samedi 3 avril 2021

Dans le poème le poème 8 avril 2021

 

La cravate et la montre - Guillaume Apollinaire















AUTEURS

Anna Akhmatova *                                               Franc Bardòu
Daniel Barraud de Lagerie
Alain Breton
Monique Labidoire
Jeanne Las Vergnas
Geneviève Novellino
Roland Nadaus
Serge Pey
André Prodhomme                                                  Patrick Quillier 10 juin 2021
Svante Svahnström

* Présentée par Patrick Zemlianoy


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ANNA AKHMATOVA

Requiem


"Dans les pires années des purges d'Ejov j'ai passé 17 mois dans les queues des prisons de Leningrad.

Un jour, je ne sais qui me "reconnut". Alors la femme aux lèvres bleues qui attendait derrière moi et qui, bien sûr, n'avait jamais entendu mon nom, s'arracha à cette torpeur particulière qui nous était commune et me chuchota à l'oreille
( toutes chuchotaient, là-bas ):

--Et ça, vous pouvez le décrire ? 

Je répondis :
--Je peux. 

Alors, quelque chose comme un sourire glissa sur ce qui autrefois avait été son visage.

 
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FRANC BARDÒU

 

« Tor de silenci dels mieus desirs, qu’aqueste libre siá la clartat lunària que te transfòrma, dins la nuèit del Mistèri Antic ! »

Fernando Pessoa (1888-1935)
« Madòmna de las aigas tècas… »
in Lo libre de l’intranquillitat


Un vèrs

Dins las tiás mans de luna aqueste vers umil
per qu’i poscas mirar fisançosa la via
que de l’art de t’amar monta se pèrdre al
                                                                vent
sul grases del solelh, per son vèspre                        
                                                        incendiat,



pausarai tremolant, dins l’espèr d’agradar
al solemne dardalh de ton agait de fada,
un vèrs miralh d’esmai ont los cèls son
                                                         tombats
cap als cants infinits dels arcàngels de lutz.


Mos passes, sus la mar ja se fondon a
                                                         l’ombra
qu’alonga un calabrun celebrant ta suaudor,
e’s pausan coma crits d’aucèls subre las
                                                             èrsas,



davant ton lièit d’escuma ont te sèses, de
                                                             còps,
e pregui ton tornar de delai los asuèlhs
desconeguts e vius d’ont esclairas los
                                                           monds.    

« Tour de silence de mes désirs, que ce livre soit la clarté lunaire qui te transforme, dans la nuit de l’Antique Mystère ! »

Fernando Pessoa (1888-1935)
« Madone des eaux dormantes… »
in Le livre de l’intranquillité


Un poème

Dans tes mains, blanches lunes, ce modeste
                                                           poème,
pour que tu puisses y voir en confiance la
                                                               voie
qui de l’art de t’aimer monte se perdre au
                                                              vent,
aux marches du soleil par le soir incendié,



je poserai, tremblant, dans l’espoir d’agréer
à l’éclat solennel de ton regard de fée,
un poème en miroir d’émoi où les cieux
                                                         tombent
vers des chants infinis d’archanges de
                                                         lumière.

Mes pas, sur l'océan déjà se fondent à
                                                         l’ombre
qu’étire un crépuscule, hommage à ta
                                                        douceur,
et, tels des cris d’oiseaux se posent sur les
                                                          vagues,


devant ton lit d’écume où tu t’assois parfois,
et je prie ton retour d’au-delà des azurs
inconnus mais vivants d’où tu éclaires les
                                                         mondes.
 









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DANIEL BARRAUD DE LAGERIE

Être au monde
Fruit libre
Léger comme un baiser
Une étoile

Épouser le mystère
Sans formules
Derrière les visages
Dans une âcre douleur

Composer un poème
Roc et fleuve
Avec le feu du temps
Et l’alchimie des mots

Présent et séparé
Enivré de merveilles
À l’écho du secret
Espérer l’innommable

in L’écho du regard, 2008
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MÉTAMORPHOSE

Les mots
Clés
devenus énigmes

Le poème
Voilà
devenu éclat

in Le puits du jours, 2014

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ALAIN BRETON

À toute vitesse,
j’ai accumulé ton visage

Pour annoter tes poèmes
des salves de toi.

