mercredi 22 mars 2023

FRONTIÈRES

Kikito, frontière USA-Mexique - JR (France)



 

AUTEURS

Nanou J Auriol
Christian Bobin ****
Jean Bodon ***
Laurent Cavalié ***
Inger Christensen ****
Eric Fraj ***
Nazim Hikmet *
Max Jacob ****
Didier Metenier
Pablo Neruda **
Rupi Kaur **
Léopold Sedar Senghor *
Bo Setterlind ****
Svante Svahnström
Rachid Benzine *

Présenté par:
* Évelyne Bruniquel
** Agnès Laplaze
*** Nicole Sibille
**** Svante Svahnström



 
NANOU J AURIOL

Pour ma part : Reporters sans frontière

Enfance Africaine

Ses yeux étaient si grands, si grands...
Toute la vie y brillait là, encore.
Prostrés, anéantis devant cette image...
Notre impudique regard sur l'Enfant affamé,
Malade, démuni, plaies ouvertes aux dangers.
Des mouches collantes buvaient sans pitié
Le peu d'eau accrochée au désert de son corps.
L'Enfant épuisé, silencieux, mais présent,
ne pouvait les chasser. Sa faiblesse extrême
laissait ces mouches voleuses sucer le nectar
d'une fleur d'Enfance fragile.
Elles s'aggripaient à sa vie, comme un gui parasite
pompant au puits de l'âme, l'énergie de l'Afrique.
Il se sentait pauvre et détournait la tête
d'un objectif voyeur, capteur de misère.
Pudeur constante à l'heure de sa mort
il tirait lentement un chiffon sur sa "honte".
Dignité conservée jusqu'au bout du voyage
abandonnant ainsi sa vie, sans bruit, sans tapage.
Comme s'il était normal de mourir à cet âge,
comme s'il était interdit de vivre son enfance,
comme si l'avenir ne durait qu'un instant,
juste le temps d'un amour, juste le temps d'une danse.
L'éphémère éphémère
Brûlant ses ailes au réverbère.


                     oct 92

…………….


Ca n'est pas grand chose

Il suffit d'un sourire
Attentif
D'un bonbon
Au miel
d'un regard
attendri
pour apaiser un enfant.
Ça n'est pas grand chose !
Il suffit d'un rire
méchant
d'un cri
plus aigu
d'une menace
d'un poing
d'un regard
plus lointain
pour troubler un enfant.
Ça n'est pas grand chose!
Il suffit d'un peu de riz
blanc
d'un bol de lait
crème
d'un champ de blé
dur
d'un regard d'intérêt
pour sauver un enfant.
Ça n'est pas grand chose !

                    oct 92

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CHRISTIAN BOBIN

NOIRECLAIRE

Extraits

Il y a entre toi et moi une adorable barrière. C'est ta mort qui l'a construite. Son bois est du silence. Il n'est pas épais. Un rouge-gorge s'y pose. Quand tu étais de ce monde j'adorais traverser avec toi la campagne au vert surnaturel, ses chorales de sous-bois et ses poèmes de barrières.

Quand tu étais de ce monde j’adorais traverser avec toi la campagne au vert surnaturel, ses chorales de sous-bois et ss poèmes de barrières.

La barrière qui me sépare de toi est pauvre. Ses piquets suivent les mouvements de ma pensée, ils ondulent. Tu es de l'autre côté de la vie, pas si loin somme toute, bien moins loin de moi que ce médecin que j’ai vu feuilleter des visages toute la journée sans en regarder un seul.

……………………

Ce verre de cristal je l'ai rempli d'eau fraiche, je l'ai posé sur la table et il est aussit6t devenu le signe de l'impossible entre toi et moi :je peux le boire d'un trait, toi pas.

Les présences les plus simples - un pain, un livre ou ce verre - se tiennent a la frontière entre les vivants et les morts.

