Nighthawks - Edward Hopper
AUTEURS
Anonyme eskimo *
Claire Auriol de Fénelon **
Xavi Gutierrez-Riu ***
Jules Malrieu ***
Didier Metenier
Moon Chung-hee *
Fernando Pessoa ****
André Prodhomme *
Philippe Sahuc
Svante Svahnström
*Présenté par Svante Svahnström
** Présentée par Bernard Auriol
***Présenté par Nicole Sibille
**** Présenté par Patrick Zemlianoy
ANONYME
LE PRINTEMPS
J’étais dehors dans mon kayak,
J’étais en mer dans mon kayak,
Je pagayais dans mon kayak.
Tout doucement je pagayais
dans Ammassivik le fjord.
Il y avait des glaces sur l’eau.
Sur l’eau aussi un pétrel
qui tournait la tête de tous côtés
sans me voir pagayer.
Soudain plus que sa queue
et puis plus rien.
Il a plongé , mais non pour moi :
une grosse tête était sur l’eau,
Celle d’un gros phoque poilu.
Une grosse tête aux gros yeux,
et ses moustaches brillaient
d’où tombaient des gouttes d’eau.
Et le phoque s’en vint doucement
de mon côté.
Mais je ne l’ai pas harponné !
Pourquoi ?
Peut-être par pitié ?
Peut-être parce qu’il faisait beau
et que le phoque jouissait du soleil
comme moi.
in "Poèmes eskimo" (réd. Paul Émile Victor)
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CLAIRE AURIOL de FÉNELON mère de Bernard Auriol, participant du Gué Semoir
LA SEINE
Dans la boue noire de Paris
Tu roules, tu coules, tu fuis,
indifférente à nos soucis !
Superbe, altière, ma vie,
Tu roules dans l'or de Paris...
Le soleil dore ta peau,
Il fait miroiter tes eaux ;
Peau de vache, peau d'agneau,
Poil de chien, poil de chevreau,
Le soleil dore ta peau.
Belle Seine, amour joli,
Tu danses autour de Paris,
Tu prends puis tu t'engloutis,
Et tu donnes, donnes, donnes,
Plus d'amour, que tu n'en voles !
…………….
FLÂNER
Flâner, mais à tout prendre, qu'est-ce ?
Est-ce courir étourdiment, de-ci, de-là ?
Balzac disait que flâner était toute une science.
Une science, je le crois fermement.
Aller sans se presser, c'est cela l'essentiel,
... Ne serait-ce pas perdre son temps, avec agrément
voluptueusement peut-être ?
La flânerie veut qu'on soit tout à elle ;
on ne m'empêchera pas de penser
que seul, le flâneur arrive à posséder
les champs et les collines, les pervenches des bois,
les bois et les torrents...Le flâneur
c'est l'être le plus riche du monde...
Le flâneur, c'est le souverain de Paris
comme si bien Bazin le dit.
in « Les harmoniques »
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XAVI GUTIERREZ-RIU
ESPÈCIES ESTRANHES (Sordes diversa)
È gescut d’expedicion Entà anar a quèrrer endemismes d’aqueri que mos an dit que son en perilh d’extinccion. Mès quan sò arribat en bòsc en lòc d’aqueres espècies que me’n tròbi d’exotiques que non coneishia pas e que cada dia n’i a mès ! Non cau anar tara sabana, tath desert ne tara tondra entà veir espècies naues : pòts, salers, bidons, canetes, plastics, padenes, veires, katiuskes Que son netes de Castièro, Marcatosa o Quatre Lòcs, o vengudes de Pujòlo o de d’autes latituds, totes eres perdurables immortaus indestructibles… tà que tostemps les pogam veir !