Désormais, je t’emporte
de meuble en planète,

Je me fais spacieux
pour ta survie


in Les Éperons d’Eden, 2014

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MONIQUE W. LABIDOIRE

Je rimaille des vers sans pieds et sans mains. Mutilée du chant premier de la matière, je contemple, hébétée, les grands chantiers des dieux démolis d’ouragan et de marteau-piqueur. J’agonise de n’avoir plus de vocalises pour sublimer le goût suave de l’espérance. J’irrite la page du poème en grattant les fonds de tiroirs, je blesse les harmoniques et les silences.

in L’Exil du Poème
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Désormais je prends le pari d’infini pour introduire un probable quantifié dans la résonance fraternelle. Je laisse rouler mon stylo-bille au tapis rouge du poème au coup de dé bien démontré. Je m’asperge d’eau bénite au nom du maître des lieux et je clone l’azur puisque tout, déjà, est poème.

in L’Exil du Poème


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JEANNE LAS VERGNAS

La poésie

La poésie attendait quelque part enfouie
Œuf non fécondé
Le vent un jour lui apporta un germe inouï
Et toutes ses ondées
Et ma vie en fut toute transformée
Me voici matrice créatrice
Il me faut enfanter
Je suis lourde de cette maternité
Il me faut éclater
Comme le fruit du grenadier
En mille pierres de rubis
Comme le fruit du pissenlit
Duvet léger voletant dans le vent
Comme le roseau du marais
Explosant un beau matin
Un nuage léger de grains soyeux
Je suis dépassé par ce qui est arrivé.
….

in Fantasmagorie, 1986 (Cette poussière qui danse, 2013)

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GENEVIÈVE NOVELLINO

Mon nom caressé par ta voix
mon nom chanté dans tes poèmes
je l’aime par toi

Tu le célébrais à chaque retour du calendrier
tu le savais symbole de notre Paris
toi seul en connais la beauté dont tu l’as béni

Tu m’aimes jusque dans mon nom

in  Qui parlera mon silence, 2013

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Peut-on écrire un poème sur une chemise ?
Une chemise suspendue là
que j’ai regardée, que j’ai prise, que j’ai mise.
Peut-on écrire un poème sur le pan d’une chemise
sur le col d’une chemise
sur la chemise de celui qui ne la met plus.
Ta chemise est là qui me parle.

in Papiers d’absence, 2003

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ROLAND NADAUS

L’Invention du Poème

Car le Poème s’invente mais ça n’est pas une invention : le Poème est une découverte qui existait déjà – on l’invente comme on « invente » un trésor.

Ainsi on invente des fleurs des fleuves des monts des insectes des îles – et qui sait : des mots ? – qui étaient déjà et bien avant nous – mais ils n’avaient pas d’existence avent qu’un homme les nomme.

Comme on s’invente l’Amour on invente le Poème qui l’accompagne qui l’accomplit le dit le chante jusqu’à l’épuisement jusqu’à la nuit de la nuit : c’était déjà comme ça quand nous étions préhistoriques et qu’on osait enterrer nos morts.

Mais maintenant ça change tout change : les poèmes coûtent trop cher en main d’œuvre – à part ceux de la Veuve Poignet et de ses clients.

       « Au Lupanar Médiatique »


in Les grandes inventions de la préhistoire, 2008


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SERGE PEY

POÉSIE ET VÉRITÉ


Non la poésie n’imagine pas
La poésie jamais n’imagine
Il faut dire et insister sur cela
Vous êtes bien d’accord avec moi
Nous écrivons des poèmes
sans imagination
la poésie n’est surtout pas
une imagination
Elle est la captation
par le  langage du réel
qu’on ne voit pas
mais qui à défaut de nous crever
les yeux nous tranche la langue
……
Non la poésie n’imagine pas
La poésie jamais n’imagine
Il faut dire et insister sur cela
Nous-mêmes nous sommes
entourés de bords
ou peut-être ne sommes-nous
qu’un seul bord
qui voudrait devenir un mot entier
pour inventer un autre bord
….
Vous savez
Le lis vos textes comme un poème
à haute voix
car ils sont une oreille toute entière
qui a remplacé ma bouche

J’écris un poème
de façon à ce qu’il ne soit jamais
une fiction
mais un autre réel rejoignant le réel
extérieur à ce poème lui-même

Je le sais
mon poème ne veut pas retracer la réalité
car si jamais il retrace cette réalité
celle-ci le quittera immédiatement
…….
Non la poésie n’imagine pas
La poésie jamais n’imagine
Il faut dire et insister sur cela
Le travail du poème consiste
à créer les mots réels pour dialoguer
avec le réel qui ne parle pas
et donc à s’opposer
à tout langage de vérité
qui voudrait retracer
objectivement ce réel
….
Je vous dis
que se nommer
est un processus
permanent et jamais définitif

C’est pour cela que nous sommes
des poèmes
Les poèmes ne servent pas à créer les noms d’auteurs
qui les écrivent
nous ne sommes pas des poètes
mais des poèmes

la signature n’est pas le nom
mais le nom est les poème
lui-même
de celui qui a perdu
l’illusion fatiguée
de son nom
….

in Mathématique générale de l’infini


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ANDRÉ PRODHOMME

Poème est camionneur
Il va d’un endroit à l’autre
Il roule sans précaution
Aucune
Avec ses airs de grande maison close
Ouverte aux vents et à leurs instruments

Il tangue, il swingue il est un monde d’où naissent des
Mondes…..

in L’Émeute, 2009

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ANDRÉ PRODHOMME/ SVANTE SVAHNSTRÖM
Dialogue poétique 2012-2014, partiellement édité - extraits

