![]() | |||||||||
La voie ferrée de Carzou - Patrick Lesné |
| |
AUTEURS
Nanou Auriol
Philippe-Marie BERNADOU *
Bhagavad Gitâ *
François Cheng**
Maurice Couquiaud*
Domenja Decamps***
Dominique Guillerm
Mohammad Iqbâl*
Aurélia Lassaque*
Didier Metenier
Catherine de Monpezat
Jacques Ravaud*
Philippe Sahuc
Svante Svahnström
*présenté par Svante Svahnström
** présenté par Didier Metenier
*** présentée par Nicole Sibille
NANOU AURIOL
En attente
............................
PHILIPPE-MARIE BERNADOU
RIVIÈRES
Rivière qu’une main de noyé caresse.
Un éclair d’écailles désespéré bondit aux nuages. N’y arrivera pas.
Rivière où l’homme s’abîme, et la truite cherche son envol.
Miroir inverse, fluide, de nos solides certi-
tudes.
Rivière qu’un noyé, en d’impossibles no-
ces, déchira.
*
Que tu revêts ton masque de glace ne
t’immobilise pas. Les enfants seuls s’y trom-
pent, et leurs jeux.
Sous ta dure façade, nous entendons ga-
gner tes rides. Et ton sang absurde, éternel, te creuser.
Nous aussi, tu sais, notre mémoire saumon
vient toujours nous inventer de flamboyants
automnes.
À contre-courant. (Ailes)
........................................
BHAGAVAD GITÂ Inde ~ 300 avant J.-C.
….
Quand on sait que, pour Brahmâ, un jour a la durée
de quatre cent trente-deux millions de journées,
et qu'une nuit a la durée
de quatre cent trente-deux millions de nuits,
on connaît le jour et la nuit.
/…/
Le temps exact où l'être détaché, une fois disparu,
ne reprend plus de forme,
ou en reprend une autre,
ce temps, ô Arjuna,
je vais te l'indiquer.
Le feu, la lumière, le jour, la quinzaine claire,
les six mois où le soleil va au nord,
c'est le temps où, une fois disparus,
vont à la Conscience
ceux qui connaissent la Conscience.
Fumée, nuit, quinzaine sombre,
les six mois où le soleil va au sud,
c'est le temps où l'être détaché,
qui a atteint la lune et sa lumière,
s'incarne encore dans une forme.
Ces deux voies, la claire et l'obscure,
sont les deux dimensions permanentes du monde.
L'une conduit à l'absence de forme
et l'autre, à une forme.
C'est en connaissant ces deux voies qu'un être détaché
ne connaît pas le trouble, Arjuna.
Aussi, à chaque instant, Arjuna,
demeure détaché.
Ce qui, à propos de Védas, des sacrifices, des efforts,
et des aumônes,
est désigné comme le fruit du bien,
cela, un être détaché le dépasse
car il connaît la réalité tout entière,
et gagne alors le suprême séjour,
présent dès l'origine.
………………………………….
FRANÇOIS CHENG
Porte close,
Songe ouvert,
Tel est l'accueil
De la demeure humaine.
La vraie gloire est ici, p.43, éd. Gallimard, 2017
Eternel adieu,
à tout moment ;
Eternel bonjour,
à chaque instant.
Enfin le royaume, p.112, éd. Gallimard, 2018
Ombre ou trace
Trace d'ombre
Sur la plus lumineuse crête
de l'instant.
Enfin le royaume, p.28, éd. Gallimard, 2018
Nous sommes les éphémères,
Il nous demeure l'instant,
Débris de mémoire que les mots ressuscitent,
Toute la vie afflue
Vers un présent offert.
La vraie gloire est ici, p.70, éd. Gallimard, 2017
Au plus intime de chaque présence
L'invisible ouvre sa plus vaste aire.
Enfin le royaume, éd. Gallimard, 2018
Le trait est l'Un
L'Un est le trait
Là où les souffles se séparent et se réunissent
Le fini et l'infini tracent leur partage
Pour ravir le regard de l'homme.
Enfin le royaume, p.40, éd. Gallimard, 2018
Le trait, empreint du souffle, est trait d'union
Reliant yin et yang, terre et ciel, eau et feu
Bleu et rouge, vert et jaune, mort et vie, flèche
Par laquelle ta fureur prend son envol.
Enfin le royaume, p.60, éd. Gallimard, 2018
Ah perdre le Nord
pour ne plus
se perdre.
Enfin le royaume, p.64, éd. Gallimard, 2018
………………………….
MAURICE COUQUIAUD
RIVIÈRE
Le courant de ma rivière apprivoise
tous les flux chargés de souvenirs.
L’un fripe la surface en chagrinant les berges,
l’autre repasse les draps de son lit
pour sublimer les désirs du fond.
Depuis ma source,
je rêve secrètement de confluences,
de deltas paisibles et de reflets inconnus.
J’emporte le meilleur de mes sédiments
pour constituer le dépôt d’une eau douce
à l’embouchure des pauvres mots dans l’océan.
………………………..
DOMENJA DECAMPS (1952/...)
ANARS LIURES, IDAS SUELTAS Viatjaire |
S’EN ALLER LIBRES Voyageur |
…………………………..
AXODOM
Jacquot
Recouvrance pour l’Endurance
Je veux après l’exil en France retrouver l’endurance
Je veux courir les bras en croix au cap de la chèvre
Lever la tête contre le vent même s’il est
torr-revr (1)
Je veux saluer le monument de l’Aéronavale
inébranlable menhir face au large et aux rafales
et lancer la louange due aux herbes courageuses.
