vendredi 26 novembre 2021

Charnel

 

Fernando Botero


AUTEURS
Anonyme XVIIIe siècle *
Makrâm al-Ansâri  XIIIe siècle *
Georges Bataille *
Didier Metenier
Francis Pornon
Svante Svahnström

        * - présenté par Svante Svahnström

 



ANONYME  1790

La Messaline française
Les quarante manières de foutre dédiées au Clergé de France
 

Trente-cinquième façon
LA SENTINELLE

Lorsqu’on a peur d’être pris en flagrant délit, on ouvre la porte à moitié et la fille s’appuie sur le chambranle, la tête du côté de l’escalier et le corps dans la chambre, à demi-courbé. Dans cette position, le galant la trousse et la fout avec vivacité : la crainte lui donne des forces. Il faudrait bien être malheureux pour être prix après tant de précautions. D’ailleurs, une porte ouverte met en défaut l’importune curiosité.

…………………

MAKRAM AL-ANSARI   XIIIe siècle

J’ai demandé à un expert
ce que les juridiques pensent
de  mes rapports avec toi
question à laquelle
n’aurait pas manqué de répondre
le juriste Malik.

Je n’ai reçu aucune réponse
et tous les gens dans la maison
nous ont soupçonnés de faire
de fort vilaines choses, laissant naître
à notre endroit les pires suppositions.

Que  dirais-tu alors si nous leur donnions raison
en nous livrant  sans remords à de telles pratiques,
histoire de leur éviter  de commettre un péché
en supposant à tort que nous agissions ainsi ?

……………………….

Georges BATAILLE

Mademoiselle mon cœur
mise nue dans la dentelle
à la boîte parfumée
le pipi coule de ses jambes
L’odeur maquillée de la fente
est laissée au vent du ciel
en nuage
dans la tête
se réfléchit à l’envers
une merveilleuse étoile
tombe
cœur criant  comme la bouche

le coeur manque
un  lis est brulant
le soleil  ouvre la gorge

………………

DIDIER METENIER

L'en-vers

dans cet en-droit tout à l'en-vers
toile de fond
d'un beau dé-corps à dé-couvert
un fou dé-sir
un grand dé-lire
jusqu'au dé-vers
une potion
un alambic
un(e)' décoction
un élixir...
une aqua(r)elle
un aqua-verre ?
avec plaisir !!!

…………………..


SVANTE SVAHNSTRÖM


MER BALTIQUE

Dans le froid la mer redevient vierge
Ses fruits sont à nouveau inexpugnables
mais contre des étraves d’acier
son innocence se perd fatalement
encore et encore
L’hymen de l’hiver se lézarde
en chenaux pour humains
et bientôt se dissout la membrane
entre côtes consentantes
La houle estivale frise son giron
et dans son intimité fouillent les chaluts des marins
La mer se donne aux peuples


(La Mer baltique est entourée de neuf nations)

…………………………….


Ceci est une cathédrale
Un sexe de vierge translucide posé sur le sol sacré
aspirant les psaumes profondément vers le père
Quelques platanes ombragent pubiens son portail
Grandes lèvres érigées en contre-forts
Pieuses petites autour du chœur
déambulatoire sous les pas des pèlerins
La flèche est ce corps caverneux réactif du fief de la foi
point névralgique d’extase retenue
A travers les hymens en verre
la verge solaire pénètre la nef et rayonne
éclate en lumière
La pierre taillée est une scène primitive

…………….

FRANCIS PORNON

MIDI LE TEMPS ENFIN

SUPPLIQUE
Frères humains
Le monde survit
Et l’homme se gave de saloperie de myopie et d’oubli
Et la femme se perd à son corps perdant
Et l’amour gèle sur l’écran
Lorsque le vent passant dessèche le temps

CHANT
Entends comme le cœur se crève
A la tâche en aveugle et sourd
Entends comme l’autre est lointain
Dans le vacarme de la ville
Entends comme la machine dicte
Son algèbre insensible et froid
Entends comme la chair est triste
D’être soldée à l’étalage

1
Le matin s’étire
Molesté des contraintes
A l’aurore la couche délaissée
Le long voyage épuisant et risqué
Jusqu’au-boutiste de l’écriture
Répétition regravée de la vie
L’heure où le sang et l’encre blanchissent
Quand les doigts se font gourds
Et que la langue se dessèche
Midi
Midi le temps de s’arrêter de courir contre le vent
Midi le temps d’enfin se déplier
Midi le temps enfin
Midi le salut
Enfin Midi

2
Après-midi
Axe équidistant entre les lourdes nuits
Où s’écartent les hémisphères du jour
Le temps sacré de la sieste
Séjour d’ombre quand se déchaîne la rage du soleil
Temps dérobé
Où expirent bavardages et obséquiosité
Temps où les villes cessent leur racolage
Où l’on se trouve nu
Le lac perd son voile métallique
Garonne exhibe l’aine de ses ponts
L’eau dans sa peau frémissante outremer féminine
Expose ses îles et ses rives
Où pataugent des oiseaux impudiques
Promesses de hauts-fonds secrets
Où d’estuaires ultramarins

3
A l’heure sourde de la colère solaire
Sous le cobalt du ciel porté à blanc
Paupières et jambes se pétrifient
C’est alors que l’iris se retourne pour descendre au fond du dedans
Attiser dans le labyrinthe du ventre
Le réveil d’un autre monde
Aux lents ébats de nageoires plaintives
Aux torpilles électriques tapies sous la toison des algues
Vibrionnant de haute tension
Mollusques béants d’espérances faméliques
Palpitant de terreur devant les dentitions de grands squales préhistoriques
Attendant leur temps

