mardi 2 juillet 2024

TOULOUSE

La place Wilson "Le Lafayette" - Georges Castex 1860-1943

 

AUTEURS

Claude Nougaro
Franc Bardòu
Saïd Benjelloun
Claudine Candat
Chat GPT
Michel Cosem
Lise Durand
Andrea Genovese
Didier Metenier I
Francis Pornon
Philippe Sahuc
Christian Saint-Paul
Svante Svahnström
Didier Metenier II

Présenté par
Didier Metenier *



 

CLAUDE NOUGARO

Qu'il est loin mon pays, qu'il est loin
Parfois au fond de moi se raniment
L'eau verte du canal du Midi
Et la brique rouge des Minimes

O mon païs, ô Toulouse, ô Toulouse

Je reprends l'avenue vers l'école
Mon cartable est bourré de coups de poing
Ici, si tu cognes, tu gagnes
Ici, même les mémés aiment la castagne

O mon païs, ô Toulouse

Un torrent de cailloux roule dans ton accent
Ta violence bouillone jusque dans tes violettes
On se traite de con à peine qu'on se traite
Il y a de l'orage dans l'air et pourtant

L'église St-Sernin illumine le soir
D'une fleur de corail que le soleil arrose
Une fleur de corail que le soleil arrose
C'est peut-être pour ça malgré ton rouge et noir
C'est peut-être pour ça qu'on te dit Ville Rose

Je revois ton pavé, ô ma cité gasconne
Ton trottoir éventré sur les tuyaux du gaz
Est-ce l'Espagne en toi qui pousse un peu sa corne
Ou serait-ce dans tes tripes une bulle de jazz ?

Voici le Capitole, j'y arrête mes pas
Les tenors enrhumés tremblaient sous leurs ventouses
J'entends encore l'écho de la voix de papa
C'était en ce temps-là mon seul chanteur de blues

Aujourd'hui, tes buildings grimpent haut
A Blagnac, tes avions sont plus beaux
Si l'un me ramène sur cette ville
Pourrai-je encore y revoir ma pincée de tuiles

O mon païs, ô Toulouse, ô Toulouse

..............................


FRANC BARDÒU

« Et puis voici un petit aperçu du recueil « toulousain » (à paraître pour la fin 2025 chez TròbaVox) qui s’intitulera sans doute « Los set astres de son tornar / Les sept astres de son retour »), un poème évoquant mon quartier d’enfance toulousaine «

« Dissoudre, c’est désagréger le sens des mots : la dissolution est synonyme de confusion. Lorsque tous les repères ont été détruits, lorsque plus rien ne fait sens et que le brouillard est total, il devient impossible de comprendre et de résister. Le faux n’est plus un moment du vrai, c’est un mode de gouvernement, une stratégie de domination. »

Pierre Douillard-Lefèvre
« À fronts renversés » in Dissoudre  

 

À l’heure des loups - nocturnes clairvoyances — 15

Quelqu’un tape à la porte où tu n’as plus d’adresse,
au fond d’un souvenir éteint parmi les brumes
d’une amertume immense à jamais anonyme.
Et plus cela fait mal, moins tu peux te le dire.
Car même si tu hurles ton désir d’en finir
avec cette souffrance insensée, sans objet,
nulle voix ne peut choir, caillou dans la rigole,
de ta bouche éployée en trace de destin.
Le feu du jour tombé sur l’échine du vent
ne peut plus remorquer ta ruelle d’enfance
qu’au hasard de ces murs aveugles, indéfinis,
fermant tout horizon à tes moindres regards.
Quelqu’un tape à la porte évanouie de l’aube,
un enfant que tu étais, mais à jamais perdu.

