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Lutteurs - Juliette Rousseau |
AUTEURS
Apollinaire *****
Nanou/Bernard Auriol
Sergi Bec *
Paul Éluard ***
Nazim Hikmet ***
Michel Houellebecque ****
Victor Hugo *****
Frédérique Malis
Martin Niemüller ***
Jacques Prévert *
Arthur Rimbaud *
Guillaume Tudela/Anonyme **
Boris Vian ***
Svante Svahnström
Présenté par
* Nicole Sibille
** Jean Sibille
*** Évelyne Bruniquel
**** Didier Metenier
***** Svante Svahnström
APOLLINAIRE
Poème Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments
………………………………………….
NANOU AURIOL
Le Chevalier David
Le Chevalier David
Se promenait sur ses terres
Car il sauva la vie
Du Roi Alphonse
Et en réponse
Lui donna un Mont
Et puis un lac.
Le Chevalier David
Marchait sur ses terres,
Solitaire.
Comme il s'approchait
De l'étang
Il vit un géant.
Il fouilla dans ses poches
Pour prendre des pierres
Mais ses mains
ne trouvèrent rien
Que de la mie de pain.
Le Géant s'avançait
Menaçant
les poings en avant.
Le Chevalier David
Lança des miettes
Sur Goliath
Qui le prit dans ses bras
Lui brisant les os, les reins
Le foie et le pancréas.
Dans la brume
De la Galice fière
Un homme joue
Du biniou
Entre l'eau et la terre
Ici gît
Le Chevalier David.
……………………………………………………..
SERGI BEC (1933-2021)
Balada per Lili Fòng Ballade pour Lili Phong
Que siás bèla Lili Fòng Que tu es belle Lili Phong
Quora paras ton fusiu Quand tu tends ton fusil
Sus li dogas dau Mekòng ! Sur les rives du Mékong !
Fau èsser fòrt per viure Il faut être fort pour vivre
Amar sa femna e si dròlles Aimer sa femme et ses enfants
Viure a ras de penjadissas Vivre à ras des pendaisons
Dire la vida a votz sota Dire la vie à voix basse
Reçaupre li benesidas Recevoir les bénédictions
E quichar la man amiga Et serrer la main amie
Amars s’enauran li pòbles Amers se dressent les peuples
Amb son trabalh per morir Avec leur travail pour mourir
E sa fam per mordaçar Et leur faim pour mordre
Sota la lutz di teulissas Sous la lumière des toitures
La crotz muda dau non-rèn La croix muette du néant
Poëma falit ton flume Poème failli ton fleuve
I banhavas ton enfant Tu y baignais ton enfant
Carrèja de peissons roges Charrie des poissons rouges
Caps d’òmes d’a passa temps Têtes d’hommes du temps déjà passé
O Lili Fòng Lili Fòng ! Ô Lili Phong Lili Phong
Foguèt espotit ton enfant Il fut écrabouillé ton enfant
A fòrça de comptar dau cèu li bòmbas À force de compter du ciel les bombes
L’innocència retrobada L’innocence retouvée
A perdut un còp de mai Une fois de plus a perdu
Son unenca encaminada Son cheminement unique
Que siás bèla Lili Fòng Que tu es belle Lili Phong
Quora paras ton fusiu Quand tu tends ton fusil
Sus li dogas dau Mekòng ! Sur les rives du Mékong !
Las chormas s’entraucaràn Les bandes s’enfonceront
Dins la fanga de l’istòria Dans la boue de l’histoire
Mai li bòmbas que cabuçan Mais les bombes qui pilonnent
Dins l’espèr de ta mementa L’espoir de ta mémoire
Son pas d’idèias que te fas ! Ne sont pas des idées que tu te fais !
Que siás bèla Lili Fòng Que tu es belle Lili Phong
Sus li palunhalhas prensas Sur les rizières engrossées
De tis amics d’avans-fuòc De tes amis d’avant-guerre
Ton còr sauta dins lis èrbas Ton cœur bondit dans les herbes
Estravaiadas d’espèra Tenues en éveil par l’espoir
Maugrat li periments de cada jorn Malgré les dévastations de chaque jour
Dins li chambrilhons vèrts dis amors Au fond des cellules vertes des amours
Siás nascuda dins las raras Tu es née dans les clairières
Ont se fai lo sagatatge Où se pratique l’assassinat
La gabiòla es dins la fosc La geôle est au fond des ténèbres
Enrodada de desfis Encerclée de défis
S’acabarà pas l’estraviadura Ne s’achèvera-t-il jamais l’égarement ?
Que siás bèla Lili Fòng Que tu es belle Lili Phong
Uelhs caussats de macaduras Yeux cernés de coups
La fam de ton agachada La faim de ton regard
Trafiga los pòbles qu’amargan Transperce les peuples qui s’aigrissent
Levame dau pan que chica Levain du pain qui s’affaisse
Dins l’ostau di desertors Dans la maison des déserteurs
Que siás bèla Lili Fòng Que tu es belle Lili Phong
Quora paras ton fusiu Quand tu tends ton fusil
Sus li dogas dau Mekòng ! Sur les rives du Mékong !
E adès ara qu’enchau Et maintenant qu’importe
Ton sang gueirat de preguièras Ton sang guetté de prières
Ton sang tancat de varatges Ton sang planté d’épaves
O sabes bèn Lili Fòng Tu le sais bien Lili Phong
Son pas jamai en vacanças Ils ne sont jamais en vacances
Li gents de la guèrra Les gens de la guerre
E fai pron temps ! Ah, ça suffit à présent !
