jeudi 4 décembre 2025

ENIVREMENT



L'ivresse de Noé - Michel-Ange

 


AUTEURS

Clémence en flammes – poète invitée

Anonyme Egypte env. 1500 av. J.-Chr. **
Anonyme Génèse Ancien Testament **
Anonyme Grèce ancienne *
Louis Aragon *
Michel Baglin *
Franc Bardòu 
Carl Michael Bellman  **
Saïd Benjelloun
Claudine Candat
Clémence en Flammes
François Coppée ****
Ibn al-Mou'tazz (lXe s) **
Lise Durand
Elisabeth Graech
Liv (13) et Ebba (9) L'Hermitte ****
Marina Mariotti
Didier Metenier
Mouhammad al-Nawadj (XVe s) **
Théo Plantefol
Paul Fort *****
Arthur Rimbaud ***
Philippe Sahuc
Josef Julius Wecksell **
Svante Svahnström

Victor Hugo – chant et guitare par Clémence en flamme et Théo Plantefol

Poèmes présentés par
Didier Metenier *
Svante Svahnström **
Nanou Auriol ***
Ebba L’Hermitte ****
Anna Kurzcewsky *****


CLÉMENCE EN FLAMMES   Bruxelles

Textes tiré du recueil Rage & Velours de Clémence en flammes


Namur
J’habite une ville-fantôme
dont les nuits silencieuses se glissent entre les pavés
les néons crevés
et les châteaux

J’habite la province des Grands Feux de villages
et des routes de campagne mal éclairées
avec la lune qui nous suit aux carreaux de la bagnole
et les nids-de-poule qui nous bercent
quand
la nuit
entre leurs creux
on caracole

J’habite la région des gens qui disent
« clô t’gueu hein » pour dire « de rien »
et qui claquent une bétche
pas une bise
à la famille comme à leurs voisins
et ça crie et ça rit à gorge claironnante
et le vin et la bière coulent
sur les routes de campagne mal éclairées
et ça roule
ça roule sur les dos des enfants de paysans
et ça chante de temps en temps :

C’est dmwin li djoû di m’mariadje
Aprèstez, aprèstez tos vos bouquèts
Nos lès mètroz au cwârsadje
Dès bauchèles di nosse banquèt

C’est demain le jour de mon mariage
Apprêtez tous vos bouquets
Nous les mettrons au corsage
Des jeunes filles de notre banquet
(chanson wallonne Li Bia Bouquet, hymne de Namur)


Traduction de cet extrait par Saïd Benjelloun :
Ghadan yawma zafaf’i
Hayyi’ou l’wouroud
Nadaeou-hou bayna nouhoud
Jamilati hafli


..........

Vanités (accompagné à la guitare par Théo Plantefol)

« T’es pas belle quand tu pleures, honey
ferme la bouche, t’es tellement jolie
t’as un sacré boule dans ce froc
mais rase chaque jour ta peau qui se cloque
cache tes cernes mais ne te maquille pas trop
pour être fine faut que t’aies les crocs
tu le sais, pour être potable
ce sera un travail à temps plein
faut souffrir pour être baisable
tu le connais, ce foutu refrain »

Alors tu mets crèmes, strings et gaines
tout ça pour que la sentence tombe : tu es vaine.

Moi, je voudrais devenir vampire
pour ne plus voir mon reflet maudit
dans ce miroir

« T’es pas sex quand tu cries, babe,
toutes les insoumises sont laides,
donc soumets-toi aux diktats
de beauté du patriarcat
constamment en hésitation :
Suis-je un canon ou bien un thon ?
Tu subis ce réflexe du cortex
notre société l’a bien ancré
pour capitaliser sans complexe
les insécurités qu’elle crée »

Alors tu mets crèmes, strings et gaines
tout ça pour que la sentence tombe :
tu es vaine.