Je veux revenir
a-dreuzh (2) pour ravoir le bon chemin
maintenant drossé comme Dante au commencement de l’enfer
« ché la diritta via era smarrita » (3) amère.
Je veux me lancer dans le vague aux mille couleurs d’orage
m’emporter dans la vague qui monte et descend son âge
la puissante vague bretonne et le sable plein de couteaux.
Car aujourd'hui je vois bien au-delà de mes actes
Je vois que le vieil œuf est fêlé mais intact
Il prend son droit de rêver à l’Endurance retrouvée
après cent-sept années dans la mer de Weddell gelée. (4)
(1) Casse-derrière en breton
(2) À l’envers
(3) « Car la voie droite était perdue » : 1ers vers de « La divine comédie ».
(4) « Il y a 107 ans, un grand voilier, l’Endurance, s’enfonçait dans une mer de Weddell gelée, en
Antarctique, sous les yeux de son équipage ayant trouvé refuge sur les glaces flottantes. » Le Télégram, 14 mars 2022
…………………………………….
MOHAMMAD IQBÂL Iran 1877-1938 (Anthologie de la poésie persane)
LE FLEUVE
Vois le fleuve : il est ivre, il marche,
il est pareil à la Voie Lactée sur la face des champs.
D'un paisible sommeil en un berceau de nuées
l'étreinte des montagnes l'éveilla au désir.
Son pas fait chanter le gravier ;
son visage est limpide et sans couleur comme un miroir.
Il est ivre, il s'en va vers la mer infinie,
étranger au monde, seul présent à lui-même.
Sur son chemin le printemps déploie ses féeries,
le jasmin s'ouvre et narcisse et la tulipe ;
La rose fière de ses charmes lui dit : reste un instant ;
le bouton souriant saisit le pan de son manteau.
Sans voir ses séductrices dans leurs verts atours,
le fleuve franchit les campagnes et déchire le flanc des monts.
Il est ivre, il s'en va vers la mer infinie,
étranger au monde, seul présent à lui-même.
Plein de tumulte, il passe les barrages et les méandres,
il passe les falaises et les défilés et les chaînes ;
Comme un torrent aplanissant les pentes,
il passe les champs et les prés et les palais et les remparts.
Impétueux, impatient, douloureux, passionné,
à chaque instant, il embrasse le neuf et laisse le passé.
Il est ivre, il s'en va vers la mer infinie,
étranger au monde, seul présent à lui-même.
………………………
AURÉLIA LASSAQUE
E t’entournes pas
|
Et ne te retournes pas |
……………………………….
DIDIER METENIER
c'est en risquant la joie...
qu'il faut tracer sa propre voie.
…….
Avant tout et surtout crois-moi
jeune reste et joyeux sois.
Ceci t'ira comme un gant
et quels que soient les aleas
en tout lieu et en tout temps
sois toi-même et risque toi.
(libre interprétation du poème d'Edouard Estling Cummings)
…………………………………………..
Catherine de Monpezat
En attente
………………………………………
JACQUES RAVAUD 1964-…. (Anthologie des poètes du Quercy)
Il est des chemins sans hâte
Que l'on ne découvre que le soir
Quand la nuit vient comme une nappe
Préparer le banquet des paysages.
Il faut marcher alors
Par-delà les villes et les rues,
Courir peut-être
vers les plages de nul été.
Là se tient le profond secret,
L'antique désir qui nous hante.
Comme un visage, tout prêt,
dans l'ombre complice.
Et je songe au vieil Ulysse
La main souple encore sur la rame,
Cherchant, d'une voix rauque,
L'homme, le seul,
Qui, du bois amer,
Fera l'arbre tendre
Et le feuillage vert
Quand la terre brûlée,
Travaillée comme une femme
Au Dieu lent que le soir vénère
Verse l'obole
De brusques parfums
L'ange à la porte
Un instant repose
Sa main d'ombre
Sur le monde
Et dans ce clair sommeil,
Comme dans un livre de signes,
La quête s'entrouvre
Du plus lointain Chemin
Notre destin est là
Qui cherche, dans la faveur des mots,
La preuve éparse du Jardin,
La porte basse que franchit la nuit.
La clairière bohémienne
Comme une résurgence d'été
Déjà, sur ses secrets d'antan
S'est refermée.
Du puits passager
En vain tu cherches,
La source, l'origine,
Le sens.
Mais la corde est usée,
La margelle bien folle,
Et l'eau profonde,
Un instant enivrée
S'en est perdue.
Comme si l'aventure
Pour être bonne
Ne connaissait
Que main sans paume.
……………………………
PHILIPPE SAHUC SAÜC
Merci l’Apollinaire (à lire avec un profond sentiment de gratitude) |
Guillaume Apollinaire
7- Langue mina/ewe : merci |
……………………………..
SVANTE SVAHNSTRÖM
Le réseau refuse le repos
le monde remue de rumeur
et partout les rameaux courent à la Rome itinérante
Les décharges se font la course le long des axes fibreux
Lancées d’une centrale molle les voies s’achèvent devant le vide
axonales en finis terra
Et quand la fin des terres se rétracte
quand le finistère percute
quand le rempart face au vide frôle et refrôle
on le sait, le messager s’est hâté
franchissant les massifs musculeux
sur la piste électrisée
Et quand certains confins hallucinent
en convulsions dans d’autres terres
étrangères irriguées
il est sûr encore que le messager a rejoint
sans une seconde perdue la départementale des dendrites
Autour de ce monde
où aucune ligne n’est droite
aucune courbe nette
les terres extrêmes s’appellent
grottes et presqu’îles
se relient en boucles tordues
Dehors, les univers se contournent en tracés indécis
en orbites contorsionnés