I

Des mots trop
trop vus, trop élimés, trop peu fiables
menacent au cœur du récit la force du vertige
Ils confèrent au vers une consistance baveuse
scellant pour la feuille support son imminente déchirure
Il n’y a pas de mystère
Sans état d’âme mais avec ménagement
les extraire du premier degré
les conduire vers un silence hiberné
reste l’unique recours pour sauver le poème du banal
Nulle part ne sera déplorée cette absence
Aucun oiseau ne devrait contester par son cri
aucun chant ne devrait empêcher
la mise en réserve de ces vieux serviteurs
                   
Svante  9 décembre 2012

in J'adhère à la brique, à paraître chez N&B

II

L’oiseau est là
Il est le poème

Il est mon voisin
Il a tous les noms qu’on lui à donnés
Parfois j’entends son grognement
Le silence est son prolongement

Le poème
À Vivre n’est pas banal
C’est le contraire exactement
C’est une promesse qui se tient mal

Un horizon bancal
Un chemin  à prendre la boue sous les pieds
Une fleur avec épines entre les dents

La maladresse est son humanité
Sa beauté qui nous surpasse
Un risque à prendre absolument

André , 9 décembre 201
3

inédit

  […]

III

Quand les mots s’assèchent
Se jouent de nous pour mieux se réinventer
Ouvrent la fenêtre
Prennent l’R
Pour faire le mort
C’est peut-être qu’ils crient au secours !
S’expliquent le monde par désespoir
À chat perché avec Ponge
Sur un seul pied
Sur n’importe quoi
Mais pas à terre 1  
Nos pauvres mots alors
Emeuvent nos morts les plus chers
Puis font retour sur eux-mêmes
Invitent à écouter Rainer Maria Rilke
Donner au poète le seul conseil qui vaille pour vivre
Approchez vous de la nature
Essayez simplement comme un premier homme
À dire, ce que vous voyez
Ce que vous aimez
Ce que vous vivez
Ce que vous perdez 2
En ce mois de janvier 2013
La terre du pays de Tremblay se couvre de givre
Une lumière d’or blanc sublime le champ
En contrebas la Loisance
Près de moi un chat couleur de cendre
Son voluptueux silence
Les mots se tordent ou non
L’ironie s’étouffe à son insignifiance

Sans que les blessures d’enfance ne contredisent
Je respire
J’écris
Je vis

André 18 janvier 2013


inédit

1 – Francis Ponge, A chat perché, Proêmes
2 - Rilke, Lettres à un jeune poète (la première), traduction Claude Mouchard, Hans Hartje



IV

La terre grelotte
sa peau durcit
Le marcel de feuilles mortes
ne couvre plus assez son torse
Ces jours elle enfile
flocon par flocon
un damart tendu par le ciel
Sous le blanc les villes se taisent
les campagnes obstruées retiennent leur souffle
Respiration, tu dis
Écritation
à cheval sur le poème
en selle autour du rondel
Par le mors la main manœuvre entre morphèmes
À l’ami qui met le pied à l’étrier de la feuille blanche

Svante, 21 janvier 2013

in A.Prodhomme, Montsouris en Coglès ou Le temps du poème, 2018

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PATRICK QUILLER

DANS L’ENTRELACS DES CONSCIENCES (SEXTINE)

Fissures et criquets dans la conscience
Dessinent le vortex d’un entrelacs
De sons qui permettent la transhumance
Des morts et des vivants dans l’être-là
D’un rituel mutuel de confiance
Infinie en-deçà et par-delà.

Car la voix du poème est par-delà
Et en-deçà du flux de la conscience,
Elle qui se donne en toute confiance
À l’élan d’une vague d’entrelacs,
Une vague sans fin où être là
Transcende en transe toute transhumance.

D’une seule vague va, transhumance
D’un bétail d’âme et de corps, par-delà
Et en-deçà des murs de l’être-là,
La théorie des porteurs de conscience,
Théorie lente et longue, en entrelacs
D’amitié, de dialogue et de confiance.

Ainsi se construit, fondé en confiance,
Le centon mouvant de la transhumance
Où la parole épique est entrelacs
De timbres et de rythmes par-delà
Les ères et les lieux, car la conscience
Met toujours du lointain dans l’être-là.

Le moi se fond en nous dans l’être-là
Dès lors qu’à l’infini naît la confiance
Aux vraies conversations entre consciences.
Chemin d’initiation par transhumance
Des cœurs, créant, en-deçà, par-delà,
Une anthropomancie des entrelacs.

C’est une vague, entrelacs d’entrelacs,
Qui brasse morts et vifs dans l’être-là
Du roulis, de l’écume, par-delà
Les frimas de l’Histoire. Et la confiance
Sans fin aux vertiges des transhumances
Rend funambule et barde la conscience.

La conscience toujours est entrelacs
Par quoi en transhumance l’être-là
Emmène sa confiance par-delà.


extraite D'une seule vague, à paraître

 






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