Moi, je veux devenir vampire pour plus voir
mon reflet maudit dans ce miroir
Non, mieux : je veux devenir Méduse et d’un regard
te transformer en pierre, hagard

« T’es plus hot quand t’es humble, chérie
domestiquée par dysphorie
et si ton physique est plaisant
bonus: privilège hiérarchisant
quand ta valeur, elle se calcule
galbe du sein + courbe du cul
quand le désir qu’ils ont pour toi est ton unique capital
leur approbation ta seule foi
il reste bien dompté, ton mental »

Alors tu mets crèmes, strings et gaines
tout ça pour que la sentence tombe :
tu es vaine.

Moi, je veux devenir vampire pour plus voir
mon reflet maudit dans ce miroir
Non, mieux : je veux devenir Méduse et d’un regard
te transformer en pierre, hagard
Non, mieux : je veux devenir l’Hydre de Lerne
coupe ma tête, deux nouvelles se ramènent
être monstrueuse comme une sirène
hypnotiser tes yeux vagabonds
et t’entraîner vers les tréfonds…

que tu es beau
dans ce
typhon.

............

Sueur
La terre est dure, le ciel est lourd
le vert brûle sur les champs
le vent chante de temps en temps

Ode à l’été,
à la première piqûre de moustique
à la limonade pas assez sucrée qui pique
brûle mes lèvres
ode à cette trêve pour
ma
colère

Ode à ce bel été pour faire pousser les fruits
et guérir les âmes
ode aux fleurs dans le cloud de Microsoft et dans les poches
mes balades au Scheutbos sur un petit nuage
avec les fripes des Marolles qui caressent ma peau

Ode à la glace place Sainte-Catherine
aux langues qui se taquinent
quand on s’embrasse
aux corps moites qui fondent l’un dans l’autre
quand on s’enlace
Bruxelles se couvre d’une lumière orange
d’un espoir que les choses changent
que les choses changent
il y a des oliviers sur la place de l’Ebrius
la Méditerranée s'invite
le long hiver nous quitte
le jazz fait danser les hirondelles
et les gens

Ode aux danses en sueur avant de choper un bus de nuit
le sourire à la bouche
les odeurs musquées au nez
et au coin des lèvres le baiser
de celui aux cheveux que le vent ébouriffe

Ode à la candeur
dans le jardin de la maison de famille
les légumes qu'on récolte
et moi qui ose enfin cellui que je suis
mes jambes piquantes et séditieuses dépassent de mes shorts
le parfum de crème solaire qui embaume ma peau pâle
chaque goutte de sueur brillant comme des opales

Ode à l’Ostara et au Litha des sorcières
ode à ma mère
ode à toutes les poétesses insoumises
et les femmes magiques de ma vie

Ode à la chaleur,
aux robes qui virevoltent, qui carillonnent,
aux airs de plus rien à foutre,
le coin des lèvres pourpre de fraises
de révolte
et d’amour.

……..

Texte original écrit spécialement pour le thème Enivrement :

De nos bouches désertiques
on gobe des paysages
De nos soifs théologiques
on hume puis on crache

Des rangées de vignes aux fonds de nos verres
des forêts millésimes
des falaises cul-sec
des ruines ivres
des rus jusqu'à la lie

De nos nuits qui boitent
on s'enivre de paysages
De nos aurores enthousiastes
on se gorge d'arpentages

On chausse la source
on la brasse pour plus tard
on goûte des écorces la mousse
on se saoule aux effluves du soir
on vendange le chant des coucous
on trébuche sur des miracles
on bave comme des chiens fous
on se fait de la Nature les oracles

……………………………..

ANONYME   Égypte env. 1500 av. J.-Chr.

A TA SANTÉ!
 
Bois la belle ivresse. 
Vis un beau jour.
Avec ce qu'Amon, le dieu qui t'aime, t'a donné.
 
Ò noble qui aimes le vin,
Qui par la myrrhe est glorifié,
Rien ne te manque ,
Pour rafraîchir ton coeur dans la belle demeure.
 
PRENDS à boire,
Pour passer un jour heureux
Dans ta maison d'éternité ,
De la main de ton épouse Hénout-Néferet.
 
