mercredi 21 octobre 2020

Villes

                                                       Les cités obscures - François Schuiten


AUTEURS 

Nanou Auriol
Italo Calvino *
Claude Nougaro *
Svante Svahnström

*présenté par Svante Svahnström


 

 NANOU AURIOL 

 

 TOULOUSE


Il revient dans ma tête, une musique Nougaronne...
Ma ville d'adoption, ne cesse d'embellir
Des ponts et des musées aux jardins à loisirs
L'eau n'en finit pas de s'appeler : Garonne.

Saint-Sernin soigne son image. L'histoire resurgit
Des mémoires trop jeunes aux souvenirs.
Rappelle-nous tes lieux, racines nécessaires
Pour conduire l'avenir sur un passé fleuri.
Des Romains aux Chrétiens et Cathares sans âge
Conservent la mémoire des cendres de nos pères,
Patrimoine d'amour aux futurs habitants.
La calèche s'est tue, seul le vent d'Autan
Immortel voyageur ressasse l'aventure
Qu'il entraîne avec lui comme un bel héritage.

Toulouse, j'aime l'odeur de ton magnolia.
- Je laisserai mon âme sur l'un de ses pétales-
Et, dans tes beaux buissons aux rouges camélias,
Je chanterai des vers au rythme cotidal.
Du marché coloré, aux Arcs Saint-Cyprien...
Saint-Thomas dort sous le palmier des Jacobins.

Berges capricieuses, aux pêcheurs si fidèles,
Les arches silencieuses des cloîtres un peu sourds,
Voient les avions partir tels des enfants curieux
Qui reviennent un jour s'abriter sous son aile.
Ô ville, sein protecteur, nid de mon amour
Où j'ai donné la vie à ton destin heureux,
A l'ombre des Théâtres, au chœur des Basiliques,
Sous le regard si bleu du Maître de Musique.
 
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ITALO CALVINO 

 

Les villes et le désir.   3.                                                           

On atteint Despina de deux manières : par bateau ou à dos de chameau. La ville se présente différemment selon qu’on y vient par terre ou par mer.

Le chamelier qui voit pointer à l’horizon du plateau les clochetons des gratte-ciel, les antennes radar, battre les manches à air blanches et rouges, fumer les cheminées, pense à un navire, il sait que c’est une ville mais il y pense comme à un bâtiment qui l’emporterait loin du désert, un voilier qui serait sur le point de  lever l’ancre, avec le vent qui déjà  gonfle les voiles pas encore larguées, ou un vapeur dont la chaudière vibre dans la carène de fer, il pense à tous les ports, aux marchandises  d’outre-mer que les grues déchargent sur les quais, aux auberges où les équipages de diverses nationalités se cassent des bouteilles sur la tête, aux fenêtre illuminées du rez-de-chaussée, avec à chacune une femme qui refait sa coiffure.

Dans la brume de la côte, le marin distingue la forme d’une bosse de chameau, d’une selle brodée aux franges étincelantes entre deux bosses tachetées qui, avancent en se balançant, il sait qu’il s’agit d’une ville mais il y pense comme à un chameau, au bât duquel pendent des outres et des besaces de fruits confits, du vin de datte, des feuilles de tabac, et déjà il se voit à la tête d’un longue caravane  qui l’emporte loin du désert de la mer, vers des oasis d’eau douce à l’ombre dentelée des palmiers, vers des palais aux gros murs de chaux, aux cours sur les carreaux desquelles dansent nu-pieds les danseuses, remuant les bras un peu dans leurs voiles et un peu en dehors. 

Toute ville reçoit sa forme du désert auquel elle s’oppose ; et c’est ainsi que le chamelier et le marin voient Despina, la ville des confins entre deux déserts.

 

« Ls villes invisibles »

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TOULOUSE - CLAUDE NOUGARO

Qu'il est loin mon pays, qu'il est loin
Parfois au fond de moi se raniment
L'eau verte du canal du Midi
Et la brique rouge des Minimes
Ô mon païs, ô Toulouse...

Je reprends l'avenue vers l'école
Mon cartable est bourré de coups de poing
Ici, si tu cognes tu gagnes
Ici, même les mémés aiment la castagne
Ô mon païs, ô Toulouse...

Un torrent de cailloux roule dans ton accent
Ta violence bouillonne jusque dans tes violettes
On se traite de con à peine qu'on se traite
Il y a de l'orage dans l'air et pourtant

L'église Saint Sernin illumine le soir
D'une fleur de corail que le soleil arrose
C'est peut être pour ça malgré ton rouge et noir
C'est peut être pour ça qu'on te dit ville rose
Je revois ton pavé ô ma cité gasconne
Ton trottoir éventré sur les tuyaux du gaz
Est ce l'Espagne en toi qui pousse un peu sa corne
Ou serait ce dans tes tripes une bulle de jazz ?
Voici le Capitole, j'y arrête mes pas
Les ténors enrhumés tremblaient sous leurs ventouses
J'entends encore l'écho de la voix de papa
C'était en ce temps là mon seul chanteur de blues

Aujourd'hui tes buildings grimpent haut


À Blagnac tes avions ronflent gros
Si l'un me ramène sur cette ville
Pourrai je encore y revoir ma pincée de tuiles
Ô mon païs, ô Toulouse, ô Toulouse...