« Dissòlver, aquò es desagregar lo sens dels mots : la dissolucion es sinonime de confusion. Quand tot repaire es estat abausat, quand res mai non fa sens e qu’es totala la nebla, ven impossible de compréner e de resistir. Çò fals non es mai un moment de çò verai, es un mòde de governament, une estrategia de dominacion. »

Pierre Douillard-Lefèvre
« À fronts renversés » in Dissoudre

 

A l’ora dels lops - nocturnalas clarvesenças — 15

Qualqu’un tòca a la pòrta ont as l’ostal perdut
pel fin fons d’un remembre atudat per las neblas
d’un amarum global que non se sap cap nom.
E del mai aquò dòl, del mens o pòdes dire.
E mai tot udolant lo desir d’acabar
tal patiment sense èime e sense cap amira,
cap de votz non cai pas, calhau per la regòla,
de ta boca alandada en marca de destin.
L’ardre del jorn casut per l’esquina de l’aura
non pòt mai trigossar ton camin d’enfanton
qu’a l’azard de parets cegas, indefinidas,
barrant l’asuèlh plus mendre a salhir de ton uèlh.
Qualqu’un tòca a la pòrta esvanida de l’alba,
un enfant que te sembla e per sempre perdut.


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CLAUDINE CANDAT

TOULOUSE

Quel train m’a ramenée dans ma ville lointaine ?
Quelle chanson de rose au-dessus des collines
Déchire la brume du Nord ?
Je sais que sa musique a la couleur du soir
Quand le soleil s’effrite dans les mains des nuages
Comme un fruit à la pulpe de sang,
Je sais que sa musique a la couleur des cris
Des oiseaux qu’un rayon transperce de lumière,
Que ses toits mendient l’haleine de l’Autan
Quand la chaleur se couche sur leurs plages de tuiles,
L’Autan chargé d’épices, d’embrun et de folie.

Quelle clameur sauvage au-dessus de ma ville
Couvre la tristesse du Nord ?
C’est le sang des Cathares qui éclabousse tes murs,
Toulouse, que tu sois basilique, Capitole ou masure !
La colère a trouvé son miroir dans sa brique
Et jusque dans ton fleuve son écume de rage.
Quelle clameur de rage au-dessus de ma ville !
Est-ce toi qu’on étrangle, Toulouse,
D’avions en mal de nuages enlacés à ton ciel
Ou d’immeubles blafards crachant sur ta virginité
De déesse où le rose et le rouge complètent
Cette blessure d’or qui saigne entre tes murs ?

La solitude amère est une fleur ardente
Que tu piques en riant au cœur des mal aimés.
Et pourtant tes tours et tes clochers s’étreignent
Et dansent sous l’éclat sauvage de ton ciel
Mille sarabandes d’amour et de violence.
La solitude ardente est la fleur des révoltes,
Il est temps qu’un pavé en fasse la récolte,
Cette fleur rouge aura aux tempes des douleurs
La douceur éclatante du canal du Midi
Au noir glacé des gares et au sang des maisons.

Toulouse, forêt vierge de tours, de clochers et de rires,
Laisse-moi ton soleil pour incendier mes jours
De la magie brûlante de ton destin tragique,
Laisse-moi reposer sur tes coussins de tuiles
Et m’égarer longtemps dans le lit de tes rues
Pour dire l’avenir fouetté de vent d’Autan
A tes îles promises aux morsures du sang.

……………..

LE BUS DE L’UNIVERSITÉ

Il est des bus au front blafard et gris
Où s’égrènent des noms qui ont l’accent du Midi,
La douceur de l’Anjou, la rocaille des mers.
Il en est pourtant un qui sillonne Toulouse
Affichant à son front une terne rosace
Dans ce temple où défilent les ombres du matin
Lourdes d’une journée au rivage certain.

Dans le bus de l’université,
Un étudiant dormait sur le cuir d’un voyage
Trop connu, méconnu pour qu’il ouvre les yeux.

Le soleil a un cœur qui bat la chamade
Il arrose Toulouse cet arrosoir de feu.
Le bus est un taureau dans l’arène brûlante
Et ses cornes déchirent le ventre du soleil.
L’autan le persécute de sa cape sauvage
Mais il est le plus fort. Les ambulances clament
La victoire du sang contre l’instinct qui mène
Les fronts suants à l’ombre des ruelles.