in "Haikós, tanke e d’autes espècies estranhes"
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Traduit par Nicole Sibille
Étranges espèces
J’ai monté une expédition afin d’aller chercher des endémismes, de ceux dont on nous dit qu’ils sont en voie de d’extinction. mais quand je suis arrivé dans le bois au lieu de ces espèces j’en ai trouvé de curieuses que je ne connaissais pas et qui chaque jour sont plus nombreuses ! il ne faut pas aller dans la savane ni au désert, ni dans la toundra pour voir ces espèces nouvelles : vases, bocaux, bidons, canettes, plastiques, poêles, verres, godasses… elles sont venues de Castièro, Marcatosa ou des Quatre Lòcs ou bien amenées de Pujòlo ou même d’autres latitudes, toutes étaient bien durables, immortelles indestructibles… afin que toujours nous puissions les voir !
Traduction d’un poème de Xavi GUTIEREZ-RIU « Espècies estranhes (Sordes diversa) » Paru dans la Revue OC N°129, Junh de 2019.
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JULES MALRIEUX (1854-1934)
LO CALELH Lo vesètz, es aquí, tot monhe, lo calelh ! Son temps es plan passat, a secat de languina. L’an sortit de pertot, de la cosina. L’ai metut d’aquel coet, iò, lo gardarai, gu-el.
N’a jamai esclairat tan plan que lo solelh. Fasià çò que podià. Ambe l’òli de nosa, La flama èra totjorn bènleu un pauc fumosa, Mès vos seguià pertot, a la man, lo calelh.
L’aviatz al cap del lièch, sus la taula, Montava a la solelha, e puèi davalava a la cava… Ne podià pas far mai, èra content totjorn.
L’escudèla de l’òli agara es tota seca Ont l’òli se metià li metètz una flor !... De coton, la memè li trempava una mèca.
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LE CALEL (1)
Vous le voyez, il est là, tout triste, le calel ! Son temps est bien passé, il a séché d’ennui. On l’a sorti de partout, même de la cuisine. Je l’ai mis dans ce coin, moi, je le garderai, lui.
Il n’éclaira jamais si bien que le soleil. Il faisait ce qu’il pouvait. Avec l’huile de noix, La flamme était toujours peut-être un peu fumeuse. Mais il vous suivait partout à la main, le calel.
Vous l’aviez à la tête du lit, sur la table, Il montait à la soulilho (2), et puis descendait à la cave… Il ne pouvait en faire plus, il était content de tout.
L’écuelle de l’huile maintenant est toute sèche. Où l’huile se mettait, vous y mettez une fleur ! De coton, la mémé y trempait une mèche.
1-Lampe à huile 2-Au dernier étage de la maison figeacoise, sorte de galerie ouverte au vent et au soleil
(Texte occitan et traduction parus dans Anthologie des Poètes du Quercy – Éditions du Laquet 2001)
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DIDIER METENIER
que peut-il résulter
d'un si furtif éch
ange ?
(un regard, un non-dit,
un arrêt sur image...)
un ch
ange
ment de
page...
un ch
ange
ment
de vie !!!
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MOON CHUNG-HEE (Corée)
LE RIZ FROID
Relevant mon corps malade je mange seule le riz froid
Le givre dans le riz me pique la gorge
De nos jours avec tous les engins électroménagers
de la cuisine
une minute sur le bouton suffit pour avoir le riz chaud
On n’a guère l’occasion de manger du riz froid
mais aujourd’hui je mange seul le riz froid
Celle qui mangeait le riz froid
tandis qu’elle donnait à manger le riz chaud à sa famille
elle finissait le riz froid dans un bol ébréché
avec des morceaux de radis qui trainaient
elle léchait l’arrête du poisson
pourtant de son corps jaillissait l’amour le plus doux
Avec le regret de ces mains affairées
même tard la nuit dans la cuisine
aujourd’hui relevant mon corps malade je mange le riz
froid
D’après une légende le Ciel n’ayant pu envoyer un dieu
dans chaque foyer
y aurait envoyé une mère pour le remplacer
Alors je la rencontre dans le riz froid que je mange seule
Aujourd’hui
je deviens le riz froid du monde
in "Celle qui mangeait le riz froid"
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FERNANDO PESSOA
Le gardeur de troupeau
I
...
