tableau des soleils du temps"
Première image de Stockholm, à l'occasion
d'un phénomène céleste le 20 avril 1535



Auteurs

Franc Bardou  14 mai 2020
Armel Guerne  14 mai 2020
Patrick Quillier  14 mai 2020
Philippe Sahuc  14 mai 2020
      Svante Svahnström  14 mai 2020




Franc Bardou

 Mentre que s’en rirà l’auristre - 1 

 

Al grat del vèspre indefinit

que sus las sèrras ja se dosta,

de gats per la mureta atravèrsan lo temps,

los agaits alandats al vent que los aucèls,

pivelats de terror davant la vibra encara,

coma al primièr matin d’aquela carn estranha,

i cason dins lo tomple.

Popan lo lait del cèl, aitanplan, las colòbras

volant a ras del mond, qu’aquí bas son las mèstras.

Mas mai fons dins la nuèit, lo castèl de l’erètge

vèlha sus la blancor, levant de tèrra en cima

un rai viu de clartat que me canta la fin

pel Pòrt del Paradís.

Un pòrt cap a ma Sobeirana…

 

Extrait de Lo Dîvân de ma Sobeirana (2018, Ed. Tròba Vox)

Pendant que s’en rira l’orage - 1

 

Au gré d’un soir indéfini

qui sur les monts va se verser,

des chats, sur la murette, à travers le temps passent,

les yeux écarquillés au vent où les oiseaux

fascinés de terreur devant quelque vipère,

comme au premier matin de cette chair étrange,

chutent de par le gouffre.

Les couleuvres aussi tètent le lait du ciel,

volant au ras du monde – elles en sont les maîtresses.

Mais, du fond de la nuit, le château d’hérétique

veille sur la blancheur montant de terre en ciel,

vivant rayon de jour qui me chante la fin

au Seuil du Paradis.

Au Seuil se tient ma Souveraine…

 

Extrait de Le Dîvân de ma Souveraine (2018, Ed. Tròba Vox)


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Armel Guerne

Armel Guerne est connu pour ses traductions des romantiques Allemands mais un peu ignoré pour ses propres créations. Il se caractérise lui-même ainsi : "Depuis le petit cœur impatient de mon enfance jusqu'à ce vieux cœur meurtri, pantelant, essoufflé, mais toujours plus avide de lumière, je n'ai pas eu d'autre ambition que celle d'être accueilli et reçu comme un poète, de pouvoir me compter un jour au nombre saint de ces divins voyous de l'amour".
Transmis par Patrick Zemlianoy


Bleus

Un bleu pâle de ciel où l’unique nuage

Est une lune vaporeuse et translucide

Comme un jade surnaturel de la lumière,

Le minéral du vent et des temps oubliés.

Un bleu grisâtre d’horizons lointains et flous

Qui s’estompent dans l’oeil lassé par la distance.

Un bleu sombre de mer debout sur son abîme

De vie antérieure et de froide ténèbre

Avec les ombres erratiques de la peur.

Un bleu de nuit, la nuit, comme s’il faisait jour.

 

Rhapsodie des fins dernières, Phébus 1977

 

Devin d’avril

Quand dodelinent les lilas pensifs, fleuris

La tête lourde sous l’averse et le feuillage,

Las de la giboulée ou du froid excessif

Scellé du sceau de plomb du ciel ; quand se défont

On ne sait trop pourquoi des tresses de tristesse

Et les cheveux épars de la mélancolie,

On ne sait pas qu’on pense aux morts. On pense à eux.

D’autres mots vous viendront encore au bas du coeur

Comme une turbulence, et d’autres maléfices

Vous durciront comme une rouille sous la peau.

Il y a le soleil qu’on trouve sous l’étoile

Et l’ombre qui nous rend le paysage ouvert ;

Il y a cette voix debout dans les saisons

Et qu’on n’écoute pas, l’unique qu’il faudrait,

L’impersonnelle à tous, savoir oser entendre.

Le venin fait la proie et le silence est l’élixir.