Quand tu avançais c’est un monde  qui avançait avec toi, comme avec la mariée sa traine, injuste et sainte. Noire-claire. Ta mort n’y change rien : je te vois en mouvement, toujours avançant, et la vie surabondante te suit, le printemps arrive avec ton nom.


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JEAN BODON

 

 

       La Talvèra

Es sus la talvèra qu’es la libertat,
La mòrt que t’espèra garda la vertat.
Cal segre l’orièra, lo cròs del valat,
Grana la misèria quand florís lo blat…
Es sus la talvèra qu’es la libertat…

Per passar l’encisa te revires pas :
D’autan o de bisa pren lo vent sul nas,
Una pèira lisa, l’avenc es al ras
Ont la sèrp anisa se fondrà lo glaç.
Per passar l’encisa te revires pas.

       Estelas sens luna ne veirem la fin :
 Ne perdrem pas una, cercam lo camin.
 
Lo cel tot s’engruna del ser al matin,             La bèstia feruna pudís lo canin…               Estelas sens luna ne veirem la fin.       

Fraire contra fraire tiram lo cotèl :
Enfant de ta maire que val la tia pèl ?
La mia val pas gaire : un espet de fèl. 
Quin aucèl becaire nos picarà l’uèlh ? – 
Fraire contra fraire tiram lo cotèl. 

Es sus la talvèra qu’es la libertat. 
D’orièira en orièira porta la vertat.
La vida t’espèra de cròs en valat :
Bolís la misèria quant grana lo blat.
Es sus la talvèra qu’es la libertat…

 

 

   La Talvèra

      C’est sur la lisière qu’est la liberté,
  La mort qui t’attend garde la vérité.
  Il faut suivre la bordure, le creux du fossé,
  Graine la misère quand fleurit le blé…
      C’est sur la lisière qu’est la liberté…
   
     Pour passer le col, ne te retourne pas :
  Vent d’autan ou bise, le vent te giflera,
    Une pierre glisse, le gouffre est en bas.
  Où le serpent niche, la glace fondra.
     Pour passer le col, ne te retourne pas.

      Étoiles sans lune, on verra la fin :
 On n’en perdra pas une, on cherche le chemin.
 Le ciel tombe se morcelle, du soir au matin,   La bête sauvage pue le chien…
      Étoiles sans lune, on en verra la fin.

     Frère contre frère, on sort le couteau :
Enfant de ta mère, que vaut donc ta peau ?
La mienne ne vaut pas grand-chose : un peu de fiel.
Quel oiseau rapace nous crèvera les yeux ?
     Frère contre frère, on sort le couteau :

     C’est sur la lisière qu’est la liberté,
    D’orée en orée va la vérité.
     La vie t’attend, de combe en vallée :
   La misère bout quand graine le blé.
     C’est sur la lisière qu’est la liberté…

La « talvera » est la partie non-cultivée d’un champ, située aux extrémités, elle permet à la charrue (ou de nos jours au tracteur) de tourner  

 

                                                                                     
     
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LAURENT CAVALIÉ

À la frontière des géants, le mépris mène la danse.
Le petit bonhomme baisse la tête.
Son regard oblique s »émiette à travers le grillage.
Ses cris s’évanouissent en murmure vers les oreilles des géants, là-haut, tout
Là-haut.

Il veut passer.

À la frontière des géants, la terre est stérile : la

rme au sol ne peut fleurir.

Il veut passer.

Alors le petit homme dépose le sel amer au cœur de son cœur
pour nourrir le désir têtu de trouver le passage.

Il veut passer,
il trouve la brèche
et disparaît dans la nuit.  


