Vieillard triste - Vincent van Gogh |
AUTEURS
Charles Baudelaire
Anaïs Bon
Aimé Césaire
Xavi Gutièrez Riu
Stépjane Mallarmé
Didier Metenier
Moon Chung Hee
Jean-Pierre Pouzol
Edith Södergran
Jeran-Michel Tartayre
Paul Verlaine
Svante Svahnström
CHARLES BAUDELAIRE
Spleen : Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
…………………………
ANAÏS BON
Je n’ai pas compris, tu reculais, mes mains bleuissaient et je gardais avec moi l’odeur pressentie de ton cou.
Ta maladresse me dirige,
Je ne suis rien, seulement toute à venir, j’en suis préhistorique. Parce que je ne te connais pas : l’air est neuf ! On n’a aucune envie de juger, mais je reste stupide, parce que tout s’est orienté d’un coup. J’aimerais croire que la surface de ma peau est faite pour t’inspirer des folies ; mais ce sont là le murmures de Satan. Restons simples. J’ai la foi. Comprends, combien il sera bon de te mordre… Un instant la rédemption sera complète.
In Abside, Mémoire Vivante
………………………………….
Aimé CÉSAIRE
Blues de la pluie
Aguacero
beau musicien
au pied d’un arbre dévêtu
parmi les harmonies perdues
près de nos mémoires défaites
parmi nos mains de défaite
et des peuples de force étrange
nous laissions pendre nos yeux
et natale
dénouant la longe d’une douleur
nous pleurions
In "Cadastres"
…………………………
XAVI GUTIÈREZ RIU (traduction de Nicole SIBILLE)
La set La soif
Lo putz Vide
qu’es voit, est le puits,
lo uelh sec
qu’es est l’œil,
lo cèu bleu qu’es blu : est le ciel :
non i a il n’y a
ne un crum aucun nuage
e non et jamais
plau bric… il ne pleut…
lo Lui tari
qu’es sec. est le Lui.
Lo vent Le vent
qui ven qui vient
que pud sent
a hum : la fumée :
de huecs en haut
que n’i a, du mont,
au som il y a
deu mont. des feux.
Qu’è mau Ma tête
de cap me fait mal
e caut et brûlant
lo front, mon front,
qu’è flac faible
lo còr, est mon cœur,
qu’è pòc du sang
de sang, j’en ai peu,
qu’è shuc sèche
lo coth est ma gorge
e los pòts secs et mes lèvres sèches
-dab gost de sau- : - ont goût de sel- :
qu’è hòrt de soif
de set ! je meurs !
Lo bar Le bar
qu’es plen est plein
de gent de gens
qui beu, qui boivent,
que’m cau il m’en faut
un còp un coup
mès non mais non
i a mei il n’y a plus
de vin de vin
au chai. au chai.
Que beu Boit
Qui pòt qui peut
e pas et non
qui vòu ! qui veut !
……
Aguest poèma qu’ei un exercici d’Oulipisme, o de literatura potenciau se vos ac estimatz mès, pr’amor qu’en gascon aranés ei possible escríver, corrèctament, un tèxte tot damb era e coma unica vocau.
Pèrder eth sen
En vergèr des deth Veredèr,
entre vèrns e telhs,
perèrs e mesplèrs,
es èrbes que verdegen.
Peret,
berret nere,
celhes espesses,
pèth de cendre,
-sense dents-
bretèles vermelhes
eth vrente plen
-per excès de béver-
que velhe.
Se se desvelhe de nets
leque eth crespèth... ressec,
e le quèn es lèrmes.
Percep eth vent, fresc,
qu’entre pes henerèques,
e sent eth hered enes pès.
Eth mètge le nègue eth veren
e eth ‘vespèr’ le des·hè eth cervèth
e le pren eth temps.
Desbrembe eth present,
es rebrembes de ger ser,
mès se brembe des règles
que l’ensenhèren es mèstres
e des precèptes des prèstes,
eth, que ne credeve en Sénher ne en ren
s’entèste en fes extrèmes,
en credences veementes
e plees d’encens
e pèrd eth temps
de temple en temple,
E, sense hèr-se’n,
pèrd eth sen
pes sègles des sègles...
Traduction rapide portant uniquement sur le sens (Nicole SIBILLE)
Perdre la raison
Dans le verger de la famille Verdier,
au milieu des aulnes et des tilleuls,
des poiriers et des néfliers,
et des herbes vertes.
Peret,
béret noir,
sourcils épais,
peau de cendre,
-sans dents-
bretelles rouges
le ventre plein
-par excès de boisson-
somnole,
s’il se réveille la nuit
il lèche une crêpe… desséchée ,
et coulent ses larmes.
Il sent le vent, froid,
qui entre par les crevasses,
et ressent le poids de sa vie dans ses pieds.
Le médecin le noie de potions
et le cancer lui défait son cerveau
et lui vole le temps.