Dans le bus de l’université
Un étudiant brûlait du désir d’apaiser
L’incendie des maisons, d’éteindre les bûchers,
Mais l’eau de la Garonne a du feu dans ses veines.
Elle fouette les navires qui n’ont jamais vogué
Sur sa peau de tigresse, Afrique incandescente
Où les vieilles légendes sont toujours racontées.
Le bus, poisson poussif, halète sur le pont
Et fait de mornes signes à l’hôpital malade.

Dans le bus de l’université
Un étudiant rêvait de pays où les fleuves
Sont des serpents sinueux qui crachent sur les fauves.

Le soleil bat toujours la chamade
Mais il fait de l’œil au béton.
Le bus s’ennuie sur les avenues fades
Qui ont l’odeur de nulle part
Même l’air y perd son miel et sa rocaille.

Dans le bus de l’université
Un étudiant pleurait.
La rocade, la poste, où la grisaille essuie
Des larmes de soleil, défilaient en cadence,
Nonobstant les sourires pendus aux portières du car.

in Mon opium est dans mon cœur, éditions Il est Midi 2024

……

Au voyageur du VAL

Dis, comment seras-tu, Toulouse,
Quand je ne serai plus
Que huit chiffres alignés à l’ombre d’une croix,
Que les taupes d’acier auront fini de fouir
Ta terre nourricière,
Creusant des galeries pour transporter sous toi
Le voyageur du VAL ?

Je t’ai connu si rose et je deviens morose
Quand je vois tes façades envahies de nécroses
Dans ces nouveaux quartiers où des champignons rances
Piétinent sans pitié les maisons maraîchères
Et que les toulousaines, cachant leurs mascarons,
Débarrassent un plancher sans arbres et sans pelouse
Qu’asphyxie le goudron.

Ton patois fout le camp sous des accents de rap.
À chaque époque son langage il faut certes l’entendre.
On ne se traite plus de mots doux putain-con-macarel
On aboie des injures dans un sabir bâtard
Dégainer les surins donne le dernier mort.

On ne se baigne plus dans les eaux d’une Hers vive
Ses berges aux herbes tendres sont coulées de béton.
Roseraie, Jolimont, plus loin Balma-Gramont,
Vos fermes ont replié leurs champs leurs pâturages
L’ère n’est plus aux accents bucoliques
Mais au bruit de fond d’extensibles rocades.

Les aimables villas entourées de jardins
Usurpent leur espace, il faut vivre en hauteur,
S’empiler, pour loger jusqu’au dernier pékin.
Privé de chèvrefeuilles et de rosiers en fleurs,
Humons la campagne sur de maigres balcons,
Tomates miniatures, plantes en pot, jardinières.
 
Puissent me survivre tes atlantes haussmanniens,
Tes ferrures Art Déco. Puisse encore émerger
Le dôme de la Grave du brouillard de Garonne,
Tout de cuivre verdi.
Puissent perdurer tes plus vieilles bâtisses
Soutenues par des siècles de colombage
Se touchant front à front dans le filet des rues
Tripière, Malcousinat, Coq d’Inde
Merlane, Perchepinte.
Dans l’eau de tes fontaines puisse surnager l’œuvre
De tes artistes urbains tout autant qu’urbanistes.

Faudrait-il, au prétexte de sauver la planète,
Étouffer son âme d’esthète ?
Le voyageur du VAL a hélas renoncé
À l’espoir de descendre dans un sauvage lieu.
La carte Pastel ne tient pas ses promesses :
Borderouge déteint sur les anciens faubourgs
La souillure s’étale, gangrène les banlieues.
La laideur loge à toutes les adresses.

Quand tu seras ce que tu seras devenue,
Toulouse, quand je ne serai plus     
Que des lettres dorées sur un sombre granit
Dans un coin retiré de Terre-Cabade,
Restera-t-il encore une humble violette
Pour agiter au vent sa frêle collerette ?

