vendredi 1 janvier 2021

Animal

 

              L'élan dans la nuit boréale - John Bauer   1882-1918                      

 

 AUTEURS

Charles Baudelaire *
Elsa Grave **
Jean-François Hérouard
Ono No Komachi*
Jean de Patmos **
Harry Martinson **
Birger Norman **
Svante Svahnström
Kerstin Söderholm **

*   présenté par Patrick Zemlianoy
** présenté par Svante Svahnström




ELSA GRAVE  1918-2003 – Traduction du suédois Svante Svahnström

Nuit de soie de porc

Nuit de soie de porc avec d’épais relents fétides dans l’étable
la truie ronfle dans son rêve
un rêve de doubles mentons et de crocs de verrat
de lait caillé et çà et là
une épluchure brunie de pomme de terre,
au plus profond du rêve coulent des ruisseaux de lait tourné
où un pan de la crème recèle encore le cadavre noir d’une mouche

Nuit de soie de porc
et les longues oreilles de la truie
agitent d’un frétillement la lutte patiente de l’air contre la puanteur rose
et l’odeur molle et fluide
Dehors la nuit se dresse bleue comme un commis d’étable dans des bleus tout neufs.

Nuit de soie de porc
et cette graisseuse chaleur rouge clair
saturée de gémissements de museaux ronds
des museaux qui s’agitent
qui cherchent qui tâtonnent
souvent ils dénichent un déchet moisi
au milieu du rêve de lait rance en torrent, 
tout au fond se trouve toujours noyée
quelque friandise pourrie

Nuit de soie de porc, oh,
sur le cours de lait avarié flotte
peut-être quelque soie jaunâtre
sera dévorée peut-être par
la truie même qui l’a perdue
se fiche dans sa gorge -

Nuit de soie de porc
avec d’épais relents fétides dans l’étable
la truie dort dans son coin
rêvant des rêves délayés de lait caillé
chauds come du bouillon -
peut-être tout au fond
se trouve quelque vieille friandise noyée ?

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JEAN-FRANÇOIS HEROUARD


POULICHE

flancs doux, naseaux frémissants
vulve de velours
son poulain à la mamelle.


PONEY

pure gaîté du galop
le poney s’enivre
de vent dans sa crinière.


CYGNE (1)

serein l’arc altier incurve
son albe isolée
sur la tourbe de l’ilôt.


CYGNE (2)

dessus l’onde il glisse en grâce
à terre volaille
empêtrée dans ses palmes.


BREVE VISITE DU MERLE

Noir se dresser stase intense
sautiller bec haut
saluer d’un froissis d’ailes.


PIC-VERT

Pic tout entiché d’insectes
tête en bas à force
ce tic te sacre toqué.


HIRONDELLE

D’un trait d’aile elle raye
l’air, crible l’azur de flèches
vire oblique et file.


SAUMON
Comment noble hauturier
t’ont-ils si leurré ?
Tu ne pensais qu’à frayer !


HUITRE

Jouis de chaque bouchée
dommage d’avaler rond
l’huître de la vie.


PAPILLON

L’ourlet de tes lèvres
palpite frais papillon
sur ma bouche émue.


EPEIRE

Perdues dans les galaxies
nos vies des gouttes de pluie

dans la toile d’une épeire.



