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Une jeune fille se défendant contre Eros - William Adolphe Bouguereau |
AUTEURS
Guy Béart *
Bilhana Inde XIe siècle *****
Edouard Estling Cummings **
Comtessa Beatritz de Dia XIIe siècle *****
Paul Éluard *
Tiziana Gallian ***
Peire Godolin ***
Khosrovâni Perse, Xe siècle *****
Habashli Kunzeï *****
Louise Labé ****
Aurelia Lassaca ***
Clément Marot *****
Henri de Monpezat ****
Caterina Ramonda ***
Ahmed Ibn Souleimân Turquie XVIe siècle *****
Svante Svahnström
Présenté par:
*Évelyne Bruniquel
** Didier Metenier
*** Nicole Sibille
**** Nanou Auriol
***** Svante Svahnström
GUY BÉART
CHANDERNAGOR
Elle avait elle avait
Un Chandernagor de classe
Elle avait elle avait
Un Chandernagor râblé
Pour moi seul pour moi seul
Elle découvrait ses cachemires
Ses jardins ses beaux quartiers
Enfin son Chandernagor
Pas question
Dans ces conditions
D'abandonner les Comptoirs de l'Inde
Elle avait elle avait
Deux Yanaon de cocagne
Elle avait elle avait
Deux Yanaon ronds et frais
Et moi seul et moi seul
M'aventurais dans sa brousse
Ses vallées ses vallons
Ses collines de Yanaon
Pas question
Dans ces conditions
D'abandonner les Comptoirs de l'Inde
Elle avait elle avait
Le Karikal difficile
Elle avait elle avait
Le Karikal mal luné
Mais la nuit j'atteignais
Son nirvana à heure fixe
Et cela en dépit
De son fichu Karikal
Pas question
Dans ces conditions
D'abandonner les Comptoirs de l'Inde
Elle avait elle avait
Un petit Mahé fragile
Elle avait elle avait
Un petit Mahé secret
Mais je dus à la mousson
Eteindre mes feux de Bengale
M'arracher m'arracher
Aux délices de Mahé
Pas question
Dans ces conditions
De faire long feu dans les Comptoirs de l'Inde
Elle avait elle avait
Le Pondichéry facile
Elle avait elle avait
Le Pondichéry accueillant
Aussitôt aussitôt
C'est à un nouveau touriste
Qu'elle fit voir son comptoir
Sa flore sa géographie
Pas question
Dans ces conditions
De revoir un jour les Comptoirs de l'Inde
.....................................
BILHANA Inde XIe siècle - sanskrit
Encore aujourd'hui
Je songe à elle
Eblouissante avec ses guirlandes de fleurs de campaka,
Son visage pareil au lotus épanoui,
Sa taille, une tendre ligne de duvet,
Le corps frémissant de désir au sortir du sommeil -
Ma bien aimée -
Sortilège
Dont, par ma folie,
J'ai été dépossédé.
Encore aujourd'hui
Il me souvient
Du visage de ma bien-aimée :
Les anneaux d'or à ses oreilles frôlaient ses joues,
Tant était grande, dans l'amour, son ardeur
A inverser les rôles
Et, au rythme de ses mouvements,
Telles des perles à foison,
De larges gouttes de sueur constellaient sa peau.
Encore aujourd'hui
Si je revoyais
Ma bien-aimée
Au visage semblable à la lune en son plein,
Riche de sa jeunesse fraîche éclose,
Aux seins gonflés,
A l'éclatante beauté,
Au corps torturé par la saveur de l'amour,
Ce corps,
Je saurais aussitôt comment le rafraîchir !
Encore aujourd'hui
De même que sur l'enseignement d'un maître,
Sur elle médite mon esprit :
Sa noire chevelure ondulée et soyeuse,
Ses longs yeux pareils aux pétales d'un lotus épanoui,
Ses seins ronds et hauts, fermes et pleins.
Encore aujourd'hui
Il me souvient intensément
Du visage de ma bien-aimée
Dans l'espace du plaisir,
Les prunelles frémissantes dans les yeux qui se ferment,
Le rayonnement de la chair que les soupirs aussitôt
Affadissent,
Les gouttes de sueur sur la peau moite.