A ta santé, toi qui es honoré,
Voici un vêtement blanc,
Du baume pour tes épaules,
Des guirlandes pour ton cou,
Remplis ton nez de santé et de joie,
Sur ta tête mets des parfums
Qui viennent d'Amon-Ré.Passe un jour de fête
Dans ta maison d'éternité. 
 
 A TA SANTÉ ! bois jusqu'à l'ivresse.
 Fait une belle fête.
 Que ta vie soit belle,
 Jour après jour, en vie, et en santé,
 Jusqu'à ce que tu atteignes la Ville d'éternité,
 En sorte que personne n'oublie ton nom,
 Lorsque ta famille te saluera
En disant : "Ò toi qui es bien arrivé", 
 Et que tes proches te prendront entre leurs bras.
………………………………….

ANONYME - Ancien Testament  - Génèse 9, 20-27  

Ivresse de Noé

Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne.
Il but du vin, s'enivra, et se découvrit au milieu de sa tente.
Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères.
Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père.
Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet.
Et il dit: Maudit soit Canaan! qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères!
Il dit encore: Béni soit l'Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave!
Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur esclave!

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ANONYME   Grèce antique

Odelettes anacréontiques

Le buveur justifié

La terre boit la pluie
Et les arbres la terre;
La mer se désaltère
Au passage des brises;
Le soleil boit la mer,
la lune et le soleil.
Pourquoi donc camarades
Me défendre de boire?

………………………………..

LOUIS ARAGON

Un chant qui se soucie aussi peu de moi-même
Que le fleuve de l'être sur le rideau du vent
L'ivresse du buveur la balle du vivant
Un chant qui fait sauter les gonds de mes poèmes

Je ne suis plus l'écho que de mon avalanche
Ce langage qui roule avec lui ses galets
Et tant pis en chemin s'ils m'écrasent où j'allais
Que mon cœur reste rouge et que mes mains soient blanches.

Un jour Elsa mes vers monteront à des lèvres
Qui n'auront plus le mal étrange de ce temps
Ils iront réveiller des enfants palpitants
D'apprendre que l'amour n'était pas une fièvre

Qu'il n'est pas vrai que l'âge assurément la vainc
Que jusqu'au bout l'amour et la vie c'est pareil
Qu'il y a des amours noués comme une treille
Tant que la veine est bleue il y a du vin.

Les yeux d'Elsa (extrait remanié)

……………………………..

MICHEL BAGLIN   

Cette vie l'inventer
l'inventer à propos
puisque le cœur réclame
un peu plus de vertige,
un peu plus d'états
d'âme,
et que le chant exige
et la langue et la peau.

De chair et de mots, ed. Castor Astral, 2012

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FRANC BARDÒU  

Lo psaltèri per subrondar l’aurassa

Psalme XX

1. Anavas coma l’onda al flume,
    carregant dins ton si
    los auvaris de l’alba.
    Las cridas ailà luènh
    montavan de las torres,
planhs engabiats d’unas mementas.

2. Dins tos uèlhs de quitran, fissoses,
    vesiái a l’infinit
    s’endevenir las mancas
    inventadas d’escrinhs
    per de Pandòras tristas
qu’amèran pas jamai degun.

3. L’androna s’enaurava al vent
    que te portava a creire
    una cançon darrièra.
    Los aflats esbleugits
    de martèls-picadors
t’insolentavan plan l’enuèg.

4. Als crosaments dels fòcs de gara,
    dins los incendis muts
    que de cremats somniavan,
    te preniás a sentir
    las calors estremièras
qu’aurián anequelit l’estona.

5. Ja lo beton, dins sos fendascles,
    daissa rajar son pols
    semenaire de psalmes
    a contrabriu d’un ponh
    que non lo pòt passar,
ni mai agantar sos miratges.

6. Lai, espèra qu’esperaràs,
    lo camin tira dreit,
    tan dreit coma tu pòscas,
    mas es fòra la gàbia,
    e la gàbia, es plan tu :
degun non te’n sortirà viu !