Restera-t-il une fleur de cimetière,
Qu’elle soit nature ou céramique,
Pour se souvenir de ce que je fus
Quand nous étions ensemble,
Moi de chair toi de brique ?

in Tiroirs amers

1)    Alfred de Vigny (1792-1863), Les Destinées, ouvrage posthume

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CHAT GPT

Svante Svahnström, en réunion 13 juin 2024: Écris-moi un sonnet sur Toulouse !
Réponse instantanée  de CHAT GPT :


Sous le ciel d'azur, douce Toulouse s'étend,
La Garonne murmure un secret éternel,
Ses flots bercent la ville d’un rêve charnel,
Entre briques et pierres, l'histoire nous attend.

Les quais se parent d’or, le soir incandescent,
Les roses de briques chantent au vent fraternel,
Les ruelles pavées, où l’ombre est solennelle,
Gardent les échos d’un passé séduisant.

Ô ville du Midi, ton charme est éclatant,
Ton Capitole brille en l'âme des passants,
Les violettes embaument tes jardins fiers.

Les airs toulousains vibrent de chants latins,
Tant de cultures mêlées en un destin,
En ton sein, Toulouse, fleurit l'univers.

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MICHEL COSEM  (1939-2023)

Poème sur Toulouse choisi pour être gravé sur une pierre par les Jeux Floraux.
Poème extrait du 288e Encres Vives « Le cygne sauvage est le seul à rêver » (août 2002)


La nuit tombe sur des soleils intérieurs
dans la simple danse du soir
la sourdine des murs éteints par les étangs de la nuit

La ville enfin recouvre ses entrailles
les chemins sont ouverts sur les fontaines et les puits
les antiques fondations
Seul le fleuve emporte dans sa fourrure
la belle lumière d’automne
Il va dans une paix millénaire
à la recherche des racines de la migration

(Café du père Léon, Toulouse)

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LISE DURAND

J'ai rien à dire
Sur Toulouse
J'y vis depuis
Si longtemps
Que la ville
M'est familière
Comme
Un vieil amour
Que l'on aime
Depuis
Plus de vingt ans.
Quand je marche
Au bord du canal
Je pars
Sur ce parallèle
Qui m'amène
Où je suis née
Dans un monde
Que j'ai oublié.
Je rêve pas
De toi Toulouse
Car le bonheur
Est amoureux.
Je rêve pas
De toi Toulouse
Car le bonheur
Est dans mes yeux.  

Toulouse le 20 mai 2024

………                

La dame de Monaco
N'habite pas Toulouse
Celle de Saint-Bauzile
Non plus.
Elles ne sont pas
Des intellectuelles
Ni des bourgeoises
Ni des jeunettes
Dans le vent et
Je les aime vraiment.
Alors souvent
Je pense à elles
Quand dans Toulouse
Je me promène
Comme j'avais                                                                                                                                                    Encore vingt ans.

Toulouse le 22 mai 2024

……………..

ANDREA GENOVESE

Cupidon sur Garonne

Dans un ciel de briques volantes
l’attente du soir stralune la lymphe
de la nymphe Garonne

Une pensée rocheuse danse légère
mélancolie automnale qui émerge
de la berge songeuse

Si labyrinthe tu es
ne verra jamais de matin
le félin qui te saisit dans ses crocs

Clair-obscur de rose violette
n’ouvre pas de brèche
la flèche dans le château d’eau

La silhouette qui traverse le pont
soit-elle fable ou saynète
du poète est le rêve

…………


Paysage avec philosophe

Lorsque le tonnerre gronda
sur l’ardoise humide des toits
chauffées par le rayon de braise
d’une montagne lointaine
peut-être le Pic de la Mirandole
sur la lame d’un horizon pyrénéen
à l’heure où le Midi vampirisait
le clocher de Saint Sernin
et le portail de l’église déboulonné
s’ouvrait à la légende lumineuse
de son parchemin moisi
un coquillage se détacha
de la brique d’une façade
pour éclore de toute sa nonchalante
gourmandise charnelle