 

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 SVANTE SVAHNSTRÖM


Dialogue sur Istanbul. Le poète turc Orhan Veli a écrit un poème sur Istanbul devenu emblématique : J’écoute Istanbul, les yeux fermés
J’ai répondu au poème de Veli avec le poème : J'ai écouté Istanbul, les yeux ouverts
 
1.
Istanbul’u dinliyorum, gözlerim kapalı...
 
J’écoute Istanbul, les yeux fermés
tandis que passent les oiseaux
tout là-haut, par longues bandes criardes
Dans les pêcheries on tire les filets
les pieds d’une femme baignent dans l’eau
J’écoute Istanbul, les yeux fermés
 
J’écoute Istanbul, les yeux fermés
Les voûtes du Bazar sont fraîches, si fraîches
Mahmout Pacha est tout grouillant de monde
les cours sont pleines de pigeons
Des bruits de marteaux montent des docks
dans le vent doux du printemps flottent des odeurs de sueur
J’écoute Istanbul, les yeux fermés…
 
 
2.
J'ai écouté Istanbul, les yeux ouverts
le sourire du Bosphore entre ses dents de yalı
 
du haut de la tour décapitée Galata ses sept collines
ses boulevards en bras barbouillés
et ses ruelles en doigts noueux
la salade turque consacrant le rouge et le vert
 
J'ai écouté la méditation des mouettes sur les coupoles d'Ayasofia
la pudeur des corps de femmes s'offrant aux regards passants
les beautés scrupuleusement scellées en noir
les pelotes électrifiées des façades témoins de progrès obsolètes
promesses de techniques à venir
 
J'ai vu le soir les minarets
index de la cité
levés vers le ciel saignant
de la nuit en mouvement
 
Je l'ai écoutée les yeux grand ouverts
 
J'ai écouté Istanbul les oreilles alertes
l'autorité des syllabes, les suaves consonances
la langue turque
 
les muezzins qui rincent les rues de paroles purifiantes
la colère des mouettes d'Ayasofia
dont le muezzin du matin
détourne la méditation
le pazar hurlant la séduction des clients
et l'effort des porteurs
 
Et je n'oublie pas la vie
contée par le zaz
la mort et l'orgueil
taksim d'amitié et d'amour
tremblant sur ses cordes
 
Je l'ai écoutée les oreilles alertes
 
J'écoute Istanbul les narines éveillées
 
Je respire les rues
quatorze fois centenaires
depuis le prophète
Dans les saintes enceintes
les pieds des pieux encensent
une offrande au Très Haut
sueur et prières sécrétées en soumission
mille fronts sur le tapis
dans les effluves de fidélité
 
Ces particules noires de diesel
qui bouchent les ruelles-ravins
je les fais miennes
et
je me tourne vers 
les montagnes arc-en ciel
qui se décomposent au soleil
fosses communes séculaires de consommation kémaliste
et j'écoute leur message fétide
 
Les verres-poireau sont des grenades aromatiques
propulsant dans mon nez les filets bouillants
du çay alla turca
 
Eyüp, lieu de dévotion culminante
oint l'espérance pèlerine
embaume les fidèles
de profanes puanteurs
polluants rictus productifs
 
Pharmaciens des voluptés
les négociants de parfums promettent
aux corps amoureux
délires et délices pour sens en dilatation
si possible l’ivresse d’un millier de nuits
et peut-être d’une encore
 
Le marché égyptien est un turban de senteurs
citadelle d’essences de la Corne d’Or
à même pas deux pas de la fumante embarcadère d’Eminönu
 
Je l'ai écoutée, les narines éveillées
 
En turc :
yalı – villa bourgeoise au bord du Bosphore
pazar – le bazar
zaz – luth turc
taksim – musique turque improvisée sur instruments traditionnels
Eyüp est un lieu saint de l’Islam dans une partie malodorante de la Corne d’Or
çay - thé
 
"Hocus Corpus" 2009

 
 
SAMSUN
 
Du gris vous vouliez ?
C’est bien cela ?
Vous êtes bien tombé
Vous êtes arrivé au bon endroit
Ici notre attraction c’est le travail
Admirez notre port
Ecoutez le train hurler sur les rails
Regardez les chargement du charbon
Bien sûr que nous avons des plages
Le sable y est finement gris
comme la mer aujourd’hui
qui refuse d’être noire
Nos rues sont étroites
les voitures vous y frôlent et hululent
Séduction surannée de notre Grand hôtel quatre étoiles
avec vue imprenable sur le port et le charbon
Les transats solitaires bordent la piscine
où les algues font vivre l’eau stagnante
Montez en haut de notre colline
dans la chaleur et redescendez
Il n’y a que la ville à voir
et ses reflets dans votre sueur
L’insignifiant est notre arme pour séduire
 
"Navigateur au sommet du vide" 2015
 



 

 

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