7. Sieta-te aquí, sonque un brieu.
    Lo pasiment es fred
    e la paret es aspra,
    aspra e freda la crida
    ailà-bas que t’escalpra
coma un primièr rai de solelh.

8. Cada respir es cremadura
    e l’avenguda auçada
    als teules coma als monts
    non pasta qu’un brandar
    betonat que t’esfaça
de tot çò non jamai plus tieu.

9. Non acares ton gai desir
    a l’abís atupit
    d’un malhum de fabrega.
    Embriaga-te mailèu
    a venir embriaguesa
de çò que non seràs jamai.

10. Vei la joventa a sa finèstra :
    sa man fina de luna
    escàmbia son camin
    a tos passes de fum
    que cercavan un astre
per se saber acaminats.

Psautier pour inonder l’ouragan

Psaume XX

1. Tu allais comme l’onde au fleuve,
    charriant en toi-même
    les naufrages de l’aube.
    Les appels tout au loin
    montaient des hautes tours,
plaintes enfermées de mémoires.

2. Dans tes yeux de goudron, perçants,
    je voyais à jamais
    se conjuguer les manques
    inventés aux écrins
    de Pandores trop tristes
qui n’aimeraient jamais personne.

3. La ruelle montait au vent
    qui te portait à croire
    une ultime chanson,
    caresses éblouies
    de ces marteaux-piqueurs
qui insolentaient ton ennui.

4. Aux croisements des feux de gare,
    dans les incendies tus
    que rêvaient des brûlés,
    il te semblait sentir
    les dernières chaleurs
qui auraient desséché l’instant.

5. Déjà le béton, dans ses fentes,
    laisse couler son souffle
    ensemencé de psaumes
    contre le gré d’un poing
    qui ne peut le franchir
ni même saisir ses mirages.

6. Là, tu attendras longtemps encore,
    le chemin part tout droit,
    autant que tu le puisses,
    mais il va hors de cage,
    et la cage, c’est toi :
nul ne t’en sortira vivant !

7. Assieds-toi là, juste un instant.
    a pavement est froid
    et les murs sont rugueux,
    froid et rugueux l’appel
    qui là-bas te façonne
comme un premier rayon de jour.

8. Chaque souffle est brûlure
    et l’avenue portée
    aux tuiles et aux monts
    ne peint qu’un feu pesant
    de béton qui t’efface
de tout ce que tu perds enfin.

9. Ne tourne plus ton bon désir
    vers l’abîme effaré
    des maillages d’usines.
    Enivre-toi plutôt
    jusqu’à être l’ivresse
de ce que tu ne seras jamais.

10. Vois donc la fille à la fenêtre.
    Sa main fine de lune
    échange son chemin
    à tes pas de brouillard
    qui se cherchaient un astre
pour se savoir enfin partis.



 La version initiale de ce poème doit dater de 1997. Je l’ai rectifié, notamment au regard des recommandations de l’Academia Occitana pour l’occitan standard. En voici une traduction approximative en français.

……………………………

CARL MICHAEL BELLMAN   Sudédois  1745-1790

LES ÉPITRES DE FREDMAN 
Fredman est un petit horloger, syndic 
de sa corporation, fournisseur de la Cour, 
qui mourra détruit par l’alcool.

ÉPITRE 23 
Qui est le soliloque de Fredman couché devant le cabaret 
Krypin, en face de la banque, une nuit d’été 1768 
  (extrait)

/…/
Je suis un païen : cœur, bouche, âme
Adorent le dieu du vin
Sans le sou, usé jusqu’à la corde,
Mon gosier
C’est ma tirelire
Heur et malheur,
La mort blême
Me sèchent le palais
Et je meurs
Le verre à la bouche –
Le verre à la bouche.

Tiens ! La porte du cabaret s’ouvre, on dévisse les volets ;
Personne en ville n’est habillé.
L’étoile, comme vaincue par la rougeur de l’aube,
Tombe à travers la couche des nuages ;
Les rayons brillent,
Les cloches luisent,
L’air tiédit.
Où est mon manteau ?
Je vois d’ici mon escalier
De l’antre de Bacchus.
A boire ! mon âme
Crève de soif – 
Crève de soif !