Encore aujourd'hui
Je vois
Ses hanches dévêtues
Et le trouble de son corps
Qu'égare la saveur même de la crainte,
Quand, d'une main cachant son secret,
De l'autre elle attire mes doigts dans le creux de sa taille.
Encore aujourd'hui
Je la vois
Qui contemple en secret
Le miroir où se réfléchit mon image,
Comme je me tiens dans son dos,
Tremblante et troublée,
Timide dans sa langueur,
Passionnée et pleine de grâce.
Encore aujourd'hui
Je vois
Ses beaux yeux animés et inquiets,
Quand, d'un lotus arraché à notre lit d'amour,
Elle chassait l'abeille venue près de sa bouche,
Enivrée par sa riche senteur parfumée.
Encore aujourd'hui
Je la vois
Qui erre
Ici et là,
Devant, derrière,
Dehors, dedans,
En tous lieux,
Son visage pareil au lotus épanoui,
Promenant de tous côtés ses beaux yeux.
Nota bene :
campaka – arbuste de la famille du gingembre, à fleurs odorantes.
UN FEU AU CŒUR DU VENT
Trésor de la poésie inddienne
Des Védas au XXIe siècle
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EDOUARD ESTLING CUMMINGS (1962) – Traduction Didier Metenier
N W
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maint |
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COMTESSA BEATRITZ DE DIA Provence XIIe siècle
Ben volria mon cavalièr |
Je voudrais bien
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PAUL ÉLUARD
JE T’AIME
Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues
Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu
Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas
Je t’aime pour aimer
Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas
Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd’hui
Il y a eu tous ces morts que j’ai franchies sur de la paille
Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne
Pour la santé
Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens plus
Tu crois être le doute et tu n’es que la raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.
………………………..
TIZIANA GALLIAN (1965)
PAS PUS DE PARÒLAS |
PLUS DE PAROLES |
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PEIRE GODOLIN (1580-1649)
Sonet |
Sonnet |
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KHOSROVÂNI Perse Xe siècle
LA NUIT QUI NOUS SÉPARE
La nuit qui nous unirait est comme l’air insaisissable,
la nuit qui nous sépare semble durer mille ans.
Longue nuit, longs chagrins, longue querelle,
à ces trois ennemis comment résisterais-je ?
Combien de soirs où je n’eus pour compagnes
que ton absence et la vaine espérance
Toute la nuit ton image est là, merveille ! auprès de moi ;
toute la nuit mon âme est l’esclave d’une image.
Tu m’avais promis trois baisers :
permets que je les prenne avant qu’en vain tu le regrettes
Non, je n’aurais pas cru, bel astre au regard noir,
que les astres avaient la coquetterie des gazelles.
Je te suis soumis, ma déesse, ne me sois point cruelle :
la cruauté messied aux belles comme toi.
Aurais-tu lu dans le livre d’amour
qu’il est licite de verser le sang des cœurs que l’on a pris ?
Tu en veux à ma vie, folle, tu chicanes :
que peux-tu donc plaider encore que je te l’ai donnée ?
Sois fidèle, sois bonne aujourd’hui qu’il est temps,
il se peut que demain les choses aient changé.
in Anthologie de la poésie persane, Gallimard/Unesco
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HABASHI KUNZEÏ
LE HÄIKU, TENDRE, ÉROTIQUE : PETITES PIÈCES D’AMOUR
Extraits
Sur le mur d’en face
Une ombre me fait désirer
L’amant oublié
De ma fenêtre
Nuages moutonneux
Hanches de ma voisine
Les rêves
De la femme nue
Couchée dans les fleurs
Les libellules
Font l’amour
Sans dire je t’aime
Mains trop habiles
Qui furent les apprentis
De ton savoir-faire ?