D’un simple bruit de sonnailles
par-delà le tournant du chemin
mes pensées tirent contentement.
...
XLII
La diligence est passée dans la rue, et puis s’en est allée ;
La rue ne s’en est trouvée ni plus belle ni même plus laide.
Ainsi de toute action humaine dans le vaste monde.
Nous ne retirons rien et rien nous n’ajoutons ; on passe et on oublie ;
Et le soleil est toujours ponctuel chaque matin.
Poèmes désassemblés
L’effarante réalité des choses
Est ma découverte de tous les jours.
Chaque chose est ce qu’elle est,
Et il est difficile d’expliquer combien cela me réjouit
Et combien cela me suffit.
Il suffit d’exister pour être complet.
J’ai écrit bon nombre de poèmes.
J’en écrirai bien plus, naturellement.
Cela, chacun de mes poèmes le dit
Et tous mes poèmes sont différents,
Parce que chaque chose au monde est une manière de le proclamer.
Parfois je me mets à regarder une pierre.
Je ne me mets pas à penser si elle sent.
Je ne me perds pas à l’appeler ma sœur
Mais je l’aime parce qu'elle est une pierre,
Je l’aime parce qu’elle n’éprouve rien,
Je l’aime parce qu’elle n’a aucune parenté avec moi.
D’autres fois j’entends passer le vent,
Et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, il vaut la peine d’être né.
Je ne sais ce que penseront les autres en lisant ceci ;
Mais je trouve que ce doit être bien puisque je le pense sans effort,
Et sans concevoir qu’il y ait des étrangers pour m’entendre penser
Parce que je le pense hors de toute pensée,
Parce que je le dis comme le disent mes paroles.
Une fois on m’a appelé poète matérialiste,
Et je m’en émerveillai, parce que je n’imaginais pas
qu’on pût me donner un nom quelconque.
Je ne suis même pas poète : je vois.
Si ce que j’écris a une valeur, ce n’est pas moi qui l’ai :
la valeur se trouve là, dans mes vers.
Tout cela est absolument indépendant de ma volonté.
In , «Fernando Pessoa : Le gardeur de troupeau et les autres poèmes d’Alberto Caeiro »
Traduit du portugais par Armand Guibert
Editions Gallimard, 1960
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ANDRÉ PRODHOMME
LA CHATTE
Hier elle amena sur la table de la cuisine
Une souris à l’agonie
Elle jouait avec elle comme avec son appétit
J’ai pensé qu’en d’autres lieux
Le tigre du Bengale avec un homme ne faisait
guère mieux
Aujourd’hui elle donne vit sur la table
À une colline de chaussettes bigarrée
Puis épuisée par anticipation
Trouve son bien-être sur une tour de draps blancs
Elle fait don au mouvement de l’immobilité
Elle n’est jamais là où je l’attends
Maintenant elle est parmi mes livres
Elle appose sa griffe sur Épictète Abélard
Qu’elle distrait de la mort et de la bibliothèque
Comme Apollinaire je vais pouvoir vivre
in "Poèmes accordés, Lettre à Laurent"
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PHILIPPE SAHUC
Le 24 août dernier est mort mon père, Henri Sahuc. De son vivant, cet homme s’était souvent déclaré amateur de poésie, sans préciser de forme ni d’auteur. Les jours qui ont suivi sa mort, j’ai conduit sa voiture et trouvé dans le vide-poche de celle-ci, côté conducteur, un petit recueil de poésie d’un auteur belge, instituteur comme lui, édité chez Seghers. Le recueil avait visiblement été abondamment feuilleté. J’ai donc supposé qu’il s’agissait là de la forme de poésie au goût de mon père.