4
Etre au côté du corps
Cohabiter avec le lisse inouï de la chair
Ecouter le souffle distiller l’air
L’aspirer
Se nourrir de sa moiteur
Discret bouillonnement de son vertige intérieur
S’abreuver l’œil au-delà de la fatigue
Voir comme boire
Boire le rond d’un sein d’une épaule d’une hanche
Boire le duvet léger frisottant
Boire la courbe d’une échine
Et se nourrir goulu de l’être d’une jambe
Certitude mollet cuisse fesse
Se laisser pénétrer par le miracle
Du désir


5
Elle dort et son corps veille
Eclairant de sa chair l’obscurité
Soulever sa chevelure
Dévoiler sur son visage moite des rêves inouïs
Faire flotter son bras
Libérer le plein d’un sein
Porter les lèvres au bourgeon qui s’affermit de vie
Aller plus avant dans le temple
Ecarter les colonnes doriques des cuisses
Contempler le lieu de la divine
Ouvrir par effraction les fragiles courtines masquant l’entrée sacrée
S’imbiber de rituelle fragrance
Se nourrir de sa rubescence
S’abreuver d’huile sainte
S’en oindre la face
S’immerger tout entier

6
Les yeux sont des phares
Pour attirer sur les récifs ou dans les affres des tempêtes
Ils se ferment pour mieux jaillir
Coquillages rusés
La bouche aspire l’air qui va manquer
Maelström en promesse
Embrasser cette sirène dangereuse désirée
Statue vivante
Stèle à toute mémoire inviolée
Monument d’amour à prendre
Dans l’univers de haine d’égoïsme d’envie
Sonder la profondeur des eaux de son regard
S’accrocher à elle
Se coller à son être pour surnager



7
Les doigts reptiles
Les doigts en serres
Les doigts en bois noués
Enserrer des mains et des pieds
Caryatide en chair et cheveux
S’agripper à ses seins
Tenir malaxer exprimer
Les lécher les mordre les téter
Traire les tétons bénis jusqu’à plus soif
S’arrimer à ses hanches
Empoigner les certitudes de ses fesses
Explorer toutes ses raies
Traquer dans la tanière la crête vibratile
Et fouiller véhémentement le carnivore mollusque
Jusqu’à la résurgence
La sève de la vie
Elixir de jouvence
Universelle panacée

8
Elle est inanimée
Prête à recevoir l’offrande
Le souffle court
Le souffle va gonfler son corps
Le souffle va enfler ses fruits
Le souffle va faire sourdre sa sève
Elle attend le contact
Le déclenchement des doigts
L’étincelle qui allume la lune
La soif inouïe de la langue
Choc d’électrode
Brûlure au sang
Court-circuit si longtemps attendu
Traçant les arabesques d’un feu d’artifice sur sa peau
Sa tête résiste encore
Mais son corps largue les amarres
Et se livre au pilote
D’avance chavirée


9
La voici gisante
Chevilles et poignets liés
Quand elle voit se dresser
L’objet de sa terreur
Sujet de ses désirs
L’arme depuis jamais haïe
Enseigne tant convoitée
Appendice d’essence
Aiguillon du temps
Racine vénéneuse et tronc à floraison
Rutilant battant brûlant
Phallus phallus phallus
Fabuleuse dérision
Tout fond au monde
Tout est en l’autre
La trombe à la poitrine et la famine au ventre
Aux yeux au nez au cœur
Fournaise à tant et tant irriguer

10
Elle se renverse en soi
Espérance de défaite victoire
Gisante pantelante
De tête aux pieds béante
Dissoute dans l’attente
De l’alchimie
Omniprésence de l’autre
Entrée de tout
Liturgie au cœur du lieu d’accueil
S’ouvrir s’ouvrir s’ouvrir pour recevoir
La pierre philosophale
Et s’ouvrir pour donner
Se grand ouvrir
Jusqu’à la greffe

11
Quelle inouïe cérémonie recommence
Initiation confirmation
Au comble de l’intimité
La solitude à l’écart des fracas
Dans l’ombre de la déesse
Le monde vide
Soudain habité vibrant présent
Soudain comblé dans l’office idolâtre
Avec chasubles de toisons
Candélabres de chairs
Encensoirs et calices rubiconds
Etre prêtre de son ascension
Et démon de mon assomption
Dans l’apocalypse
Annonciateur du répit
Rédempteur de toute souffrance
Et bailleur de la plus grande merci

12
A l’ouverture bénie du temps
Ecartement du compas des jambes
Stupeur d’entrée de la caverne
Charnière mirifique
Promesse de voyage au centre des origines
Revivre de son mystère
Irrigué de sa sève souterraine
Se sentir érigé d’élan vital
Bandé ardent ultra-sanguin
A l’entrée du pays des songes
Percevoir les grands fonds
Entendre les clameurs
Essuyer ses embruns ses acides ses miels
Et enfin enfin plonger
Plonger tout au fond des fonds
Dans la tanière noire traquer la bête
Aux enfers aveugles se battre dans le feu
Surnager dans la mer des lumières
Poursuivre excéder exténuer
Convoquer le terme des termes
Jusqu’à morsure consentie
Conversion en poisson volant
Rivages des tropiques
Terre promise


CHANT
Cœur gros qui s’abreuve à la diable
Par-delà les pleurs de la ville
Toutes les langues incomprises
Les chants tués à gorge ouverte
Entends le cri d’appel de l’autre
Sache la chair qui ressuscite
Trace les formes de la vie
Et nous préserve du néant

ENVOI
Frères humains
Vous qui n’osez plus croire
Voici midi
L’heure arrêtée de la réconciliation
L’étincelle qui découpe la nuit
L’alchimie d’homme et femme en passion
Arc-boutés à tenir la route de la vie
A se donner la main et le corps et l’âme
En perfusion



Thonon-Toulouse
été 2004-été 2005