QUELQUE CHOSE DE ROUGE
Éditions La Lenteur



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INGER CHRISTENSEN (Danemark)

les frontières sont là, les rues, l’oubli
et l’herbe et les concombres, et les chèvres et le genêt,
l’enthousiasme est là, oui les frontières sont là;
les branches sont là, le vent qui les agite
est là, et l’unique signe des branches
de cet arbre qu’on appelle précisément le chêne est là,
de cet arbre qu’on appelle précisément le frêne, le bouleau
le cèdre est là, et le signe répété
est là, sur le gravillon de l’allée; elles sont là
aussi les larmes, l’armoise et le laurier sont là,
les otages, l’oie cendrée, et les petits de l’oie cendrée;
et les fusils sont là, un jardin d’énigmes,
sec et sauvage, orné des seules groseilles,
les fusils sont là; au milieu du ghetto
éclairé et chimique ils sont là les fusils oui,
avec leur précision ancienne et paisible ils sont là
les fusils, et les pleureuses sont là, rassasiées
comme hiboux inassouvis, le lieu du crime est là;
le lieu du crime oui, insouciant, naturel, abstrait,
baigné d’une lumière de chaux, pitoyable,
ce poème tout blanc, vénéneux, qui s’effrite
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ERIC FRAJ

Continent

Mon pays n’a pas de frontière, il est en prison sur aucune carte ;
 son peuple est sans bannière, il chante et court dans la savane.

       Mon pays se fait baobab, fleuve ou montagne à mon gré,
   sage toujours et toujours fou, il sait les secrets de la beauté.

      Mon pays est un continent, nomade comme l’est le vent !
Mon pays est un continent, toujours plus fort que le tourment,
                             libre du temps et de l’argent !

     Mon pays ne connaît pas de race et le lion vaut la gazelle
      chacun sort de la Terre-Mère, chacun sourit à une étoile.

Et mon pays se fait immense quand il s’agit d’aimer et de vivre,
 son cœur est pur, son souffle est ample, ses yeux ont la couleur
                                                 du monde.

         Mon pays est un continent, nomade comme l’est le vent !
Mon pays est un continent, toujours plus fort que le tourment,
                             libre du temps et de l’argent !

         Mon pays est une aventure, horizon de chaque minute,
sans trahison et sans rancune, moins qu’un éclair colère dure.

     Ce pays-là je l’ai en tête, il est profond comme un sabbat ;
       aussi léger qu’un passereau, innocent comme un animal.

     Mon pays est un continent, nomade comme l’est le vent !
Mon pays est un continent, toujours plus fort que le tourment,
                             libre du temps et de l’argent !

   Dans mon pays imaginaire, y a pas d’État et pas d’Empire,
il n’y a que les eaux du fleuve, que la lumière et son mystère.

Mon pays est le premier jour, senteur d’Afrique, de bambou,
   aurore d’un roi amoureux, tout est possible tout est bon…


La Vida

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NAZIM HIKMET  (1901-1963)

Le Globe

Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils en jouent en chantant parmi les étoiles
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme,
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le monde apprenne la camaraderie
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.

C’est un dur métier que l’exil

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MAX JACOB

Vision du Purgatoire

Pas de visage et pas d'épaules nous sommes peut-être des saules
Les sept hors du logis ! les femmes ! sept malades ! et l'arche sainte auprès de l'arbre dans le ciel.
Las ! ne chanterons plus que des chants de nomades et les terribles cris dans la nuit des tunnels !
Claquez des dents ! claquez des dents ! viendra-t-il l'ange que j'attends.
Ces bûchers dans la nuit ne sont jamais éteints.
L'étang noir est l'exil des ventres et des mains.
Arrière ! le cheval flaire au bord des falaises
la ville en feu brûlant comme une pauvre chaise.
Ôtez le couvercle des mondes :
voici qu'un autre orage gronde.
La flamme atteindra-t-elle les chevaux des comètes,
la flamme, scintillant au levant, au midi.
Bêtes de nuit, écoutez-nous, les bêtes !
... mais, pour entrer au ciel, vous sortez de vos nids...
Ouvrez la porte aux désirs flous aux tendresses mal assurées — je suis la vierge séparée de qui ne fut pas son époux
— je suis la nonne sans couronne
— je suis la méchante patronne
— je fus l'empereur sans vergogne.
Choisissez entre nous,
Jean de l'Apocalypse choisissez, choisissez aux lueurs de l'éclipsé !
Deux anges comme un flamant rose
sur les champs de la nuit, la nuit l'un d'eux a pris par les poignets la plus sanglante et le plus net
Oh !ne le dites pas !... oh ! ne le dites pas aidez-moi, ciel, à marcher droit