 

Le jardin colérique, Phébus 1977



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Patrick Quillier

AVEC SUBAGIO SASTROWARDOJO

 

Comme Betty Beath, cette musicienne

Australienne qui, en se souvenant

Que ton premier recueil portait ce nom :

Simfoni (Symphonie), a composé

Quelques minutes de musique émue

Sur les mots que dans un poème tu

Entends de la bouche du premier

Homme dans l’espace (Manusia

Pertama Di Angkasa Luar) nous

Entrelaçons à ta voix, Subagio,

Nos voix qui à leur tour sont suspendues

Dans les gravitations bouleversées

Des énergies.

 

L’homme en question, tandis

Que son vaisseau spatial l’éloigne de

La terre, envoie au monde ce message :

 

« J’ai touché aux rivages d’où l’on ne

Retourne plus. Je flotte. Autour de moi,

Le jour et la nuit ne font qu’un. La terre

Sombre dans un gouffre infini. Le ciel

À l’horizon à toute allure monte.

Pourtant ce n’est pas à Victor Hugo,

À La Fin de Satan, que je me fais

Penser. Je ne sens partout que du calme.

Je me demande s’il me manque quelque

Chose, et je conclus : je n’ai besoin de

Rien. La nostalgie m’emplit tout entier,

De ma femme, de mes enfants, de ma

Mère. Plus je m’éloigne de ce monde,

Plus mon amour grandit pour ceux que j’ai

Quittés. Les seuls souvenirs qui me restent

Sont ceux de l’enfance quand je dormais

Avec au cœur du rêve les légendes.

Et cette rose qu’Élisa glissa

Dans la lettre où son amour murmurait.

Elle doit être à la fenêtre avec

Alex et Léo, les vauriens que j’aime,

Tendue, à regarder le ciel en vain.

Car nul trait ou point ne vient attester

De ma visite au firmament muet.

Moi-même, d’ailleurs, je n’ai plus de rêves :

Tous envolés plus loin que la fusée

Qui m’a lancé vers le monde désert.

Et pourtant monte en moi une prière.

Je vais essayer de la formuler :

 

À moi comme à tous, qu’on donne un poème

Et non tout le fatras mirobolant

Des symboles, des chiffres, des schémas

Et des courbes dont se prévaut la science

Qui m’a précipité loin de la terre

Que j’aime tant. L’espace est solitaire.

J’ai touché aux rivages d’où l’on ne

Retourne plus. Qu’on m’accorde une force

De métal comme tous ceux qui affrontent

L’horreur du monde et le vide du siècle.

Qu’on m’accorde une patience infinie,

Aussi infinie que cet univers,

Comme tous ceux qui ont à supporter

Le poids des souffrances et des tortures.

Qu’on m’accorde la volonté d’un dieu

Comme tous ceux qui ont le vouloir de

Résister aux cruautés, repousser

Les oppressions. Et enfin qu’on m’accorde

Une tendresse délicate égale

À de la soie comme tous ceux qui peinent

Dans la joie pour préserver la morale

Et défendre une idée douce de l’homme.

 

Bons baisers à ma femme, à mes enfants

Et à ma mère, et grand salut à tous

Ceux qui de moi se souviennent encore.

Comme est tranquille et profond l’univers !

Je m’éloigne toujours plus loin de la

Terre que j’aime tant. Plus mon cœur est

Seul, plus il gronde. Quel vacarme immense !

Maman,

               ne me laisse pas seul.

                                                Maman. »

 

Pendant que nos voix font un contrepoint

Tout à la fois très complexe et très pur,

Aussi complexe qu’un nuage de

Tempête, aussi pur que la si légère

Brume qui parfois le matin émane

Du fond des vallées, retentit en nous

Et autour de nous la déflagration

D’un gong gigantesque. Alors un orchestre

Fabrique du vertige en oscillant

Autour de quelques sons, constellation

Tournant sur elle-même, et des mélismes

Qui toujours plus montent vers les aigus

Nous animent en nous faisant frémir,

Frêles éphémères effervescents,

Tandis que des répétitions de notes

Et d’accords dans le grave

       ré ré ré

ré ré ré ré ré ré ré ré ré ré

ré ré ré ré, ré-mi bémol ré-mi

bémol ré-mi bémol, ré-mi bémol

ré-mi bémol, sol-do sol-do sol-do,

la bémol-ré bémol la bémol-ré

bémol, la bémol-ré bécarre la

bémol-ré bécarre la bémol-ré

bécarre, si bémol-mi si bémol-

mi si bémol-mi si bémol-mi, la-

mi bémol la-mi bémol la-mi bé-

mol, do-mi do-mi do-mi do-mi do-

mi do-mi do-mi…

    nous font tressauter

Pour que nous dansions comme des oiseaux.