O Lili Fòng Lili Fòng Ô Lili Phong Lili Phong
Eras bèla mai que mai Tu étais la plus belle
Aparant ton vièlh fusiu Épaulant ton vieux fusil
Sus li dogas dau Mekòng Sur les rives du Mékong
Tis uelhs guinchant l’avion Tes yeux ajustant l’avion
Ton cap dobert que banhava Ton visage ouvert qui baignait
Coma lo de ton drollet Comme celui de ton petit
Dins lo remembre sagnos Dans le souvenir ensanglanté
De ton flume que temonía De ton fleuve qui témoigne
Siéu un païs
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Paul ELUARD (1895-1952)
AVIS
La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie
L’idée qu’il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écoeurait
Sa force le faisait gémir
C’est tout au fond de cette horreur
Qu’il a commencé à sourire
Il n’avait pas Un camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui
NAZIM HIKMET - Poète turc mort à Moscou après de longues années de prison et d’exil.
ET VOILA…(Poème écrit en prison)
Je suis dans la clarté qui s’avance,
Mes mains sont toutes pleines de désir, le monde est beau,
Mes yeux ne se lassent pas de regarder les arbres,
Les arbres si pleins d’espoir, les arbres si verts.
Un sentier ensoleillé s’en va à travers les mûriers.
Je suis à la fenêtre de l’infirmerie.
Je ne sens pas l’odeur des médicaments.
Les œillets ont dû fleurir quelque part.
Et voilà, mon amour, et voilà, être captif,
Là n’est pas la question,
La question est de ne pas se rendre…
Nazim Hikmet (1901-1963)
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MICHEL HOUELLEBECQUE
Le train qui s'arrêtait au milieu des nuages
Aurait pu nous conduire à un destin meilleur
Nous avons eu le tort de trop croire au bonheur
Je ne veux pas mourir, la mort est un mirage.
Le froid descend sur nos artères
Comme une main sur l'espérance
Le temps n'est plus à l'innocence,
J'entends agoniser mon frère.
Les êtres humains luttaient pour des morceaux de temps,
J'entendais crépiter les armes automatiques,
Je pouvais comparer les origines ethniques
Des cadavres empilés dans le compartiment.
La cruauté monte des corps
Comme une ivresse inassouvie ;
L'histoire apportera l'oubli,
Nous vivrons notre seconde mort.
Renaissance, 1999
………………………………….
VICTOR HUGO
Après la bataille / La légende des siècles
Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Et qui disait : " A boire ! à boire par pitié ! "
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit : "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: "Caramba! "
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.
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FRÉDÉRIQUE MALIS
ARISTOTE
(En attente)
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Martin NIEMÖLLER (1892-1984). Pasteur et théologien allemand
QUAND ILS SONT VENUS CHERCHER LES COMMUNISTES
Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les Juifs,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas Juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas catholique.
Puis, ils sont venus me chercher,
Et, il ne restait personne pour protester.
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JACQUES PRÉVERT
Barbara
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
Jacques Prévert, Paroles
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ARTHUR RIMBAUD
C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
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GUILLAUME TUDELA/ANONYME
La Cançon de la Crosada La chanson de la Croisade
(extrach del Sèti de Tolosa) (extrait du Siège de Toulouse)
E el camp de Montoliu es plantatz us jardis, Dans le champ de Montoulieu est planté un
Que tot jorn nais e brolha, el es plantatz de lis, jardin, qui germe et pousse tous les jours ; il
Mas lo blanc e el vermelh, qu’i grana e floris, est planté de lys, mais le blanc et le rouge
Es carn e sanc e glazis e cervelas gequis. qui y bourgeonnent et y fleurissent, sont de la
chair et du sang, des épées et des cervelles,
qui y gisent.
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BORIS VIAN
L’EVADE
Il a dévalé la colline, Il est arrivé près de l’eau,
Ses pas faisaient rouler les pierres. Il y a plongé son visage.
Là-haut entre les quatre murs Il riait de joie, il a bu.
La sirène chantait sans joie. Pourvu qu’il me laisse le temps.
Il respirait l’odeur des arbres. Il s’est relevé pour sauter.
Avec son corps comme une forge, Pourvu qu’ils me laissent le temps.
La lumière l’accompagnait Une abeille de cuivre chaud
Et lui faisait danser son ombre. L’a foudroyé sur l’autre rive.
Pourvu qu’ils me laissent le temps. Le sang et l’eau se sont mêlés.
Il sautait à travers les herbes, Il avait eu le temps de voir,
Il a cueilli deux feuilles jaunes Le temps de boire à ce ruisseau,
Gorgées de sève et de soleil Le temps de porter à sa bouche
Les canons d’acier bleu crachaient Deux feuilles gorgées de soleil,
De courtes flammes de feu sec. Le temps d’atteindre l’autre rive,
Pourvu qu’ils me laissent le temps. Le temps de rire aux assassins,
Le temps de courir vers la femme,
Il avait eu le temps de vivre.
……………………..
SVANTE SVAHNSTRÖM
Mon cousin hirsute
au front plat
distant c’est entendu
je ne connais que tes os
Mais j’ai su que c’est toi
toi, l’Ogre
le roi de la montagne, toi
toi avec les incisives
qu’on dit mangeur d’enfants
Quatre cent mille ans
que sans partage tu piétinais l’herbe
et l’itinéraire de l’aurochs
L’Ogre c’est toi mon cousin
toi le grossier qui régnait seul
qui a contemplé l’incursion des autres
en rien moins sauvages
pendant cinq millénaires
toi qui enfin a cédé à l’intrus tes terres de chasse
Prince de la péninsule
que les héritiers des envahisseurs nommeront Europe
Colon des cavernes
oui c’est toi le roi de la montagne
toi le laid des légendes
père de tous les trolls
Maître des méandres tu t’es révélé dans la vallée
tu as magnifié ta rivière le Neander