Allons ! A la vôtre ! ceignons nos nippes,
Et rallions la table et la pinte
Il faut huiler un peu ses jointures,
Les huiler un bon coup.
Hourra ! Courage !
Joyeuse vie, mes amis !
Allons, hardis à la bouteille !
Je me sens déjà ravigoté,
De vie, d’audace je déborde,
Je ne crains plus rien.
Encore un coup, encore un autre !
Merci, ma mère et mon père –
Merci, ma mère et mon père !
/…/
……………………….

SAÏD BENJELLOUN



…………………………

CLAUDINE CANDAT

Papier d'Arménie

Que l’air du temps veuille me rendre
Ce mélange au goût métissé
De l’encens qui se fiance 
À la fumée d’insolentes gauloises.
Au moins une fois réentendre le bruit,
Dans les langueurs d’après-midi,
De l’allumette que l’on craque
Et dont la flamme vient lécher
Les bords du papier d’Arménie.

Mais l’air du temps n’est pas à vendre
D’un temps où tu vivais encore
Et où je me croyais vivante
Parmi les esprits qui hantaient 
Le clair-obscur de ta mansarde.

Que n’ai-je posé de questions
Auxquelles tu aurais pu répondre 
Sur ce temps passé qui fut tien
Et dont tu charriais souvenance ?
Mais hélas, pour la médecine, la nostalgie 
N’est pas une maladie contagieuse 
Qui se transmet de mère en fille,
De la vieille à l’adolescente,
Mais une affection personnelle
Qui se consume en confidences
Sans embraser le confident.

Pourtant le papier qui brûlait
Se chargeait d’effluves exotiques
Soufflant des senteurs d’Arménie
Jusqu’à ce Caucase lointain
Où nos ancêtres seraient nés
Dans le noir de la nuit des temps, 
Ces temps des nuits néolithiques.

L’avenir n’attendait que moi
Au coin de la rue, au détour d’un bois.
Quand le faon se transforme en biche
Il secoue et se débarrasse
Des bois morts et des feuilles mortes
Qui entravent son avancée.
Bête que j’étais, j’ignorais alors
Que sous la rouille brillait l’or.

Que cet air du temps insipide 
Me restitue la pointe âcre du Grenache
Et la douceur du Jurançon
Sur mes papilles ayant goûté 
Les mets de tous les râteliers.
Je revois ton bras si blanc si lisse,
Épargné par les flétrissures 
Et les doses d’ultraviolets,
Verser dans mon verre tout l’ambre et le soleil
Du vin des rois du roi des vins.

À présent que j’ai atteint l’âge
Où je sais ce que tu savais
Je contemple au creux de mains vides
Les bonheurs qui m’ont échappé
Et, dans les sillons labourés
Des lignes de chance et de cœur,
Le sens des secrets égarés.

Ou bien trop tôt, ou bien trop tard,
Les fumées restent volatiles
Sur le papier rien ne s’écrit
Qui ne pèse sur la conscience
Chargée du joli souvenir
D’un léger parfum d’Arménie.

in Tiroirs amers

……………………………..

FRANÇOIS COPPÉE

  Matin d’Octobre

Version lue, aménagée par Sandrine Brou :

Matin d’automne

C’est l’heure exquise et matinale,
Où rougit le soleil brillant de satin,
A travers la brume automnale
Tombent les feuilles du jardin.

Du regard, on peut les suivre
Tourbillonnant tout doucement,
Le chêne à sa feuille de cuivre,
L’érable à sa feuille de sang.

Les dernières, les plus colorées,
Tombent des branches dépouillées
Et se posent délicatement par terre,
S’allongeant au sol toutes fières.

Une blonde lumière arrose le ciel,
La nature derrière le doux soleil,
Eté indien, chaleur délicieuse,
Couleurs chaudes et merveilleuses.