La zébrure arc-en-ciel pivotant
dans un parcours extravagant
syllogisme aphrodisiaque
d’une amourette belliqueuse et enfantine
chevauchait notre désir de pastel
appelant à l’orgie des instincts
à la diaspora des martinets
pris en chasse par des goélands pèlerins
revenus des berges d’un temps fossile
régner sur notre espace coincé
et notre odyssée minime
dans l’enceinte crénelée d’une langue
se refusant à tout décodage autre
que la musique des couchants enflammés

Après de longues escarmouches
sous les murailles qu’on avait assiégées
s’ouvrit un passage au modelé
archaïque de la déesse d’airain
lépidoptère insouciant
embaumé des épices originelles
dispersées par les présocratiques
au vent d’un logos barricadier
réfractaire à toute contradiction dialectique

Dans l’ivresse nous avions
goûté à la cyprine dégoulinant
telle une averse d’arômes exotiques
jusqu’à ce que le Capitoul courroucé
ne vienne troubler notre élémentaire
lecture des choses et notre naïveté

La ville ruisselait au loin
rose épine et mirage

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DIDIER METENIER I

À chaque toulousain con
finé
à travers tous les con
tinents
son petit coup de blues

et à toulouse
plus qu'ailleurs
pour tout poète con
finé

pour un noir
oh !!! to lose...
pour un blanc
ôôô... toulouse !!!

c'est bien ici
que nous con
finissons tous

et c'est ainsi que...
je con
fine
tu con
fines
qu'il (ou elle) con
fine
que nous con
finons
que vous con
finez
qu'ils (ou elles) con
finent...

et que nous con
finirons
tous... con !!!


En anglais :
to lose – perdre

Nota bene :
« ô Toulouse » est une chanson de Claude Nougaro.
Le blues est une formule musicale élaborée par les Noirs des Etats-Unis d'Amérique.


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FRANCIS PORNON 

Traduccion amistosa a l’occitan de Franc Bardòu

MIDI

2 Après-midi 

Axe équidistant entre les lourdes nuits
Où s'écartent les hémisphères du jour
Temps sacré de la sieste
Séjour d'ombre quand se déchaîne la rage du soleil
Temps dérobé
Où expirent bavardages et obséquiosité
Temps où les villes cessent leur racolage
Où l'on se retrouve nu
Le lac perd son voile métallique
Garonne exhibe l'aine de ses ponts
L'eau dans sa peau frémissante outremer féminine
Expose ses îles et ses rives
Où pataugent des oiseaux impudiques
Promesses de hauts-fonds secrets
Ou d'estuaires ultramarins  

2 Après-miègjorn 

Ais eqüidistant entre las nuèits pesugas
Ont s’escartan los emisfèris del jorn
Temps sacrat del penequet
Sojorn d'ombra quand se descadena la raja del solelh
Temps raubat
Ont viran l'uèlh barjadisses e obsequiosetat
Temps que las ciutats i quitan de racolar
Ont nos retrobam nud
Lo lac se pèrd lo vel metallic
Garona exibís l'engue dels ponts sieus
L’aiga dins sa pèl fremissenta oltramar feminina
Expausa sas islas e sas rivas
Ont margolhan d'aucèls impudics
Promessas d'auts-fonses secrets
O d'estuaris ultramarins

Extrait de Midi, in Par-delà le grand fleuve, Encres vives, 2011
   
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PHILIPPE SAHUC  (Pantoum)

Harmonie à cent paroles

Je tiens de cent lengas (1) un air de troubadour.
Ce n’est pas pour le speech (2), c’est tout pour la musique
Qui dit kaŋ (3) qui dit pour et fort, qui dit dès que
Le risque est ressenti qu’el idioma (4) soit lourd.