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JEAN DE PATMOS

Apocalypse - Traduction d’Ostervald 1744  

Chapitre 13


   1 Et je vis monter de la mer une bête qui avait sept têtes et dix cornes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes un nom de blasphème.
2 Et la bête que je vis ressemblait à un léopard; ses pieds étaient comme ceux d'un ours, et sa gueule comme la gueule d'un lion. Et le dragon lui donna sa force, et son trône, et un grand pouvoir.
3 Et je vis l'une de ses têtes comme blessée à mort; mais cette plaie mortelle fut guérie, et toute la terre étant dans l'admiration, suivit la bête.
 4 Et on adora le dragon qui avait donné son pouvoir à la bête; on adora aussi la bête, en disant: Qui est semblable à la bête, et qui pourra combattre contre elle?
5 Et on lui donna une bouche qui disait de grandes choses et des blasphèmes; et on lui donna le pouvoir de faire la guerre pendant quarante-deux mois.
6 Et elle ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu, pour blasphémer contre son nom et son tabernacle, et contre ceux qui habitent dans le ciel.
7 Il lui fut aussi donné de faire la guerre aux saints, et de les vaincre. Et il lui fut donné puissance sur toute tribu, langue, et nation.
8 Et tous ceux qui habitent sur la terre, dont les noms ne sont pas écrits dès la création du monde dans le livre de vie de l'Agneau qui a été immolé, l'adorèrent.
9 Si quelqu'un a des oreilles, qu'il écoute.
10 Si quelqu'un mène en captivité, il ira en captivité; si quelqu'un tue avec l'épée, il faut qu'il soit tué lui-même par l'épée; c'est ici la patience et la foi des saints.
   11 Puis je vis une autre bête monter de la terre, qui avait deux cornes semblables à celles d'un agneau, et elle parlait comme un dragon.
12 Elle exerçait toute la puissance de la première bête en sa présence, et elle faisait que la terre et ses habitants adoraient la première bête, dont la plaie mortelle avait été guérie.
13 Et elle opérait de grands prodiges, même jusqu'à faire descendre du feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes.
14 Et elle séduisait les habitants de la terre, par les prodiges qu'il lui était donné d'opérer en présence de la bête, disant aux habitants de la terre de dresser une image à la bête, qui après avoir reçu le coup mortel de l'épée, était encore en vie.
 15 Et il lui fut donné d'animer l'image de la bête, afin que l'image de la bête parlât, et elle fit mettre à mort tous ceux qui n'adoraient pas l'image de la bête.
16 Et elle faisait que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, prenaient une marque à la main droite, ou au front.
17 Et personne ne pouvait acheter ni vendre, s'il n'avait la marque ou le nom de la bête, ou le nombre de son nom.
18 C'est ici la sagesse. Que celui qui a de l'intelligence, compte le nombre de la bête, car c'est un nombre d'homme, et son nombre est six cent soixante-six.

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ONO NO KOMACHI - avec introductions de Patrick Zemlianoy

La poète Japonaise « Ono No Komachi »  qui a vécue au IXème et dont la vie est devenue un mythe entre légende et réalité à l’image de notre Clémence Isaure si chère à l’académie des jeux Floraux.

Ses poèmes sont construits selon  une forme bien particulière et parfaitement codifiée : le « Waka » proche (que les spécialistes pardonnent le Béotien )  de celle du Haïku plus connu en France

 A peu prés inconnue en France,  elle figure au japon dans le panthéon des grands poètes disparus ; certains trains rapides du réseau Shinkansen portent même son nom.

Elle incarne à la fois l’image de la  femme d’une grande beauté qui a suscité dans sa jeunesse de nombreuses passions amoureuses et connu les fastes du Palais Impérial ; elle est aussi cette vieille vagabonde abandonnée de tous et en proie à la nostalgie de son passé.
Voir aussi dans "Mescladis-l'assortiment"


En lien avec le monde animal, voici quelques « wakas » : 

Quand on entend la voix du rossignol chanter parmi les fleurs
ou celle de la grenouille qui séjourne dans l’eau
on comprend aisément que les êtres vivants se sont mis à faire de la poésie.


Tentative désespérée de courir derrière un désir perdu   

Partir ? Impossible
Sur le sentier au couchant
Le coucou montagnard
Sa voix une fois encore
Je veux à tout prix l’entendre

La nostalgie s’installe dans le cœur d’Ono no Komachi 

Au chant des cigales
Le hameau sur ma montagne
Dans la nuit s’enfonce
Hormis la bourrasque nul ne me visite
 
Inspiré par un homme sur le seuil de la mort :
Tel un héron des roseaux je vais me fondre dans l’enceinte des nuages

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CHARLES BAUDELAIRE - avec introduction de Patrick Zemlianoy 

Pour terminer sur une note plus classique inspirée par les animaux, voici des vers de Charles Baudelaire que doivent apprécier les amis des chats.

 Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
 
Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.
 
Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;
 
Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
 

Les Fleurs du mal

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HARRY MARTINSON  1904-1978  


LE VER DE TERRE - traduit du suédois par Svante Svahnström

Qui vénère le ver de terre,
ce cultivateur sous l’herbe dans la profondeur de l’humus.
Il laboure la conversion de la terre.
Il travaille saturé d’humus,
muet d’humus et aveugle.

Il est le paysan d’en bas, celui du dessous
où les champs sont habillés pour la moisson.
Qui le vénère,
Le cultivateur tranquille, profond
L’éternel petit paysan gris de l’humus

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BIRGER NORMAN  1914-1995

SENTIER D’ÉLANS –  traduit du suédois par Svante Svahnström

Lentement sur de longues jambes la mélancolie suédoise avance
penchée sur le marais
La vie ne peut être secourue.
Le vague à l’âme suédois se tient caché dans la forêt.
Soupire avec sa poitrine granitée.
Le mufle porte le deuil depuis un millénaire

La vie ne peut être secourue, mais tète un jour d’été.
L’oreille tourne sa rugosité velue
écoute le vent et la chaleur
jouer et lisser le poil rude.

Des chansons peuvent s’écrire sur la mélancolie.
Celle-là peut devenir pour toi une confidente.
Une menace demeure dans la tristesse,
une bestialité livrée au rut, à l’épouvante.
Le vague à l’âme peut se dresser et peut frapper.
Jamais plus tu ne te relèveras.


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SVANTE SVAHNSTRÖM


Je la vis le premier
un peu plus bas
l’éclat barbare des écailles de sa robe
les coulées de rouge de bleu de jaune caressant son corps enivrant
et j’étais en apesanteur
Mon désir l’effleura
Elle tourna l’œil, leva son regard vers moi
Pas un son pas une respiration entre nous
Nous nous reconnûmes
Mais de moi pas besoin dans sa vie
Elle rabattit son œil globuleux
Son monde était ce pied de rocher
L’Océan lui appartenait
Et moi j’étais de ceux qui avaient conquis les mers
et pourtant devant son jardin j’étais un vagabond sans invitation
Cette créature n’a fait aucun cas de mon cœur insurgé
Je n’ai pas su être un poisson perroquet



Assiette sans viande légumes et champignons


En attendant mes commensaux
fort de mes kilos aux cent mille milliards de cellules
dans ma cuisine je coupe en quatre parts
la cellule unique de l’omelette
Mais je n’avais pas voulu la faire saigner
Réveillée de sa sieste de deux années
l’omelette est agacée par l’instrument
qui lui sectionne les veines
Les quartiers se cherchent
se trouvent et partent en une unie
raccommodée
La cellule unique écervelée s’en va en vitesse
court à quatre centimètres à l’heure
C’est qu’elle-même est sous-alimentée
Privée de cerveau elle n’ignore pas où sont ses pâturages
Selon le besoin elle s’étale
plusieurs mètres jaunes s’il le faut
pour aisément se rassasier
Descendante d’un bon milliard d’années de filiations d’ancêtres
celle que nomme les gastronomes gréco-latins
Physarum polycephalum
prospère une et divisible
demeure une et immultipliable
C’est la règle du blob
Par malheur mon omelette a pris la fuite
Aux commensaux je cuisinerai une crêpe


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KERSTIN SÖDERHOLM 1897-1943


PARCOURS  

Je suis un tissu d’idées noires
Je ne connais pas les galeries de la taupe
sous les aspes et les aunes
Je veux apprendre le texte
dans les mailles de la toile d’araignée
ramasser des noisettes vertes
à la saison des sorbiers

Un épervier marron s’envola de moi          
mais je veux attraper une bergeronnette bleue
dans ma cage aux éclats de nacre
-Je veux refermer le livre des devoirs de souffrance
et ouvrir les feuilles à l’écriture dorée des saules