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RUPI KAUR  (Inde/Canada)

Lait et Miel

ta mère
a l’habitude
d’offrir plus d’amour que tu ne peux en porter

ton père est absent

tu es une guerre la frontière entre deux pays
les dommages collatéraux
le paradoxe qui les unit mais les sépare aussi


Edition Pocket limitée

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DIDIER METENIER

éco-terre
écho de l'uni-vers

éco-sphère
en écho d'outremer

éco-libri(s)
en écho de nos vies

l'éco-livre
écho d'un équi-libre

égo-stance
écho sans importance

éco-logis
n'en faisons pas l'économie

éco-naissance
un écho de l'enfance

éco-lière
un écho d'éphémère

éco-danse
un écho de jouvence

éco-présence
écho de connivence

éco-mitiés *
échos de nos proximités

éco-vent
un écho de printemps

éco-lyre
écho et chorégie

éco-concert
écho de tous nos vers

éco-science
écho d'intransigeance

éco-pense
notre écho d'espérance

éco-rêve
écho d'Adam et d'Eve

écho de nos vingt ans
aux frontières du temps

En latin :
(ex)-libris – (tiré du) livre  

Nota bene (*):
écomitié : sachons privilégier des amitiés de proximité


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PABLO NERUDA

XXV
Vent d’Europe et vent d’Asie
se rencontrent, se repoussent,
se marient, ne font plus qu’un
dans la ville des confins :
de Silésie arrive la poussière de charbon,
de France, le fumet du vin,
d’Italie l’odeur d’oignons frits,
la fumée, le sang, les œillets d’Espagne,
le vent apporte tout, une bourrasque
de toundra et de taïga qui sur la steppe danse,
l’air sibérien, force limpide,
souffle d’un astre forestier, sauvage,
l’ample vent qui jusqu’à l’Oural
de ses mains, verte malachite,
repasse les hameaux et les prairies,
conserve au plus intime un cœur de pluie
et quand il choit s’abat en archanges de neige.

XXVI
Ô ligne de deux mondes qui palpitent
avec déchirement, et qui exhibent
le meilleur et le délétère ,
ligne
de mort et de naissance, d’Aphrodite
fleurant les jasmins entrouverts,
prolongements de sa divinité profonde,
et de ce côté-ci le blé  de la justice,
la récolte de tous, la certitude
d’avoir accompli le rêve de l’homme :
ô ville linéaire ouvrant comme une hache
notre âme en deux tristes moitiés,
insatisfaites l’une et l’autre, et qui attendent
la cicatrisation de nos douleurs,
la paix, le temps de l’amour intégral.


La Rose détachée et autres poèmes
Nrf Poésie Gallimard


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LÉOPOLD SEDAR SENGHOR

Cher frère blanc,

Quand je suis né, j’étais noir,
Quand j’ai grandi, j’étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.

Tandis que toi, homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au froid, tu es bleu,
Quand tu as peur, tu es vert,
Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.

Alors, de nous deux,
Qui est l’homme de couleur ?

………………………………………….
 

BO SETTERLIND  Suède   1923-1991 

Un vieux paysan marchait en chantant sur son champ
Portant dans sa main un panier de graines
il dispersait
entre les mots pour le commencement de la vie et la fin de la vie
les graines de sa dernière récolte

Du lever au coucher du soleil il marchait
C’était le matin du dernier jour.
Je me tenais comme le petit du lièvre quand il est venu
Combien anxieux étais-je devant la beauté de son chant !

Alors il me saisit et me mit dans son panier
Et quand je fus endormi, il commença à marcher.
La mort, je la concevais ainsi.