Ce n’est pas pour le speech (5), c’est tout pour la musique
Quand ma langue et ma gorge et mon corps font des tours.
Le risque est ressenti qu’el idioma (6) soit lourd,
Alors la bouche mute, pétille et fait iazik (7).

Quand ma langue et ma gorge et mon corps font des tours,
La Sprache (8) se fait rare et en donne le déclic :
Alors la bouche mute, pétille et fait iazik (9),
Hizkuntza (10) en chavire et laisse en couler ur (11)…

La Sprache (12) se fait rare et en donne le déclic
Pour que d’âme on palpite et se sente d’atours.
Hizkuntza (13) en chavire et laisse en couler ur (14) :
Et brille revontulet (15) de la linguistique !


1 langues, en occitan  lengas
2 discours, en anglais   sech
3 langue, en mandinka   kan
4 langue, en castillan, autrement dit espagnol    idioma
5 discours, en anglais   speech
6 langue, en castillan     idioma
7 langue, en russe (язык)
8 langue, en allemand
9 langue, en russe (язык)
10 langue, en euskara, autrement dit basque
11 eau, en euskara, autrement dit basque
12 langue, en allemand
13 langue, en euskara, autrement dit basque
14  eau, en euskara, autrement dit basque
15 aurore boréale, en finnois (littéralement : renard de feu)


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CHRISTIAN SAINT-PAUL

TOLOSA MELHORAMENT (extraits)

Dans le ventre de la ville
appuyée aux souches des générations
mortes
la mélodie de la tradition
désaccorde le vent et les immeubles
froids des promoteurs.
Les mots de la révolte
Toulouse est bien placée pour les dire
 dans la jeunesse erratique
de la Garonne qui déplie
ses faubourgs coulissants
 sur fond de soleil vieux
qu'entretient l'autan
 nimbé d'occasions violentes.
Dans le ventre de la ville
l'amour bonasse veille ses morts
qui relient les illusions du monde.
……
Et les brumes du temps
 dispersent le brouillard
des fantômes adolescents
dans le ventre de la ville
qui digère les vins fiévreux de la poésie.
Ici la parole se risque et se perd.
Ici les poètes reprennent leur souffle
 avant leur marche inachevable
de l'impossible traversée du lieu.
 De pierres ornées et bâties,
au sommet,
les signes attestent
d'une présence sans pesanteur,
poussière sur les lèvres
du temps reculé
de l'ambiguë détresse.
La déflagration de l'Histoire
amenuit les ombres sévères
de la cathédrale Saint-Étienne.
…..
pour avoir bu
la pulpe de la lumière de la ville
nous y lisons notre imprégnation
qui alourdit la nuit charmée du Capitole
 tandis que le clapotis des fontaines féminines
 tiennent en alerte les femmes aux prises
 avec la majesté mesurée des façades,
 têtes penchées vers les enfants
qui exécuteront les sentences du nouveau siècle.
 Encagoulés dans leur nuit de honte
 les images des suppliciés
­
souillent les places des mises à mort,
Vanini assassiné de philosophie et Calas
 d'aveuglement
Les racines à nu de l'horreur
dévoilent les carnages de la vie commune
des hommes.
Mais la vie occitane s'affranchit
du trop de sang versé
dans l'incendie du Pont Neuf à la fin du jour
et des haines débordantes
dans les dégueloirs énormes de ses arches.
Tout est rendu à la Garonne
la confiance et l'ivresse des amours nouvelles.
Mais derrière le linge ordonné des convenances,
Toulouse enjambe le vide des visages déchus brûlés
comme les fougères oubliées au soleil.
 Elle expose ses errances,
mémoires d'abandon
dans la prison à vie de la rue.
Toulouse perdue dans les flaques d'urine
 des bivouacs de la nuit
 que je traverse sur la cime
d'une solitude de marcheur. b
Et ce siècle tient du Moyen-âge
avec ses mêmes monstres
et nos frontières ineffaçables.
Mais au réveil les éclats de saphir
du jour vibrant enluminent
le Kaléidoscope des murs de briques ;
il s'agit de reprendre pied
dans les bras de la cité,
de s'ouvrir à son mirage marchand
de choyer l'insolence des riches échoppes
d'imputer la chute du vaisseau
aux oscillations de l'époque
d'abroger le mouvement de recul
des labyrinthes de la nuit
pour que les silhouettes qui ont raté
les marches plus basses que le sol
 glissent sur le dallage des places,
avec les jeunes filles en rollers qui
parfument de la grâce de leurs jambes fuselées
 les violents désirs de pulpe
 mûrie dans le secret du fruit vert.