 Version originale de l'auteur :

 Matin d'octobre

 C’est l’heure exquise et matinale
Que rougit un soleil soudain.
A travers la brume automnale
Tombent les feuilles du jardin.

Leur chute est lente. On peut les suivre
Du regard en reconnaissant
Le chêne à sa feuille de cuivre,
L’érable à sa feuille de sang.
Les dernières, les plus rouillées,

Tombent des branches dépouillées :
Mais ce n’est pas l’hiver encor.
Une blonde lumière arrose
La nature, et, dans l’air tout rose,
On croirait qu’il neige de l’or.
 

Promenades et Intérieurs

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LISE DURAND

Les vignes de ma mère
Le vin de mon père
Auraient pu m'enivrer…
Mais je suis pas Verlaine
Juste une femme poète
Qui aime l'odeur des mots
Mais je suis  pas Rimbaud
Juste une femme qui écrit
Qui aime le vin et sa vie.

                                              Toulouse le 7 octobre 2025

………………………………………..

PAUL FORT

La grande ivresse

Par les nuits d’été bleues où chantent les cigales, Dieu verse sur la France une coupe d’étoiles. Le vent porte à ma lèvre un goût du ciel d’été ! Je veux boire à l’espace fraichement argenté.

L’air du soir est pour moi le bord de la coupe froide où, les yeux mi-fermés et la bouche goulue, je bois, comme le jus pressé d’une grenade, la fraîcheur étoilée qui se répand des nues.

Couché sur un gazon dont l’herbe est encor chaude de s’être prélassée sous l’haleine du jour, oh ! que je viderais, ce soir, avec amour, la coupe immense et bleue où le firmament rôde !

Suis-je Bacchus ou Pan ? je m’enivre d’espace, et j’apaise ma fièvre à la fraîcheur des nuits. La bouche ouverte au ciel où grelottent les astres, que le ciel coule en moi ! que je me fonde en lui !

Enivrés par l’espace et les cieux étoilés, Byron et Lamartine, Hugo, Shelley sont morts. L’espace est toujours là : il coule illimité ; à peine ivre il m’emporte et j’avais soif encore !

Paris sentimental

…………………………

ELISABETH GRAECH



………………………….

LIV (13) et EBBA (9) L'HERMITTE

La nuit

La nuit, la nuit il se passe des choses extraordinaires, des rêves, des cauchemars ,...
Qui ne s'y est point intéressé? 
On se réveille, et tout s'arrête. On est déçus ou soulagés...
On veut y rester ou .... tout faire pour les oublier. 
Les rêves sont doux, moelleux, agréables, les cauchemars durs, pointus, effroyables. 
On y trouve des créatures fantastiques, des héros légendaires, des bêtes féroces, 
Ou ... tout simplement soi-même. La nuit permet de se retrouver, se reconnaître, d'apprendre à être la personne pour laquelle on est né ... 
Une destinée? Ou seulement l'entrevue des possibilités passagères. Qui sait?
 
………………………………

MARINA MARIOTTI



……………………………

DIDIER METENIER

dans l'air
s'installe
un si nouveau vivant
un maintenant
printemps
et ce qui se présente à nous
comme une a
morce
comme un e
spoir
c'est l'étoile du soir

……..

L'en-vers

dans cet en-droit tout à l'en-vers
toile de fond
d'un beau dé-corps à dé-couvert
un fou dé-sir
un grand dé-lire
jusqu'au dé-vers
une potion
un alambic
un(e)' décoction
un élixir...
une aqua(r)elle
un aqua-verre ?
avec plaisir !!!

…………………………..

IBN AL-MOU'TAZZ  (lXe s)

CALLIGRAPIE

La tunique revêtant les joues
est tissée de pétales fraîchement cueillis
et la lettre « n » sur la page des tempes
est assortie d’un point : signature de la beauté…

………………………..
 
MOUHAMMAD AL-NAWADJ  (XVe s)

LE PETIT CALLIGRAPHE

Il a tiré un couteau de taille
un fin roseau à écrire –
et cet autre roseau, entre ses paupières,
destinée à répandre mon sang…

À mon cœur il a fait subir,
par la lame d’un seul regard,
le même sort qu’à ce roseau
son couteau !