Il oublie le présent,
et les souvenirs de la veille
mais il se rappelle les règles
que lui enseignèrent ses maîtres
et les préceptes des prêtres,
lui, qui ne croyait ni en Dieu ni en rien,
s’entête dans une foi extrême,
et dans des croyances véhémentes
et pleines d’encens
et il perd son temps
de temple en temple,
Et, sans s’en faire,
il perd la raison
pour les siècles des siècles…
………………………………………………………………..
STEPHANE MALLARMÉ
Renouveau
Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.
Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau
Et triste, j’erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane
Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,
J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève…
– Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
……………………….
DIDIER METENIER
Et voguent les regards
Dans le bleu-nuit de ses yeux vagues
Lorsque le spleen devient ressac.
……………………………………………………….
MOON CHUNG HEE - Corée
Chant d’un ballon
Joue avec moi
Fais-moi flotter en l’air
Souffle-moi dans la bouche encore et encore
Emplis-moi d’air chaud
Ma peau douce et tendue
fais-la éclater en me tripotant
non, caresse-moi doucement
j’ai l’impression d’éclater aussitôt
Tout mon corps est un chemin gelé
Ma vie entière est exposée au danger
La flèche acérée du temps me guette
Nul besoin de clé
Laisse-moi jouir du vent
Non, tue-moi joyeusement
https://www.cairn.info/revue-poesie-2012-1-page-50.htm
………………………………….
JEAN-PIERRE POUZOL
Solitude de mon amour
Solitude,
C’est toi solitude,
Je te connais
À se briser
À crier un grand cri blanc
Un cri désert
Devant le miroir de soi-même
Quand les yeux ne sont plus que chrysalides
Ô cette musique
Je la connais
Cette pourriture d’images
Je te connais solitude
Ta proue fend
Ma poitrine
Et le sang jaillit en gerbes
Me voici au seuil du vide
Aussi vivant que mort
In Anthologie des Poétes du Quercy, Éditions du Laquet
……………………………………..
EDITH SÖDERGRAN Finno-suédoise (1892-1923)
Je suis étrangère dans ce pays
au fond de la mer oppressante
le soleil plonge là ses onduleux rayons
et l’air flotte entre mes mains.
On m’a dit que j’étais née en captivité –
Ici pas un visage qui ne me soit connu.
Étais-je une pierre jetée au fond ?
Étais-je un fruit trop lourd pour sa branche ?
Me voici au pied de l’arbre bruissant, prête
à grimper à ces troncs glissants, mais comment ?
Là-haut, se rejoignent les couronnes vacillantes
et là je veux rester assise à chercher du regard
la fumée des cheminées de ma patrie.
In Le pays qui n’est pas et Poèmes, Orphée
…………………………………………………..
JEAN-MICHEL TARTAYRE
Bleu par la fenêtre, les yeux entr’ouverts –
Un fragment de ciel.
Tout oublié en deçà.
Rupture immédiate avec ce qui heurte.
Le silence avec soi –
Pour un fragment d’histoire.
Revenu d’on ne sait où, mais beaucoup mieux.
In Vers l’été suivi de Fractions du jour, N&B
……………………………………………………..
PAUL VERLAINE
Chanson d’automne
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
In Poèmes saturniens
……………………………………..
SVANTE SVAHNSTRÖM
Comme un clin d’œil, le blues du moine de l’Inquisition
Recevoir comme sur le Mont Horeb
la voix d’hommes distants
deviser avec un coquillage sur l’oreille
n’est affaire que de louches pactisant avec le Malin
Des icônes remuant sur une vitre de cassette
des paroles qui s’en évaporent
dans tous les foyers
relèvent du sacrilège
Mensonge insinuant que tous
à l’instar de Sainte Claire
seraient doués de tele-visio
Concevoir ces coches sans chevaux
au dessus des nuages
ces tubes métalliques en apesanteur
est un blasphème que juge sévèrement la Sainte Inquisition
Et seul le bûcher peut attendre les corps
qui laissent envahir leurs entrailles
par l’oeil vagabond d’un ver mécanique
pouvoir permis au Père seul
Gesticuler avec des membres ressuscités
sur des moignons estropiés
trahit les commerces impies de la foire Saint Germain
avec de faux docteurs et des faiseurs de miracles
Que nul ne s’y trompe
Un seul sait prélever des fragments du vivant
sait les planter dans les chairs endolories
Un seul sait créer l’Homme
La superstition sauvage d’un progrès
résidant dans le don de lecture dispensé à tous les enfants
sera pourchassée sans relâche
par la charité du diocèse
et du père exorciste
Cherchez donc dans la prière
l’antidote aux fausses promesses
du bulletin de vote dans toute main
Ne pas oublier qu’en l’année du Seigneur 2008
le bonheur de l’homme demeure dans la soumission
Son ambition paisible
est de perpétuer une vie d’efforts et de sueur
à l’abri des obscènes inventions
régurgitées par les hordes méprisables
de Bélial l’imposteur
in Hocus Corpus, Librairie Galerie Racine