C’est la musique de Betty Beath, qui

T’accompagne et nous associe. C’est beau,

Ces pulsations fondant communauté

Par-delà les espaces et les temps,

Les conditions, les circonstances et

Les langues. C’est beau : nous sommes avec

Toi, avec elle, avec ton cosmonaute

Philosophe et petit enfant, avec

Tous les vivants fragiles, menacés,

Et les morts gravitant tout autour d’eux.

 

Nous nous rappelons que tu nous as dit :

 

« Les héros sont enterrés avant l’âge

Au flanc des montagnes, parfois dans les

Jardins des villes, là où les enfants

S’égosillent et jouent au cerf-volant

(layang-layang). Bien plus tard dans la nuit,

Les feuilles tombent prématurément

Plus denses soudain. Et la mort se fait

Plus intime comme un ami plaisante,

Vous invite à rire, c’est une langue

Universelle. Face à face comme

À travers une vitre transparente,

On reconnaît bien les traits du visage,

On voit même la cicatrice près

Du front. Il vous tend la main, il porte une

Bague à l’annulaire :

         Vois, entre nous

Il n’y a pas de frontière. Je suis

Toujours lié à ce monde par ma

Promesse. Le souvenir fait comprendre

Que la mort est une fine membrane

Imaginaire que très aisément

On traverse. En fait, rien ne disparaît

Dans la séparation, tout se retrouve

Même le rêve et le goût des choses

Futiles.

            Lorsque la saison se meurt,

Tous les murs frontières vont s’écroulant

Et la mort se fait plus intime.

                                               Un jour,

Le petit enfant n’est plus triste pour

Son cerf-volant (layang-layang) perdu

Ou déchiré :

                     Regarde, maman, je

Ne pleure pas, je peux voler tout seul

Avec mes ailes à moi jusqu’au ciel. »

 

Alors avec toi nous sommes debout,

Subagio, face au vent de la falaise.



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Philippe Sahuc Saüc




Qu’aimi ton cèl...


Querencia, abri précieux en cas de rue taurine,

Underground, seulement si l’habitude est perdue de grimper aux tilleuls,

Anti, anta, c’est selon qui passe alors de l’est ou est pas,

Invierno, si la toque ne déborde pas trop, le bleu est d’autant perceptible,

Maloŋ, restera du mystère tu m’en diras tant,

Incontestablement.


Tack à l’invention de la verticalité,

Onduidelijk, lorsqu’il se veut en cils flamands,

Neexne trop sous tous ses boubous nivolés !


Consi se canta ? L’air se vous suffit donc pas...

Ecли grisé ou bien rapé,

Lagona, edatera… laudaque caelum aquitanum !


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Svante Svahnström


Dans un froid sans limites

lancées d’abysses en combustion

se figent des boules de feu

se concilient des géométries sauvages

Rompant l’apnée

les conglomérats labourent des trajectoires

toujours plus étroites

vers le carbone

vers l’alpha

où attend le réveil des espèces


ou bien :

 

Puis le vide fut bousculé

un spasme parcourut le Créateur

et le noir trembla

Partout des profondeurs

partout des graines

partout des microcosmes en voltige

Et dans un des noyaux

des spores qui explosent

Le scrotum sans fond en expansion

qui pompe qui éparpille

qui ensuite se contracte

Soulagé le Créateur confie l’Univers

à sa semence

C’est le règne des procréateurs

Et la semence ramollit

et les procurateurs prolifèrent

puis se détruisent

Le Créateur se convainc que cela est sans gravité







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