Renversée dans les coussins
Lèvres entrouvertes
Mes collègues déjeunent
Si tu veux découvrir
Toutes les voluptés
Ne convoque pas ta conscience
Continue donc
Ce va-et-vient
Mon bel artisan
Ouvrant les yeux
La fille au réveil
Cherche son âme
https://actualitte.com/article/35034/chroniques/le-haiku-tendre-erotique-petites-pieces-d-amour
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LOUISE LABÉ
SONNETS
O beaux, ô regards destournez
O chaus soupirs, ô larmes espandues,
O noires nuits vainement atendues,
O jours luisans, vainement retournez :
O tristes pleins, ô désirs obstinez,
O tems perdu, ô peines despendues,
O mile morts en mile rets tendues,
O pires maus contre moy destinez.
O ris, ô front, cheveux, bras, mains et doigts :
O lut pleintif, viole, archet et voix :
Tant de flambeaux pour ardre une femme !
De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d’endroits d’iceus mon cœur tatant,
N’en est sur toy volé quelque étincelle.
………
Baise m’encor, rebaise moy et baise :
Donne m’en un de tes plus savoureus,
Donne m’en un de tes plus amoureus :
Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.
Las, te pleins-tu ? ça que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereus.
Ainsi meslans nos baisers tant heureus
Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soy et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :
Toujours suis mal, vivant discrettement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moy ne fay quelque saillie.
in La poésie érotique, Seghers
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AURELIA LASSACA (1983)
LA SANSOINA DE LA FEMNA-FLAÜTA |
CANTILÈNE DE LA FEMME-FLÛTE
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………………………..
CLÉMENT MAROT
D’UNE ÉPOUSÉE FAROUCHE
L’épousé la première nuit
Rassurait sa femme farouche :
Mordez-moi, dit-il, s’il vous cuit,
Voilà mon doigt en votre bouche.
Elle y consent, il s’escarmouche
Et après qu’il l’eut deshousée :
Or ça, dit-il tendre rusée,
Vous ai-je fait du mal ainsi ?
Adonc répondit l’éspousée :
Je ne vous ai pas mors aussi.
in La poésie érotique, Seghers
…………………………
HENRI DE MONPEZAT
AMOUR GAILLARD
Amour gaillard
Chaudes paroles
Profonds regards
Eros vole
Pérégrinations autour de ma tête
Haîkous
………………………….
CATERINA RAMONDA (1978)
SENTIR QUE L’AUTRE…
PARAULAS DE HEMNAS – Tòme 1 |
SENTIR QUE L’AUTRE… |
………………………
AHMED IBN SOULEIMÂN Turquie XVIe siècle
DES CONTES
(...)
Préambule
Ibn Abi Hassan al-Warraq rapporte qu’Abou Bakr Ibn Ayyoub raconte l’histoire suivante :
Nous avions un ami d’une compagie fort ageréable. Il était au service du vizir d’Al-Mou’tadid. Il raconta qu’une nuit qu’il s’était retrouvé avec un groupe d’amis chez un autre vizir du nom Qotb ed-Din, adîb et poète, toujours pris de vin. Son fils avait invité ses compagnons de plaisir, ses intimes et dix jeunes filles. Dans tout Bagdad, il n’y en avait pas de plus belles que celles-ci. Qotb ed-Din était d’une générosité remarquable et donnait sans compter.
Pour cette soirée, il fut d'une prodigalité extrême. Le vin coula à profusion, les chanteuses se surpassèrent et ces moments furent d'une gaieté telle qu'il semblait que tous ceux qui étaient là voulaient profiter de cette félicité, redoutant des heures qui seraient moins heureuses. Ils s'adonnèrent allègrement au bonheur, se grisant de vin et de chant, se récitant force poèmes et échangeant maints propos délicats. Ils en vinrent au sexe, au plaisir qu'il procure, à la volupté qu'on en attend et ils déclarèrent que le plaisir de la femme est supérieur à celui de l'homme.
Il se trouva quelqu'un pour dire que la femme était insatiable, l'homme moins endurant et que le désir peut lui manquer quand il en abuse. Davantage ! Ils prétendirent que la femme peut faire l'amour nuit et jour pendant de nombreuses années, et qu'elle en redemanderait encore !