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SVANTE SVAHNSTRÖM

Les frontières
séparent bien les peuples
Sur le fil du rasoir
elles relient les nations

………

La Méditerranée est destinée à disparaître sous le mouvement du continent africain qui se rapproche de l’Europe à raison d’un centimètre par an.

Le rendez-vous des lèvres portuaires

Qu’il me soit donné assez d’années
pour voir se rechercher
la coupole de Notre-Dame sur la colline
et les minarets de la casbah
Qu’il soit permis à mes yeux de contempler le rendez-vous des lèvres portuaires
Seulement des célébrations  de cette nature
ne sont guère destinées aux hommes de mon époque
Au mieux émues les filles de mes filles de mes filles porteront témoignage
de l’accolade donnée par Alger à Marseille  
ou plus sûrement leurs filles
qui seront des demoiselles d’honneur
aux épousailles rocailleuses du Djurdjura en habit de calcaire
avec les Alpes en robe granitique
Et les continents en dérive alors seront un corps uni
encore une fois
séparés par nul milieu des terres
abritant l’eau saline par flaques seulement
traces de l’ancienne mediterra
Mais bien avant déjà
ceux qui refusent l’usure
et ceux qui tendent l’autre joue
auront versé leur sang
les uns dans les autres
Pendant que sang et muscles grondent en moi
et que j’aime et que je m’emporte
la Terre avec méthode avec lenteur
travaille et rampe
En ma descendance j’attendrai curieux
que les millions d’années
par dizaines si nécessaire
pressent le pas
et que sèche le regret d’avoir dû laisser partir en vapeur
rouleaux de Ҫanakkale tempêtes tyrrhéniennes et marées de Tanger
Je vis avec mes failles et celles de mon globe

Navigateur au sommet du vide

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  RACHID BENZINE

VOYAGE AU BOUT DE L’ENFANCE

Et puis on est arrivés en Syrie. Là, ils m’ont dit où on était. Ca s’appelait Raqqah. Papa et maman, ils étaient très excités. Je les avais jamais vus aussi heureux. Ils m’ont dit que c’était le paradis ici.  Moi je croyais que le paradis c’était dans le ciel, quand on est mort. Papa s’est habillé avec des vêtements très larges et un turban. Maman a mis un niqab. Tout noir. On voyait que ses yeux. Pour rire, elle me disait que c’était pour me surveiller comme depuis la meurtrière d’un château.

Et puis moi j’ai dû dire que je m’appelais Farid. Fini Fabien. Bonjour Farid. Parce que ça faisait plus sérieux à Raqqah. Mes parents m’on eu avant de se convertir à l’islam. Alors je m’appelais Fabien, tout simplement. Et pourquoi ils faisaient pas tout ça déjà avant, eux, le turban, le niqab ? Mes parents m’ont dit que c’était parce qu’à Sarcelles on faisait semblant d’être comme les autres. De s’habiller comme eux.

 

 D’être amis avec eux. Mais moi j’ai jamais fait semblant.Mes copains c’est vraiment mes copains. Et monsieur Tannier, mon maître d’école, je l’aime vraiment beaucoup. Et les autres aussi.

Papa et maman m’ont dit que j’avais une chance extraordinaire de vivre dans l’Etat islamique. Que tout était fait pour les musulmans et que plus jamais on aurait affaire aux kouffâr. Que c’était une bénédiction d’Allah. Alors j’ai pleuré en me cachant. Parce que moi je voulais lire mes poésies à monsieur Tannier. Et je voulais voir mes copains et mes copines de Sarcelles. M’en fous qu’ils soient kouffâr, moi. Mon copain Ariel il est juif. Il m’a jamais embêté parce que j’étais musulman.A Raqqab, papa disait souvent : « Regarde tous ces gens qu’Allah a appelés. Ils viennent du monde entier pour Sa gloire. Tu te rends compte de la chance que tu as de faire partie des élus d’Allah ?