Cela ne correspondait pas à ma propre façon d’écrire mais j’ai essayé de faire quelques pas d’écriture à son goût supposé, inspiré par ce qui semblait compter dans le quotidien que je lui avais connu, ce qui suit…
LAVE-AUTO
Comme il faut que les oiseaux ne laissent
que traces éthérées,
comme il faut que ton pare-brise l’atteste
en reflets itérés,
comme il faut que mousse s’ensuive et tombe
à gros flocons
sur le gravier,
lave en volcan
et que l’eau ruisselle sur la tôle
comme aux flancs d’un piton tropical
et que la couleur y creuse sa pureté
comme tes dents dans la cendre du soir
et que le fruit germé
de ton maïs castré
te rende fier
d’être homme
de pur soin.
CROIX DE PAIN
Le pain comme en la crèche
tenu sur un bras en hamac,
le crostèt faisant nuque
née à l’heure du déjeuner.
Prendre le temps que vienne
la pensée de moissons voulues
dans les livres d’école et
dessinées à l’œil fermé.
Tracer alors un trait de la pointe prudente
du couteau à canines,
avec tremblement aux fossettes
des percussions d’un orchestre muet.
Le point d’orgue arrive au second trait
pour faire croix à démultiplier
le roulement de croûte
à la mie alanguie
proche.
RASAGE
Comme à chaque matin
un menton neuf doit naître,
la glace est prise
par un regard de forge.
A joue de soufflet
les creux sont débusqués,
la peau se fait luisante
comme terre en labour.
Prendre le temps
de réviser les cicatrices,
le rasoir en ronronne
d’épique raconté.
Ça vous a mis le feu,
un liquide va luire
officiel parfum,
pare-choc fun peut-être
pour l’austère méthode.
CAFE FRAIS
Au commencement faire
comme si le chœur repas
ne devait jamais empêcher
le dessert de faire congère.
Supposer toujours
la communion totale en gorgée noire,
laisser les abstinents à voix trop timide
se dénoncer.
Se lever alors tel l’alchimiste
inspiré chaque jour
pour muter le soleil de midi
en luisant café noir.
Mais avant lors,
sourire en oriflamme,
procéder à
la litanie des choix :
que l’eau soit de source révélée,
que tasses soient de fière contenance,
et le sucre à amicale distance,
que cuillers disposent leurs reflets
savamment,
et surtout que le chorus des voix ménage
le son café solo.
BLOUSE GRISE
Ça ne fait pas un pli
la craie s’y élimine
il y a poche à crayon
toujours la gomme au bout
on imagine des pâtés
à croquer l’encre
sur feuille clandestine
pour le temps de patère.
Et sans le moindre amer,
finir par raccrocher
toujours le col d’amont
les épaules effacées,
Ce sera la mémoire
de la cuisine école
des enfants
mitonnés.
……………………….
SVANTE SVAHNSTRÖM
Je châtre mon concombre
Je tranche les tomates jusqu’au sang
J’écorche mon oignon
et j’arrache les oreilles de ma tête de laitue
Je les jette dans un nuage de poivre
et j’asperge de vinaigre les plaies
de sel la chair nue
D’huile je badigeonne enfin les douleurs
Une tranquille soirée végétarienne
in « Languier »
SAMSUN
Du gris vous vouliez ?
C’est bien cela ?
Vous êtes bien tombé
Vous êtes arrivé au bon endroit
Ici notre attraction c’est le travail
Admirez notre port
Ecoutez le train hurler sur les rails
Regardez les chargement du charbon
Bien sûr que nous avons des plages
Le sable y est finement gris
comme la mer aujourd’hui
qui refuse d’être noire
Nos rues sont étroites
les voitures vous y frôlent et hululent
Séduction surannée de notre Grand hôtel quatre étoiles
avec vue imprenable sur le port et le charbon
Les transats solitaires bordent la piscine
où les algues font vivre l’eau stagnante
Montez en haut de notre colline
dans la chaleur et redescendez
Il n’y a que la ville à voir
et ses reflets dans votre sueur
L’insignifiant est notre arme pour séduire
in « Navigateur au sommet du vide »