On rapporte ainsi qu'un certain roi avait trois cent soixante concubines qui avaient, chacune, leur jour dans l'année. Un jour de fête, elles se retrouvèrent ensemble avec le roi. Il but et s'enivra. Certaines concubines dansèrent, d'autres chantèrent. L'amusement du roi était à son comble. Il s'adressa alors à ses concubines en ces termes :
« Malheur à vous ! Que chacune d'entre vous me confesse son désir le plus cher, je le réaliserai à l'instant ! »
Toutes s'exécutèrent et la dernière de dire :
« O roi ! Ce que je désire , c'est d'être rassasiée d'amour. »
Le roi s'emporta de colère et ordonna à tous les mâles du palais de la conjoindre. Mille jouirent d'elle, mais ne la rassasièrent point. Plus tard, le roi convoqua un sage et le mit au courant de l'histoire. Le sage conceilla de tuer la concubine, sinon elle pervertirait l'ensemble des habitants de la ville. Il ajouta que les entrailles de cette femme étaient à l'évidence à l'envers et que même si elle faisait l'amour à l'infini, elle ne serait jamais satisfaite.
Cette insatiabilité est le lot de bien des jeunes filles roumis et tout particulièrement de celles qui ont les yeux bleus. Certains sages affirment que la femme ne peut être heureuse qans qu'elle se fasse conjoindre.
Ainsi son corps s'épanouit, sa taille grandit et elle rajeunit chaque fois qu'elle hume l'odeur d'un mâle : gagnant en volupté, elle devient plus gaie et heureuse. Elle peut l'être davantage encore, surtout si elle change de partenaire et découvre ainsi de nouveaux plaisirs.
A la fin de cet échange, le vizir réagit en disant qu'il était loin de se rendre compte de toutes ces choses. S'adressant aux jeunes filles présentes, il leur demanda de lui parler de sexe et de lui raconter leurs aventures personnelles. Il promit de récompenser celle qui saurait captiver son auditoire. Les dix filles de présentèrent et chacune d'elles raconta son histoire.
Première histoire.
La première jeune fille à se présenter était d'une beauté remarquable, la taille fine et toute en harmonie. Elle n'aurait pas fait mentir le poème suivant :
Elle vint dans sa tunique verte drapée,
Telle du grenadier la feuille en sa fleur parée.
A ma question : qu'est-ce que « la chose », elle répondit
D'une voix mélodieuse à l'expression hardie :
« Servante de la verge, elle qui la reçoit,
Nous l'appelons fente de l'amertume. »
Elle s'agenouilla devant le vizir et se mit à raconter :
Monseigneur, vos désirs sont des ordres ! Un jour que je me trouvais assise contre un mur, un jeune homme surgit subitement devant moi. Sa rapidité me coupa le souffle : il m'enlaça, me tint fermement contre sa poitrine et m'embrassa tant et tant qu'il me blessa les lèvres en les mordant. Ensuite, il me prit par les hanches, sortit un membre digne d'un mulet, l'humecta de sa salive, m'en frotta les lèvres du sexe. Peu habituée à ces choses, je tombai en pamoison et je ne savais plus si j'étais sur terre ou au ciel. Quand mes esprits me revinrent, je l'implorai de me prendre en pitié, sinon je mourrais. Mais peu lui importait, il me pénétra, se trémoussant tant qu'il put. Nous jouîmes en même temps, tous les deux, et il me relâcha. Ce jeune homme, je l'ai aimé à en perdre la raison. Nous sommes restés longtemps ensemble, mais la vie nous a séparés. O désolation ! Je regretterai toujours ces instants révolus de bonheur.
in Le bréviare arabe de l'amour
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SVANTE SVAHNSTRÖM
Inflexible se dresse un combattant
Son oeil balaie l’abysse
où fera fureur la conflagration
L’encerclement, issue probable,
ne le dissuade pas
Les probables secousses convulsives
sont érigées en principe fondateur
L’irrésistible chaleur de muqueuse
les huiles émulsifiées en bouillie
quasi primordiale
l’aiguillonnent
Derrière le rempart élastique
guette une réserve de torpilles en ébullition
Le torse bombé du combattant
pourrait briser l’armure transparente
Les projectiles de vie mutins
échapperaient au commandement
déferleraient aveuglés de rage fertile
vers les corps à corps des profondeurs
in Hocus Corpus, 2009