………………………………………

THÉO PLANTEFOL
Ma vie future, c'est ton visage quand tu dors.
René Char

J'attends ta langue
qui pousse sur le cep
de ton sommeil

Je l'écoute toute la nuit
me susurrer
la promesse de son vin

J'attends l'aurore de ta bouche
l'éclosion de ta voix
qui est toujours pour moi
une expérience à la fois
sauvage et sacrée

Dans l'ombre
un feu sans orthographe
me berce de sa flamme veloutée

Il trempe à l'avance
les nombres qui me traversent
et me fait vaciller
jusqu'aux nuages
encore soûls
de tous les crépuscules
qui ont pris la couleur
de nos baisers

Un trait de chaleur
transperce ma poitrine
et vient se loger
dans ma gorge
comme un archet

Le silence qui je maintiens
fait de moi une tache
qui se répand
sur le monde

Ce monde qui garde encore
les yeux clos
dans mon regard
et qui devient à chaque instant
un peu plus bordure
un peu plus orient
un peu plus paupière
sur le point de s'ouvrir
et qui n'attend plus
que d'être prononcé

………………………………..

ARTHUR RIMBAUD



……………………………….

PHILIPPE SAHUC, dit SAÜQUET


De l'alcool au lòc (1) la led

Lorsque des substances psychoactives entrent dans
le système, elles perturbent le fonctionnement du
système nerveux central, provoquant des altérations
de l'humeur, de la perception, et des réflexes.
Sur la montagne fière
Il est de
Marie l'M (2)
Ce blanc de l'intérieur
Qui stridule le
gril (3) .

L'ivresse peut déclencher des réponses hormonales,                                                                                        affectant la libération de neurotransmetteurs tels que                                                                                    sérotonine et la dopamine. Ces changements peuvent 
contribuer à l'euphorie et à la désinhibition associées à l'ivresse.
A la monina (4)  folle
Tu as sauté
boudu (5) 
Poire sur tes guiboles
Heureux du
Mont-Per (6)

Une consommation excessive d'alcool peut entraîner une                                                                      augmentation de la pression artérielle et un stress sur le cœur,                                                                        contribuant ainsi à des problèmes cardiovasculaires à long terme.
Cœur de mon coup de mon cœur
Trop souvent écoeuré
Au final accourant
Ah que n'ai-je d'antan... ?


L'ivresse peut altérer la cognition, affectant la mémoire, 
l'attention, et le raisonnement logique. Ces altérations                                                                                      peuvent avoir des implications sur la prise de décision 
et la sécurité.
Que ne suis-je ?
Que n'essuie-je ?
Qui me suis ?
Quel deuil s'essuie ?


La dépendance à l'alcool, souvent associée à l'ivresse répétée, 
peut entraîner des troubles mentaux tels que la dépression et                                                                          l'anxiété, créant un cercle vicieux difficile à rompre.
Il suffirait qu'on sème
Quatre grains hors de l'ivre
Pour sortir de l'ivraie
Sans choisir le carême.

     
   En occitan :
   1 -  lòc - lieu
   2 - Marie l'M - allusion à la forme du glacier d'une des faces du Mont Vallier, ayant la forme d'un M, dit M de Marie...
   3 - gril - grillon
  
  4 - monina - guenon ; il existe une expression : as trapat la monina, il a pris la guenon, pour dire : il est
     ivre
  5- boudu - dérivé de l'occitan bondiu, bondieu
  6 - Mont-Per - Le Mont-Perdu est un fameux mont pyrénéen 

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JOSEF JULIUS WECKSELL   Suédois de Finlande  1848-1907