………………………………………………………………………….

SVANTE SVAHNSTRÖM

Nord 43°32’ – Est 1°25’

Sous l’assaut du soleil ma peau demeure d’un rose invariable
Jusqu’à ne plus commissures
le Canal du Midi fend d’un sourire mon visage

L’automne mes sourcils se claire-sèment
sur mes yeux aux Plantes et à Compans Caffarelli
et sur mes rétines s’incruste plaisamment la fraîcheur d’un ciel enfin visible

Ma poitrine est un paysage raidissant de tourelles capitulaires
mamelons calcaires en constellation
Chaque matin je la recouvre d’un collier de légumes
que j’appelle boulevard de Strasbourg

Grâce aux jarretelles en solide maçonnerie sur les cuisses
aux noms Saint-Pierre et Catalans
mes abattoirs ne tombent pas en chiffon sur ma patte d’oie
Entre mes jambes glisse le python humide la Garonne
Repu d’anciens fruits interdits du jardin du Ramier
il ondule sur mes mollets les caresse vers les eaux libres

Suspendue à mon cou, bien sûr,
ma croix préférée Saint-Sernin

Heureuse dans mon corps de cocagne je bénis les champs
où je peux étirer chaque carrièra, baloard et avenguda
de mon ossature occitane
et tous les jours j’attends de vous la tendresse des talons sur mes trottoirs voluptueux

…………………………………………



DIDIER METENIER II

PRÉAMBULE

"Quand nous pensons à notre ville de Toulouse, et c'est sans doute un peu le cas pour chacun d'entre nous, comment ne pas entrer en conversation avec Claude Nougaro, ne serait-ce que par coup de cœur interposé..."

 

Le poème numéro 1 "moi mon Oc" n'est autre qu'une citation empruntée à un manuscrit de Claude Nougaro avec, comme unique irrévérence, une acrobatie typographique à l'occasion du premier alinéa.

 La formulation initiale  :
"Moi mon Océan c'est une Garonne"
aboutit dès lors dans sa version remaniée à la proposition suivante:
"moi mon Oc
éan c'est une Garonne..."


Un seul mot  formulé:
"Océan"...
et sur le principe du deux en un", deux mots proposés :
avec le mot "Oc", lui aussi présent.


Quoique de même nature, le poème numéro 2: "moi ma mer Océane" est plus personnel.
 Inspiré du même manuscrit, il n'en  relève pas moins d'un vécu partagé. Partagé non seulement par les riverains...
(Nougaro lui-même n'avait-il pas sa maison en bordure de Garonne?)
mais aussi par les promeneurs, les flâneurs et tous les amoureux des berges de Garonne.

 

Le poème numéro 3 "moi mon Oc / éan c'est une Garonne"
n'est tout au plus qu'une mise en perspective du poème numéro 2.
C'est avant tout un hommage rendu à la chanson d'origine...

N.B.:  retranscrits en italique quelques emprunts admiratifs à un texte manuscrit du chanteur toulousain.
           (Maison Nougaro Toulouse)



 

 

Pour ce qui est des poèmes suivants (le poème numéro 4 :
"Toutes ces chansons là"











 

 

 

 

 

 

 

 

ainsi que le poème numéro 5:
"Ô Toulouse, mon Toulouse"
 je serais tenté de les considérer comme des
reprises  revisitées du texte initial dans lesquelles apparaissent (encore et toujours en italiques) les indéfectibles emprunts admiratifs.