Debout sur les nuages tu te tenais 

Debout sur des nuages tu te tenais ! Tes pieds étaient terre
et ta pensée s’étendait jusqu’à Dieu !
Tu ouvris tes yeux et chaque atome dans ton esprit
était une création.
Tu tendis ta main et tu dis : tu es quoi ?
et c’était de l’air.
Ton esprit s’extirpa et tu vis défiler étoiles et soleils 
tels des nuages
Et tu t’exclamas : le ciel s’élevait sous les pieds de Dieu
Et au-dessus était une obscurité que personne 
ne put à temps atteindre
et tu savais le giron de ta mère et tu
avais le désir d’une femme
Et se dressait vert un peuplier dans
l’intime fond de ton œil
et ta grandeur disparut et tel une larme tu gisais
sur ton propre pied dans ton propre éclat
et le nuage s’était évanoui
  
Traduction française  Svante Svahnström
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SVANTE SVAHNSTRÖM

Enivré

Le jour où être enfin visé par l’amour est un jour d’ivresse
Celui où la jalousie s’empare des parties molles
c’est jusqu’aux ongles 
que la rage soûlera la proie aux suspicions 
L’alcool alors vient au secours 
avec une pharmacie d’oubli
vantant griserie soûlerie ivrognerie
pour soulager 
En parallèle la beauté de l’horizon 
n’est pas facile à effacer  
Dès que s’émousse la rage
le beau propose sa propre cure d’ébriété
pour dispenser devant ce qui déborde les sens
au thorax un grisant vertige 

En ce lieu l’alcool est doux
Le vin présent sur notre table
demeure une goutte seulement
de la discrète exaltation
qu’éveille la poésie
cette moelleuse expérience enivrée
au milieu des mots des poèmes réunis

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THÉO PLANTEFOL et CLÉMENCE EN FLAMMES
arrangement musical tiré de La Légende des Siècles de Victor Hugo

Accords :
Couplet : LaM7 / LaM7 / Ré6 / Ré6 / LaM7 / LaM7 / Ré6 / La♭7
Refrain : LaM7 / Miadd9 / Ré6 / Si7 / LaM7 / Miadd9 / Ré6 / Si7 /Do7

Si tu veux, faisons un rêve :
Montons sur deux palefrois ;
Tu m’emmènes, je t’enlève.
L’oiseau chante dans les bois.

« Je suis ton maître et ta proie ;
Partons, c’est la fin du jour ;
Mon cheval sera la joie,
Ton cheval sera l’amour.

« Nous ferons toucher leurs têtes ;
Les voyages sont aisés ;
Nous donnerons à ces bêtes
Une avoine de baisers.

« Viens ! nos doux chevaux mensonges
Frappent du pied tous les deux,
Le mien au fond de mes songes,
Et le tien au fond des cieux.

« Un bagage est nécessaire ;
Nous emporterons nos vœux,
Nos bonheurs, notre misère,
Et la fleur de tes cheveux.

« Viens, le soir brunit les chênes ;
Le moineau rit ; ce moqueur
Entend le doux bruit des chaînes
Que tu m’as mises au cœur.

« Ce ne sera point ma faute
Si les forêts et les monts,
En nous voyant côte à côte,
Ne murmurent pas : « Aimons ! »

« Viens, sois tendre, je suis ivre.
Ô les verts taillis mouillés !
Ton souffle te fera suivre
Des papillons réveillés.

« L’envieux oiseau nocturne,
Triste, ouvrira son œil rond ;
Les nymphes, penchant leur urne,
Dans les grottes souriront ;

« Et diront : « Sommes-nous folles !
« C’est Léandre avec Héro ;
« En écoutant leurs paroles
« Nous laissons tomber notre eau. »

« Allons-nous-en par l’Autriche !
Nous aurons l’aube à nos fronts ;
Je serai grand, et toi riche,
Puisque nous nous aimerons.

« Allons-nous-en par la terre,
Sur nos deux chevaux charmants,
Dans l’azur, dans le mystère,
Dans les éblouissements !

« Nous entrerons à l’auberge,
Et nous paîrons l’hôtelier
De ton sourire de vierge,
De mon bonjour d’écolier.

« Tu seras dame, et moi comte ;
Viens, mon cœur s’épanouit ;
Viens, nous conterons ce conte
Aux étoiles de la nuit. »















 

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