 

 

 

 

Que dire du poème numéro 6 "Ô Toulouse... / terre d'accueil"  sinon que c'est un poème de circonstance, composé par temps de pandémie et de confinement.













 

(*)  clin d'oeil à Claude Nougaro














En latin :
in fine (prononcer « in finé »)  -  au final


 


Quant au poème numéro 7 "Dans un café glauque", me paraît tout autant être en phase avec le thème du mois (Toulouse).  

 

1
moi mon Oc
éan c'est une Garonne...
un berceau de roc pour un filet d'eau
trois syllabes d'Oc et vogue le flot...

à Claude Nougaro










 

 

2
moi ma mer océane
ce n'est qu'une Garonne
qui de partout résonne
de la Prairie des Filtres
au Pont des Catalans
au rythme des tam-tam...
                 à Claude Nougaro

  N.B.:  retranscrits en italique quelques emprunts admiratifs

3
moi mon Oc
éan c'est une Garonne...
un berceau de roc pour un filet d'eau
trois syllabes d'Oc et vogue le flot...

moi ma Mer Egée c'est ce fleuve lisse
dont je suis l'Ulysse sans exagérer...

moi ma Caravelle c'est sa rive belle
là où l'hirondelle vient pondre son œuf...


moi ma mer océane ce n'est qu'une Garonne
qui de partout résonne
de la prairie des filtres au pont des Catalans
au rythme des tam-tam...

4
Toutes ces chansons là...
ne sont que des galets

les galets noirs ou blancs
d'un fleuve ch
amarré !!!
Ces galets empilés
qui dans nos murs
se fondent
toulousain d'attirance
j'ai soif de m'y fonder...
J'ai faim de mes racines
(j'en cherche l'origine)
faim d'entrevoir la fin...
soucieux à toutes fins
d'ausculter le destin...
J'ajuste ces paroles
comme autant de galets
d'un fleuve qui m'inonde
de mots et de couplets.
Je m'adresse à l'oreille...
et je m'adresse à l'oeil !!!

Je fouille la mémoire
et dans cette Mer Noire
je trouve le berceau
dans nos murs et dans l'eau
de l'Etoile de Mère...

 5
Ô Toulouse, mon Toulouse
toi la vill' qui m'a vu naître
pardonne-moi de n'être
pas un chanteur d'opéra
comme l'était papa
Ô Toulouse, mon Toulouse
moi qui n'aime que le blues
papa me disait « fiston
tes ancêtres les Gascons
ne ramassaient pas le coton...
la Garonne mon petit
n'est pas le Mississippi »
-Hé bien, tant pis !

Ceci dit, il n'avait pas tout à fait tort
star du Bel Canto dans l'air de « Tor
éador prends garde... »
Et tant pis si même encor'
ton œil noir me regarde
moi je préfère
matin et soir
chanter le blues depuis Toulouse...


6
ô Toulouse...
terre d'accueil
terre d'exil
terre du con
final !!!
ô toulousains...
où que vous soyez
présentement con
finés...
et nous le sommes tous !!!
ô toulousains...
d'où que vous soyez
d'ici ou de là-bas...
toulousains du transfert
toulousains en transit
toulousains de Paris
de New York ou d'ailleurs...
toulousains par naissance
toulousains d'attirance
toulousains d'adoption
ou toulousains de cœur...
avec ou sans
par trans-continement
l'apaisante présence
de l'amie de toujours
toi Garonne Océane
notre Etoile de Mère (*)
toi qui nous manques tant...

fichu temps que ce temps
du grand con
finement con !!!

je nous sens à présent
(comme tout con
finé)
aussi cons
in fine
mais plus que jamais
toulousains  con !


7
Dans un café glauque...
Le Stade Toulousain
File vers son destin.